Canada : le Mexique reconnu coupable pour des listes noires de travailleurs migrants pro-syndicats

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Un tribunal du travail au Canada a déclaré les fonctionnaires du gouvernement mexicain coupables de maintenir une liste noire pour empêcher des travailleurs migrants temporaires de retourner au Canada en les étiquetant de « pro-syndicats ».

Dans un jugement rendu le mois dernier, le Conseil des relations du travail de la Colombie-Britannique (Labour Relations Board – LRB) a également conclu que des responsables consulaires mexicains avaient activement espionné les activités des travailleurs migrants et contraint des personnes à fournir des informations concernant leurs collègues.

Officiellement, toutefois, les fonctionnaires mexicains ne peuvent être condamnés dès lors qu’ils sont protégés par l’immunité diplomatique.

Dans son témoignage, Victor Robles, un travailleur agricole saisonnier du Mexique, a déclaré s’être entretenu avec un employé du gouvernement qui l’aurait informé que le vrai motif pour lequel « on l’empêchait de voyager était qu’il participait à un syndicat ».

Depuis 2004, Robles était retourné au Canada six fois pour travailler pour le même employeur, dans la province de Colombie-Britannique.

En mars 2010, les travailleurs agricoles ont mis sur pied un syndicat dans la serre où travaillait Robles.

Les travailleurs migrants employés chez Sidhu & Sons Nursery Limited ont voté pour être représentés par la section locale 1518 du United Food and Commercial Workers Canada (UFCW) (UFCW) Local 1518 to represent them.

Ce développement a été considéré comme un accomplissement significatif dans l’histoire du mouvement syndical canadien, puisqu’il ne s’agissait que de la deuxième fois que des saisonniers agricoles étrangers réussissaient à organiser une convention syndicale.

De retour dans son pays en septembre 2010, Robles fut informé, par les autorités mexicaines, que son employeur canadien souhaitait qu’il retourne au Canada en 2011. Il fut cependant informé peu après, par le ministère du Travail du Mexique, qu’il y avait un problème avec son visa.

Robles a déclaré qu’en février 2011, alors qu’il avait déjà acheté son billet d’avion pour le Canada, le visa de sortie pour le Canada lui a été refusé et qu’il a été informé par un fonctionnaire mexicain que son visa avait été bloqué en raison de son activité syndicale au Canada.

Dans un entretien avec Equal Times, Andrea Gálvez, un porte-parole de UFCW-Mexique, estime que le gouvernement mexicain subit la pression des agriculteurs canadiens qui « menacent de réduire le nombre de Mexicains qu’ils emploient ». Un geste qui aurait un impact sur le montant des fonds envoyés au Mexique par la diaspora.

Dans une enquête sur les travailleurs saisonniers intitulée Migrant Workers in Canada, l’Institut Nord-Sud affirme pour sa part que le gouvernement mexicain craint de perdre ses accords bilatéraux au profit d’autres pays d’Amérique latine.

 

Pratiques du travail déloyales

Dans une interview récente avec RadioLabour, Stan Raper, directeur national de l’Agricultural Workers Alliance, affiliée à l’UFCW, a indiqué : « Nous avons réalisé qu’une partie des travailleurs auxquels la convention collective accordait pourtant des droits d’ancienneté et de rappel ne pourraient plus retourner. »

Dans le même temps, une partie des nouveaux employés de l’exploitation agricole ont demandé à être désinscrit du syndicat.

L’UFCW a déposé des plaintes pour pratiques du travail déloyales auprès du LRB, citant l’employeur, l’ambassade du Mexique et le gouvernement mexicain.

Raper a expliqué que l’UFCW avait reçu un fax de source anonyme qui montrait clairement que des fonctionnaires du consulat mexicain local avaient chargé le ministère du Travail du Mexique « de bloquer des personnes en raison de leur activité syndicale ».

Le LRB a statué que les fonctionnaires de l’ambassade mexicaine étaient coupables d’ingérence et avaient bloqué la sortie de travailleurs saisonniers mexicains qui s’étaient rendus au Canada régulièrement et que la section locale 1518 de l’UFCW devrait être autorisée à continuer à représenter les travailleurs de la serre.

Après trois années de batailles juridiques, Ivan Limpright, président de la section locale 1518 de l’UFCW a déclaré : « La bataille a été longue. Chaque travailleur au Canada a le droit d’adhérer à un syndicat, et cela inclut les travailleurs migrants. Le recours par le Mexique à une liste moire et à la coercition constitue une violation de la législation canadienne et des droits des travailleurs concernés. »

Une semaine après le verdict du tribunal qui accordait gain de cause aux travailleurs, le ministère canadien de l’Emploi, Jason Kenney, a introduit des sanctions plus sévères contre le recours abusif par des employeurs au Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Ces sanctions entreront en vigueur en 2015.

Le recours à ces travailleurs soi-disant « invités » est devenu un sujet fortement controversé dans la politique canadienne, a fortiori dans un contexte de chômage croissant.

En guise de mesure incitative pour les employeurs, le programme fédéral avait initialement statué sur une réduction salariale de 15% pour les travailleurs étrangers temporaires.

Le programme a connu une expansion rapide depuis 2006 et couvre à l’heure actuelle quelque 500.000 travailleurs étrangers.

 

Apartheid économique

Les travailleurs agricoles migrants constituent l’une des principales catégories de travailleurs temporaires étrangers admis au Canada sans possibilité de naturalisation.

En 2012, 257,515 nouveaux migrants ont été admis au statut de résidents permanents éligibles à la naturalisation.

Cependant, 213,573 autres travailleurs temporaires étrangers munis de visas temporaires ont été contraints de retourner dans leurs pays.

En 2012, les travailleurs saisonniers représentaient plus de 12% de l’ensemble de la main-d’œuvre temporaire « invitée » et les ressortissants mexicains, dont le nombre était estimé à 17,765, représentaient la majorité de ces travailleurs migrants. Les autres provenaient, en grande partie, du Guatemala et de différents pays des Caraïbes.

Selon les déclarations du groupe de défense des droits des immigrés, Justicia For Migrant Workers, à Equal Times, le Programme des travailleurs temporaires étrangers créé une situation de deux poids-deux mesures en matière de règlementation du lieu de travail.

Adriana Paz, porte-parole de Justicia pour la Colombie-Britannique a parlé d’un « modèle d’apartheid économique des travailleurs ».

Depuis 2012, plus de 4000 employeurs, parmi lesquels on retrouve certaines des plus grandes enseignes du Canada comme Blackberry et Bell Telecommunications, ont plaidé en faveur de l’accélération de la procédure d’embauche de travailleurs temporaires étrangers.

Suite à une avalanche de critiques dans l’opinion publique l’année dernière, la Royal Bank of Canada s’est excusée de recourir à des travailleurs étrangers en formation pour remplacer des employés congédiés récemment.

Une franchise du géant du fastfood McDonald’s fait aussi l’objet d’une enquête gouvernementale pour recours abusif à la main-d’œuvre temporaire étrangère.

Critiqué pour avoir mis sur pied un système à deux vitesses en matière de travail, le gouvernement conservateur a réagi en abrogeant la réduction salariale de 15% et en instituant des normes basées sur le salaire moyen.