Brésil : Mégaprojets contre les droits des indigènes

Actualité

« S’il arrive quoi que ce soit à moi-même ou à mes frères, sachez que c’est la police qui a été envoyée dans le village à la demande du ministre [de la Justice, José Eduardo Cardozo]. C’est le député [fédéral] Geraldo Simões qui a donné l’ordre de me tuer. »

C’est en ces mots que le chef Babau, Rosivaldo Ferreira da Silva – un des chefs de la communauté indigène Tupinamba qui peuple le littoral sud de l’État de Bahia (Brésil) – a conclu une lettre rendue publique le 24 mars dernier.

Les indigènes dénoncent les menaces et les agressions perpétrées par des agents de la Force nationale de sécurité publique, la police fédérale et l’armée, en complicité avec des politiciens proches de l’agro-industrie et du secteur hôtelier.

Un âpre conflit oppose les latifundistes aux indigènes mobilisés pour récupérer leurs terres.

En août dernier, les maisons de plusieurs familles indigènes ont été incendiées ; le 3 septembre, un indigène a été abattu par balles ; le 8 novembre, trois autres ont été poignardés à mort.

Le cas des Tupinamba s’inscrit dans un cadre de violations systématiques des droits des peuples indigènes du Brésil et a suscité de vives critiques à l’égard de la politique indigéniste du gouvernement de Dilma Rousseff.

 

Occupation militaire

Depuis le 28 janvier, l’armée brésilienne agissant sous les ordres directs du ministre de la Justice occupe le territoire des Tupinamba. En février, la présidente a ordonné l’envoi d’un demi-millier de soldats de l’armée dans la zone, invoquant pour objectif de « garantir la loi et l’ordre » et « pacifier  » la région.

Pourtant, à en croire les Tupinamba, les forces de l’ordre seraient en train de se conduire comme une police privée composée de groupes et d’individus hostiles aux droits des indigènes et s’imposant à ces derniers par la terreur.

«  Les enfants ont très peur de la police et de l’hélicoptère [qui survole le village quotidiennement]. Ils pensent qu’ils vont les emmener, ils courent à toutes jambes et se pendent à notre cou », raconte Gliceria Jesús da Silva, une institutrice de la communauté Tupinamba.

Le 22 mars, une fille indigène de 14 ans a été violée par un groupe de policiers alors qu’elle rentrait chez elle après avoir participé à une minga (travail collectif).

Ces dernières années, les Tupinamba se sont vus confronter à divers épisodes de violence institutionnelle.

En 2009, des agents de la police fédérale ont torturé cinq indigènes par électrochocs, confirme un rapport d’expert émanant de l’institut médicolégal. Et en 2011, un indigène a dû être amputé de la jambe droite après avoir été atteint par des coups de feu tirés par un policier déguisé en paysan.

Entre 2010 et 2011, au moins quatre dirigeants Tupinamba ont été victimes d’incarcérations illégales.

Le processus de délimitation des terres indigènes Tupinamba de Olivença – qui occupent une superficie d’approximativement 47.000 hectares dans la zone de Mata Atlantica – a démarré en 2004. Les échéances légales ont cependant été enfreintes et le processus est loin d’être terminé.

L’anthropologue Patricia Navarro de Almeida Couto, professeure de l’Universidade Estadual de Feira de Santana (UEFS) et chercheuse dans le cadre du Programme de recherche sur les peuples indigènes du nord-est brésilien (Programa de Pesquisas sobre Povos Indígenas do Nordeste Brasileiro, PINEB) réalise des études en collaboration avec les Tupinamba depuis 2001.

« Il est primordial que le gouvernement fédéral achève la régularisation des terres indigènes aussi rapidement que possible », insiste-t-elle, « pour que les indigènes puissent jouir de la tranquillité sur leur territoire national et que les conflits cessent définitivement dans la région. »

 

« Intensification des conflits »

Au Brésil, les droits des peuples indigènes comme les Quilombola (cimarrons) et autres peuples et communautés traditionnels, des droits garantis en vertu de la Constitution fédérale de 1988 – principalement le droit au territoire – sont la cible d’une offensive des députés et sénateurs qui composent le Bloc ruraliste, intimement acquis aux intérêts des grands propriétaires terriens.

Des dizaines de projets de loi et d’amendements constitutionnels sont en cours, dont certains violent les accords internationaux signés par le Brésil, comme la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes.

L’année dernière, le gouvernement de Dilma Rousseff, de plus en plus proche de l’agro-industrie et des grandes sociétés des secteurs miniers et énergétiques, a ordonné l’interruption de divers processus de démarcation des terres indigènes, de création d’unités de protection environnementales, de reconnaissance des quilombos (territoires cimarron) et de réforme agraire.

L’arrêt de ces processus entraîne une intensification des conflits.

Selon la dernière édition du rapport sur la violence à l’égard des peuples indigènes publié périodiquement par le Conselho Indigenista Missionário (CIMI), au moins 60 indigènes auraient été assassinés au Brésil en 2012.

Le rapport relève également 120 cas de menaces, dont des menaces de mort, et 1024 tentatives d’assassinat.

Plus de 60% des assassinats survenus au cours de cette période ont été perpétrés dans l’État de Mato Grosso do Sul et ont principalement eu pour victimes des indigènes Guarani Kaiowa, une communauté qui vit une situation particulièrement dramatique.

« Cette communauté indigène qui est la deuxième plus importante du pays occupe une superficie extrêmement réduite, assiégée par l’agro-industrie », signale Spensy Pimentel, chercheur au Centro de Estudos Ameríndios (CESTA) et professeur à l’Universidade Federal da Integração Latino-Americana (UNILA), qui travaille sur le cas de la communauté Guarani Kaiowa depuis dix ans.

« Des dizaines de communautés attendent la démarcation de leurs terres, tandis que dans les anciennes réserves, la qualité de vie se dégrade d’année en année : les indices d’assassinats et de suicides sont comparables à ceux des régions les plus problématiques du monde.

« Dans le même temps, l’élite du Mato Grosso do Sul fait montre d’une indifférence criante. Le résultat est tragique. »

 

Centrales hydroélectriques

Pimentel relève «  un manque de sensibilité chronique de la part du gouvernement à l’heure de respecter les personnes qui ne s’inscrivent pas dans le cadre du projet développementiste.  »

« Si on vit à la campagne et qu’on n’aspire pas à migrer vers la ville pour vivre dans une favela et se convertir en « classe moyenne émergente », c’est mal vu.  »

Dans le cadre des mégaprojets d’infrastructure (centrales hydroélectriques, voies navigables, ports, réseau routier, etc.) dont la majorité sont en cours en Amazonie, les violations des droits indigènes et des autres peuples et communautés autochtones sont légion.

Le 7 novembre 2012, le village indigène de Teles Pires – situé dans l’État de Pará et peuplé d’indigènes Munduruku, Kayabi et Apiaka – a fait l’objet d’une attaque violente de la police fédérale.

Adenilson Kirixi Munduruku, 32 ans, a succombé à des blessures par balles aux jambes et à la tête. À ce jour, personne n’a été tenu responsable de son meurtre.

L’action s’inscrivait dans le cadre d’une opération contre l’extraction illégale d’or. Selon les indigènes, toutefois, les activités minières illégales n’étaient qu’un prétexte pour mener une opération dont l’objectif était de les intimider.

Les indigènes de cette zone sont mobilisés contre une initiative très controversée du gouvernement portant sur la construction d’une série de centrales hydroélectriques dans le bassin du fleuve Tapajós.

L’un de leurs principaux griefs concerne l’absence de consultations préalables, telles que prévues aux termes de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

«  Ils sont en train de recourir à une machine de guerre pour empêcher les peuples et les communautés autochtones de protester », indique le géographe Mauricio Torres, qui enquête sur les conflits territoriaux dans la zone de Para depuis dix ans.

« Les projets d’infrastructure ne sont pas conçus pour les indigènes et les riverains : Ces communautés sont considérées comme des obstacles au développement. »

Un corridor est en train d’être aménagé à Para pour l’exportation de soya. La quasi-totalité du territoire des indigènes et des communautés traditionnelles du bassin du fleuve Tapajós a été cédée sous forme de concessions minières à des groupes privés.

De même, des zones forestières publiques ont été cédées pour l’exploitation du bois, ce qui a également un effet dévastateur pour ces communautés.

Avant de pouvoir concrétiser le grand projet minier, note Torres, il y a deux obstacles à franchir : l’absence d’énergie et d’un cadre juridique pour l’exploitation minière en terres indigènes et l’absence d’unités de protection environnementale.

« Quant à l’énergie, plusieurs centrales hydroélectriques sont en cours de construction, tandis que l’approbation du cadre réglementaire s’accélère sous le gouvernement de Dilma. »

« Ils veulent fragiliser les communautés pour faciliter leur construction [des centrales électriques]. Mais nous n’accepterons jamais de troquer nos terres pour des miettes  », a déclaré un indigène Munduruku qui a souhaité garder l’anonymat au journaliste Ruy Sposatti, qui a documenté l’opération répressive contre le village de Teles Pires pour le rapport du CIMI.

« Quoi qu’ils fassent, ils ne feront que renforcer notre lutte.  »

Cet article a été traduit de l'anglais.