Attaques contre le journalisme

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« Aucun reportage ne vaut la vie d’un journaliste ».

Cette phrase a de plus en plus tendance à guider le travail des salles de rédaction à travers le monde. Les rédacteurs en chef interdisent à leurs reporters de se rendre dans des pays où les risques d’assassinat et d’enlèvement sont trop élevés.

Des enquêtes spéciales concernant des questions d’intérêt public sont abandonnées par peur de violentes représailles.

La mort a toujours été acceptée comme un risque professionnel inévitable mais les rédacteurs chargés de l’affectation des journalistes estiment aujourd’hui que la situation devient difficile à maîtriser et que les précautions habituelles de sécurité ne fonctionnent plus.

Des journalistes expérimentés et marqués par les guerres figurent au nombre des récents morts en mission.

Les photojournalistes primés Tim Hetherington et Chris Hondros ont été tués en Libye en 2011 ; la reporter vedette du Sunday Times Marie Colvin a perdu la vie lors d’un bombardement à Homs, Syrie, en 2012. Tous avaient couvert des dizaines de conflits.

Ils avaient reçu les prix internationaux les plus prestigieux. Ils connaissaient les risques et les difficultés du métier.

Leur mort a retenti comme une alarme pour nous avertir que le « jeu » tournait à la roulette russe et que l’expérience, le courage et le discernement ne suffisaient plus pour survivre dans les zones de guerre.

« Nous devons toujours nous demander si le niveau de risque vaut la peine. Est-ce qu’il s’agit de bravoure ou de bravade ? » avait déclaré Colvin lors d’un discours, trois mois avant sa mort.

En 2014, les reporters James Foley et Steven Sotloff ont été décapités par le groupe État islamique, qui a posté la vidéo de leur exécution sur Internet.

Et le 7 janvier 2015, des terroristes ont attaqué le bureau du magazine Charlie Hebdo à Paris, tuant 12 personnes…

 

Le droit de savoir et le droit d’informer

Ces vidéos insoutenables et ces attentats sanglants ont donné des sueurs froides à l’ensemble de la profession.

Jusqu’à ces dernières années, à quelques exceptions près comme en Algérie ou au Sierra Leone dans les années 1990, les journalistes avaient réussi à couvrir des scènes de guerre et à s’aventurer sur les territoires contrôlés par les rebelles, et les combattants les considéraient comme des intermédiaires utiles pour relayer leur message.

Aujourd’hui, les journalistes sont indésirables dans la plupart des zones de guerre. Les groupes radicaux les voient comme des espions ou des symboles de l’Occident. Le fait est qu’ils n’ont plus besoin de la presse puisqu’ils peuvent utiliser les médias sociaux pour envoyer directement leurs messages à leurs amis comme à leurs ennemis.

Les reporters internationaux sont devenus des pions sans utilité sur l’échiquier de la propagande mondiale.

Les extrémistes et les terroristes ont en grande partie gagné. Dans de nombreuses salles de rédaction, la décision a été prise de ne pas envoyer de journalistes dans les régions du monde où ce sont des bandes de djihadistes, de paramilitaires ou de narco-terroristes errants qui surveillent les postes de contrôle.

Les journalistes indépendants sombrent peu à peu dans le vide de l’information. Mal payés, sans protection adaptée, ils prennent souvent des risques excessifs pour faire un reportage. « Moins de soutien, plus de danger », met en garde Rob Mahoney, le directeur adjoint du Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

Les journalistes locaux se trouvent de plus en plus souvent au cœur du système mondial de collecte de l’information et ils en paient le prix fort.

En effet, d’année en année, qu’il s’agisse des guerres de la drogue au Mexique ou des charniers découverts à l’est du Congo, 87% de tous les journalistes tués dans le monde travaillaient pour des agences locales.

N’ayant pas la possibilité de partir, si ce n’est sur le chemin de l’exil, ils peuvent être facilement localisés et pris pour cible. Dans de nombreux pays ravagés par le crime ou les conflits communautaires, les menaces de mort répandent un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance.

Les pressions sont si fortes que de nombreux journalistes choisissent de se retrancher derrière l’autocensure, laissant l’information aux « journalistes citoyens » qui osent encore aller chercher les nouvelles et les poster sur Internet, souvent au prix de considérables risques personnels.

Un nombre croissant de personnes tuées en réalisant des « actes de journalisme » sont ces « information doers » (acteurs de l’information), selon l’expression employée par Nik Gowing, le présentateur de BBC World, qui les considère comme « les nouveaux témoins de l’urgence en temps réel ».

L’assassinat, cependant, n’est pas la seule forme de censure. Si les journalistes peuvent être enlevés et tués par des militants ou des criminels, ils sont aussi surveillés, censurés et emprisonnés par les gouvernements.

Fin avril, le CPJ a publié l’édition 2015 des 10 pays qui censurent le plus au monde, avec l’Érythrée et la Corée du Nord qui se placent en tête de liste.

Pour garder la mainmise sur le pouvoir, les régimes répressifs harcèlent, espionnent, menacent et limitent l’accès aux journalistes.

L’emprisonnement de journalistes demeure un outil puissant d’intimidation : en décembre 2014, 221 journalistes étaient derrière les barreaux, la Chine et l’Iran se classant parmi les principaux adeptes de l’emprisonnement au monde.

Ces régimes se servent également de la loi et de l’argent pour récompenser ou punir les médias. Ils recourent à des actes diffamatoires punitifs ou méprisent les lois, contrôlent ou bloquent Internet et les médias sociaux quand ils le jugent nécessaire.

Dans les pays où les médias appartiennent à de gigantesques conglomérats liés par des contrats signés avec l’État, les propriétaires sont transformés en censeurs par procuration au nom de l’État.

« Erdogan semble avoir compris qu’il n’a plus besoin d’emprisonner les journalistes », écrit le chroniqueur turc Yavuz Baydar.

«  Demander au docile propriétaire des médias de déclarer certains journalistes persona non grata et de les empêcher de trouver du travail est une méthode beaucoup plus efficace et rusée pour museler la presse libre ».

Les pays démocratiques ne sont pas complètement innocents non plus. Les États-Unis et l’Union européenne se flattent d’être les porte-drapeaux de la liberté de la presse et les classements internationaux les donnent effectivement vainqueurs en la matière.

Mais d’un autre côté, ils se servent de la lutte contre le terrorisme comme alibi pour mettre en place d’imposants systèmes de surveillance inquisiteurs, qui débusquent les auteurs de « fuites » dans la presse et menacent la confidentialité des sources des journalistes.

Les pressions sur le journalisme ne sont pas une question purement journalistique.

« Ce n’est pas seulement la vie des journalistes qui est en jeu, mais aussi la capacité du public de savoir ce qui se passe autour de lui », écrit la correspondante de CNN, Christiane Amanpour, dans la préface du rapport annuel du CPJ, Attaques contre la presse – Édition 2015.

En fait, le droit et la possibilité d’informer partout dans le monde sont combattus de manière impitoyable, ce qui prive les citoyens des informations d’intérêt public dont ils ont besoin pour trouver leurs repères dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant.

« Quand le gouvernement pakistanais supprime la couverture médiatique de ses opérations militaires et de renseignements, quand la Chine censure les rapports sur la sécurité alimentaire, et quand la Syrie barre complètement l’accès aux reporters internationaux, ils ne censurent pas seulement l’information dans les limites de leurs propres frontières nationales », indique le directeur du CPJ, Joel Simon, dans son récent ouvrage sur la censure The New Censorship.

« Ils censurent les nouvelles et les informations qui sont essentielles pour le grand public, dans de nombreuses régions du monde. Mais s’ils n’ont pas les bonnes informations, les citoyens du globe sont avant tout dépossédés de leurs moyens d’agir ».

La Journée mondiale de la liberté de la presse défend autant le droit des citoyens de savoir que le droit des journalistes d’informer.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.