Catalogne : Des élections qui feront crisser les rouages de l’administration territoriale espagnole

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Le 27 septembre prochain, en Catalogne, ont été convoquées des élections cruciales qui décideront du maintien ou non au sein de l’État espagnol d’un territoire où vivent 7,5 millions de personnes.

Le président du gouvernement catalan, Artur Mas, a appelé les citoyens à se rendre aux urnes dans le cadre d’un suffrage qu’il entend doter d’un caractère de plébiscite sur la sécession et auquel participeront, en tête de file, Junts Pel Sí (Ensemble pour le oui), une vaste coalition de partis allant des positions libérales du parti au gouvernement CDC (Convergència Democràtica de Catalunya) aux positions sociale-démocrates du principal parti de l’opposition ERC (Esquerra Republicana de Catalunya), et à laquelle se sont ralliées des organisations de la société civile favorables à l’indépendance.

Selon les sondages, la somme des deux listes indépendantistes, Junts Pel Sí et la gauche radicale des CUP (Candidatures d’Unitat Popular) pourrait dépasser la majorité absolue, quoique par une marge étroite.

Les formations indépendantistes ne sont, toutefois, pas les seules à proposer une autonomie politique accrue pour cette région autonome. Catalunya Sí Que Es Pot (Catalogne oui nous pouvons), la coalition formée par la nouvelle gauche de Podemos et le parti écolo-socialiste catalan Inciativa per Catalunya Verts tablent sur une transition vers un modèle fédéral pour l’Espagne et le règlement du différend national catalan par le biais d’un référendum pactisé sur la sécession.

Catalunya Sí Que Es Pot entre en lice pour la deuxième place contre Ciutadans (Citoyens), parti socio-libéral, qui mise sur une plus forte centralisation étatique. Né il y a 10 ans en Catalogne avec un agenda nettement unioniste, le parti Ciutadans se présentera cette année pour la première fois aux élections générales espagnoles et pourrait arracher près de 10% de suffrages au parti conservateur traditionnel Partido Popular.

 

Unilatéralité ou pacte avec l’État

Les formations indépendantes ont opté en faveur d’une résolution du différend par la convocation d’élections ordinaires, attendu que l’État a opposé son véto à toute tentative de référendum légal, dont la dernière remonte au 9 novembre 2014.

«  Ces élections doivent tenir lieu de référendum, pour celui qu’ils ne nous ont pas laissé organiser », explique Raül Romeva, tête de liste pour Junts Pel Sí, bien qu’il ne soit pas candidat à la présidence. Romeva se dit confiant en une victoire aux élections du 27-S, en vue, dit-il, de « l’amorce, à la suite des élections, d’un processus constitutionnel catalan construit depuis la rue et où puissent être opposés différents modèles de pays ».

Bien qu’elle se présente avec un programme qui propose une déclaration de sécession à l’intérieur d’un délai de moins de 18 mois, la principale liste indépendantiste n’exclut pas une négociation dans le cas où une offre serait avenante de la part de l’État.

C’est la position que défendent des personnes comme Toni Comín, ancien fédéraliste du PSC (Partit dels Socialistes de Catalunya) qui a rejoint la liste Junts Pel Sí sur proposition de l’ERC. Il est d’avis que toute sécession devra être négociée mais plaide en faveur de l’indépendance car elle laisserait, selon lui, « une marge plus large pour l’unilatéralité » :

L’idée de l’unilatéralité est réfutée par Catalunya Sí Que Es Pot, qui mise, elle aussi, sur un référendum à condition que celui-ci s’inscrive dans le cadre d’un pacte avec l’État, et critique toute tentative visant à convertir les élections en un plébiscite sur l’indépendance.

Aux yeux de son candidat présidentiel, Lluís Rabell, les élections à caractère plébiscitaire « étouffent » la volonté de changement qui s’observe en Catalogne, pas seulement sur le plan national. Le grand défi pour sa formation consistera à obtenir un bon résultat avec un programme éminemment social, dans un paysage polarisé sur la question de l’indépendance.

 

Un mouvement qui dépasse le cadre des partis

Ce scrutin sera l’ultime chapitre d’un processus indépendantiste en cours depuis trois ans, période durant laquelle la société civile a organisé plusieurs mobilisations qui ont réuni des millions de personnes chaque 11 septembre – Fête nationale de la Catalogne – en faveur du référendum et de l’indépendance.

Si l’existence d’un mouvement sécessionniste en Catalogne n’a rien d’une nouveauté historique et si ses origines peuvent, en effet, être retracées sur pas moins d’un siècle, on ne peut pas en dire autant de l’essor et du niveau de soutien populaire dont il jouit actuellement, que les sondages situent à entre 40 et 50%.

« Le mouvement souverainiste a comporté certains aspects novateurs, notamment une tendance en amont, un degré de promiscuité politique ou encore un réseau d’auto-organisation, le dotant d’une capacité à dépasser les cadres classiques des partis », explique le professeur de science politique Joan Subirats, qui a étudié le souverainisme depuis la perspective de la nouvelle politique.

Au-delà de la sécession, il y a deux aspirations qui sont partagées par une majorité de la société catalane. D’une part, celle qui concerne une autonomie politique accrue et qui remonte déjà à la dernière décennie. Et d’autre part, plus récemment, la convocation d’un référendum sur l’autodétermination.

Si celles-ci ont constitué les demandes minimales de ce qui est désormais nommé le « processus souverainiste » au cours des dernières années, le carburant, lui, provenait d’organisations de la société civile comme Assemblea Nacional Catalana (ANC) et Òmnium Cultural. Ces deux entités ont réellement marqué l’agenda des partis politiques au pouvoir comme peu d’organisations en Europe ont su le faire au cours des 20 dernières années.

Jusqu’il y a peu, la relation entre l’ANC et Ómnium et les partis était une relation de pression et de surveillance depuis l’extérieur. Cependant, la convocation d’élections à caractère plébiscitaire et la préparation d’une longue liste pour le « Oui » ont contribué à ce que les deux organisations se joignent à la candidature occupée par l’actuel président du gouvernement autonome.

Ce changement dans les rapports entre la société civile et les partis est considéré avec ambivalence par le mouvement indépendantiste. Certains estiment qu’il pourrait nuire à l’autonomie de la société civile alors que d’autres argumentent qu’il s’agit d’une nouvelle phase dans le débordement politique auquel on assiste.

« Les partis qui intègrent Junts Pel Sí doivent réfléchir à comment éviter de décevoir par rapport au nouvel espace politique qu’ils ont ouvert », affirme Anna Gabriel, numéro deux des CUP, la liste pro-sécessionniste de gauche qui a refusé d’intégrer la candidature majoritaire de l’indépendantisme.

L’une des principales craintes, selon Anna Gabriel, est « que le processus ne soit mis à mal par une décision venant du haut », un pacte entre les élites qui, toujours selon elle, « pourrait réduire à néant les demandes populaires des dernières années ».

 

Un changement en Espagne comme antidote à la sécession

Le processus souverainiste catalan figure au nombre des grands enjeux qui marqueront la prochaine législature, pas seulement en Catalogne mais aussi au niveau de l’Espagne, où des élections législatives sont prévues cet automne.

Les deux partis émergents, Ciutadans et Podemos, qui se situent quasiment aux antipodes dans la majorité des propositions partagent au moins un point de vue en commun, y compris avec le parti social-démocrate traditionnel PSOE : Un changement en Espagne peut impliquer une baisse des aspirations indépendantistes en Catalogne.

Les positions à partir desquelles chacun d’entre eux aborde la question catalane sont, toutefois, diverses. Podemos table sur l’engagement d’un processus constitutionnel espagnol qui reformule la structure territoriale espagnole dans un sens fédéral et plurinational, pour lequel il requerrait le soutien improbable de 2/3 des Chambres.

Pour Ciutadans, en revanche, la modernisation de l’Espagne dans un sens libéral améliorerait, de par soi-même, la manière dont l’État est perçu par les Catalans.
La solution esquissée par une bonne partie des fédéralistes est celle formulée par Joan Coscubiela, numéro trois de Catalunya Sí Que Es Pot, qui rappelle qu’un vote affirmatif de la majorité absolue du Congrès espagnol suffit pour autoriser un référendum.

« La tenue d’un référendum est essentielle et constitue l’étape préalable à la rédaction d’une Constitution catalane », soutient Coscubiela, « un référendum avec des questions claires, qui puisse être clairement interprété en Catalogne, en Espagne et dans le reste de l’Europe. C’est la seule voie possible et c’est ce qu’a défendu Alex Salmond à maintes occasions. »

Au cours des six prochains mois, les gouvernements espagnol et catalan passeront tous les deux par des scrutins qui devraient être suivis d’un changement très probable de l’équilibre en Espagne et de la formation non moins probable d’un gouvernement nettement indépendantiste en Catalogne.

Quoi qu’il advienne, les élections catalanes du 27 septembre feront crisser les rouages de l’administration territoriale espagnole en place depuis le restauration de la démocratie et mettront à l’épreuve la capacité des acteurs politiques espagnols à trouver une issue démocratique à la revendication indépendantiste, au risque d’être confrontés à une déclaration d’indépendance unilatérale qui élèverait le conflit interne au niveau d’enjeu européen.

 

Cet article a été traduit de l'espagnol.