« Aucun citoyen européen ne devrait avoir à choisir entre se chauffer et se nourrir »

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À l’aube de la Conférence de l’ONU sur le changement climatique, à Paris, et alors que l’hiver approche à grands pas, la pauvreté énergétique menacerait, selon certaines estimations, entre 50 et 125 millions de citoyens dans l’Union européenne.

Un rapport récent réalisé à la demande de la Commission européenne par le laboratoire d’idées Insight_E spécialisé dans les questions énergétiques met en cause divers facteurs comme les bas revenus, les prix élevés de l’énergie et l’inefficacité énergétique des logements, selon lui à l’origine du fléau de la « pauvreté énergétique » - un terme qui décrit la situation de personnes qui ne sont « pas à même de se chauffer adéquatement ou de couvrir les autres besoins énergétiques essentiels de leur foyer à un coût abordable ».

Des politiciens de tous bords se sont dits alarmés par les conclusions du rapport et l’étendue du problème.

« C’est une honte », a déclaré Theresa Griffin, députée travailliste pour le nord-ouest de l’Angleterre. « Il s’agit de corroborer ces chiffres et d’obtenir des données plus exactes de la Commission. Aucun citoyen européen ne devrait avoir à choisir entre se chauffer et se nourrir », a-t-elle dit lors d’un entretien avec Equal Times.

Mme Griffin estime que le manque d’information concernant les tarifs préférentiels d’accès à l’énergie ont également contribué au problème dès lors que des prix plus bas sont disponibles mais une grosse partie de la population demeure mal informée.

Alors que la question de la pauvreté énergétique commence à faire son chemin au sein de l’opinion publique, Mme Griffin est d’avis que « nous ne pouvons laisser passer encore un hiver sans intervenir ». Elle ajoute que la formation politique qu’elle représente au Parlement européen – l’Alliance progressiste des socialistes et des démocrates (S&D), de centre-gauche – préparera durant la période de Noël un manifeste sur la pauvreté énergétique que son parti entend soumettre aux ministres de l’Énergie de l’UE.

Pendant ce temps, en Grande-Bretagne, le dernier Rapport statistique annuel sur la pauvreté énergétique estime à 2,35 millions le nombre de ménages considérés pauvres au plan de l’approvisionnement en énergie. La mortalité hivernale en Angleterre et au Pays de Galles en 2012-2013 a augmenté d’un tiers, avec un bilan estimé à 31.000 morts.

Des campagnes de sensibilisation publique et des plans d’économie d’énergie ont été lancés par des organisations comme Energy Projects Plus dans le Merseyside, ou encore Citizens Advice, dont la campagne Big Energy Savings Week vise à informer les citoyens sur comment réduire leurs factures et obtenir de l’aide.

 

Défis

Il s’agit, cependant, d’un problème d’envergure européenne, attendu que dans les pays du sud de l’Europe, beaucoup de personnes vulnérables n’ont pas les moyens de se payer l’air conditionné.

La Commission européenne a mis en exergue le problème de la pauvreté énergétique dans sa récente Communication intitulée l’Union de l’énergie et a lancé un nouveau projet pilote pour aider à cartographier et mesurer la pauvreté énergétique, tout en facilitant le partage des meilleures pratiques parmi les États membres. Les premiers résultats sont attendus au printemps 2016.

La Commission a également affirmé que des échanges étaient en cours avec les États membres pour répondre à la vulnérabilité des consommateurs à travers la création d’une base de données des expériences partagées concernant la dérégulation des prix de l’énergie et d’autres mesures de politique sociale et énergétique.

Selon Theresa Griffin, l’UE a besoin d’un « cadre pour répondre à la pauvreté énergétique et améliorer les conditions liées au marché de la distribution aux fins de soutenir les consommateurs vulnérables, en accordant la priorité à ces derniers ». Elle appelle aussi à l’adoption d’une acceptation unique pour l’ensemble de l’UE des termes « pauvreté énergétique » et « consommateurs vulnérables », afin d’assurer une réponse plus cohésive.

En vertu de la législation européenne, la responsabilité de répondre à la pauvreté énergétique incombe aux États membres or, à en croire le rapport d’Insight_E, moins d’un tiers d’entre eux reconnaissent explicitement la notion de pauvreté énergétique.

D’autre part, selon un porte-parole de la Commission, les groupes d’experts considèrent inapproprié d’harmoniser les définitions de « consommateurs vulnérables », invoquant un large éventail de « facteurs de vulnérabilité, de disparités économiques et de politiques afférentes à la vulnérabilité dans les différents États membres ». À la place, l’accent est mis sur l’ « amélioration de la comparabilité des définitions à travers l’UE ».

 

Efficacité énergétique

Entre temps, le député européen luxembourgeois et porte-parole pour la politique énergétique du Groupe des Verts au Parlement européen, Claude Turmes, préconise un dialogue accru entre l’UE et les acteurs locaux comme le Pacte des maires. « 6600 villes sont actives en matière de transition énergétique [vers des énergies propres] et sont proches des citoyens en termes de pauvreté énergétique », a-t-il confié à Equal Times.

L’efficacité énergétique, décrite par ses partisans comme le « combustible nº 1 », constitue « la seule réponse efficace à la pauvreté énergétique », affirme Turmes.

Cependant, au-delà des subventions, il appelle à l’élaboration d’une politique d’efficacité énergétique détaillée devant être adaptée aux citoyens à faibles revenus.

Turmes se dit favorable à une « politique du porte-à-porte qui parle aux consommateurs vulnérables dans leur langue, plutôt que de dépendre uniquement d’Internet. »

L’année dernière, Theresa Griffin et Claude Turmes étaient au nombre des eurodéputés qui ont demandé l’inclusion dans la stratégie sur l’énergie UE 2030 d’un objectif d’économie d’énergie contraignant de 40%. Toutefois, lorsqu’un accord a été atteint en octobre 2014, les gouvernements de l’UE ont édulcoré ledit objectif en le ramenant à un engagement non contraignant de 27%.

Nonobstant, la Commission affirme garder bon espoir que l’objectif de 27% peut engendrer des bénéfices pour les consommateurs vulnérables et prévoit un examen en 2020, sans exclure la possibilité d’une révision haussière de l’objectif à 30%.

La Commission considère clairement l’efficacité énergétique comme la meilleure solution à long terme à la pauvreté énergétique : Elle investit 18 milliards € (192 milliards USD) provenant de ses Fonds structurels et d’investissement européens (Fonds ESI) dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, y compris la rénovation des logements sociaux.

D’autre part, en octobre, les eurodéputés ont voté une résolution appelant l’UE à demander l’inclusion aux négociations sur le climat, à Paris, d’un objectif d’efficacité énergétique de 40%, qui constitue le mandat de la délégation parlementaire européenne à la conférence. Tout accord conclu à Paris devra être voté par les eurodéputés.

Enfin, une étude de faisabilité sera lancée par la Commission avant le nouvel an, sur comment les Fonds européens pourraient subventionner des mesures d’efficacité énergétique à bas coût dans les ménages à faibles revenus.

 

Cet article a été traduit de l’anglais.