Ruth Buendía : « À chaque projet, chaque concession, notre population et nos territoires disparaissent un peu »

Entretiens

Ruth Buendía (Photo/Jérémy Joly)

La mise en place en 2011 de la loi dite de « consulta previa » au Pérou avait pour objectif de redonner la parole aux communautés indigènes.

Promulguée à Bagua, là où deux ans plus tôt les indigènes avaient affronté les forces de l’ordre pour défendre leur terres contre les intérêts des grandes entreprises, cette évolution législative était porteuse de grands espoirs.

Pourtant, plus de trois ans plus tard, son impact reste très limité. Pour Ruth Buendía, leader de la Central Asháninka del Río Ene (C.A.R.E) et lauréate du prix Goldman pour l’environnement, il ne s’agit pour l’instant que de mots.

Quel est l’objectif de cette loi ?

La loi permet normalement aux communautés indigènes des Andes et de l’Amazonie d’être consultées sur les sujets pouvant les impacter. Elle a été élaborée avec la participation de l’AIDESEP (Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana – Association interethnique de développement de la forêt péruvienne). Le problème c’est que cette institution est faible et n’a pas suffisamment prêté attention aux enjeux.

Au final, elle est loin d’être claire. Par exemple, il y a sept étapes à respecter pour pouvoir l’utiliser, mais nous n’avons pas été formés, c’est donc nous-mêmes qui avons dû apprendre, seuls. Cette loi fait peur à l’État et aux entreprises parce que de leur point de vue, cela ne peut que ralentir l’investissement.

 

Interrogé par Equal Times, le ministre de l’Énergie et des Mines péruvien a indiqué qu’il n’y avait pas besoin de consulter les indigènes sur les projets antérieurs à 2011. Quelle est votre position sur le sujet ?

L’État péruvien ignore notre droit à la consultation, alors qu’il a ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail sur les peuples indigènes en 1994.

Celle-ci stipule notamment : « Il incombe aux gouvernements, avec la participation des peuples intéressés, de développer une action coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de garantir le respect de leur intégrité. »

Nous allons continuer à nous battre en essayant de porter plusieurs affaires en justice. Malheureusement il n’y a aucune transparence sur comment les choses évoluent… C’est l’illustration de la nécessité pour les peuples indigènes de connaître la loi nationale. Le contraire condamne à l’inaction.

 

Peut-on considérer la consulta previa comme une loi « de façade » pour donner une bonne image du pays ?

Tout à fait. Le président péruvien Ollanta Humala l’a élaborée pour se mettre dans les bonnes grâces des communautés indigènes après les affrontements de Bagua.

Au niveau international, elle sert à donner au pays une image plus responsable et respectable d’un gouvernement qui ferait tout son possible pour respecter les communautés indigènes. Dans les faits, c’est tout le contraire.

 

Qu’est-il nécessaire de changer pour que la loi fonctionne ?

Les leaders indigènes doivent s’informer. C’est à nous d’apprendre à mieux nous défendre. Il y a beaucoup de corruption au sein du ministère de l’Énergie et des Mines (MINEM) et beaucoup de favoritisme pour les entreprises.

Si les leaders indigènes ne se forment pas pour se confronter aux attaques de l’État péruvien, nous allons tout perdre. L’AIDESEP doit se renforcer et être à même de protéger et de lutter pour les communautés. C’est là qu’est la clé. Son objectif principal doit être la défense de nos territoires.

Il faut que les gens prennent conscience de la vulnérabilité des populations indigènes. À chaque projet, chaque concession, notre population et nos territoires disparaissent un peu. Tout ce qu’il reste ce sont des discours.