Égypte : La loi antiterroriste musèle la liberté d’expression

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« Ma vie a changé pour toujours le matin du mercredi 14 août 2013. Je prenais des photos de gens qui manifestaient dans les rues du Caire lorsque la police est intervenue pour bloquer les rues. Des milliers de personnes ont aussitôt été arrêtées, pas seulement des partisans de Morsi, mais aussi des dizaines de personnes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment ».

Ces lignes sont extraites d’une lettre envoyée en avril à plusieurs médias et groupes de défense des droits humains, par Mahmoud Abou Zeid, connu sous le nom de Shawkan, depuis sa cellule.

L’histoire de ce jeune photojournaliste de 27 ans n’est pas unique en Égypte : c’est l’histoire de nombreux reporters qui sont de plus en plus souvent pris pour cible par le gouvernement du fait de leur travail et qui vont bientôt subir les nouvelles mesures « bâillon » de la loi antiterroriste entrée en vigueur lundi.

Le projet de loi, qui avait déjà été approuvé en juillet par le gouvernement égyptien, a été adopté peu après l’assassinat du procureur général Hisham Barakat et la vague d’attentats meurtriers dans le nord du Sinaï, rappelle le gouvernement.

Or, les professionnels des médias ont fait part de leur profonde préoccupation à l’égard de ce qu’ils considèrent comme une censure de plus dans un pays où règne déjà une lourde atmosphère de répression contre toute personne qui critique le gouvernement d’Abdel Fattah Al-Sissi.

En juin, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a révélé qu’au moins 18 journalistes étaient derrière les barreaux en Égypte en raison des informations qu’ils avaient rapportées : c’est le chiffre le plus élevé dans le pays depuis que le CPJ a commencé à recenser ce type de données, en 1990.

« En Égypte, la menace de l’emprisonnement fait partie intégrante de ce climat dans lequel les autorités font pression sur les organes de presse pour censurer la critique et ordonner le silence sur les sujets sensibles […]. Les arrestations de journalistes sont souvent violentes, accompagnées de coups, de brutalités, de descentes au domicile des journalistes et de la confiscation de leurs biens  », indique le CPJ.

Cinq articles de cette loi inquiètent particulièrement le syndicat officiel des journalistes égyptiens, le Syndicate of Journalists.

Le plus sujet à controverse, l’article 33, entendait punir à deux ans d’emprisonnement minimum toute personne qui publierait de « fausses nouvelles ou informations » contredisant les communiqués officiels sur les « activités terroristes ». Mais suite aux critiques du syndicat et des organisations de défense des droits humains, le gouvernement a remplacé la peine d’emprisonnement par une amende allant de 200.000 à 500.000 EGP (25.000-64.000 USD).

Les quatre autres articles controversés ont été maintenus. Ils stipulent que tout « acte terroriste » commis oralement, par écrit ou tout autre moyen est passible d’au moins cinq années d’emprisonnement.

Tous ceux qui créent ou utilisent un site Internet pour diffuser des idées ou des croyances appelant à commettre des « actes terroristes », induire en erreur les autorités chargées de la sécurité, perturber « le cours de la justice » par tout « acte terroriste » ou échanger des messages avec des « groupes terroristes » encourent au moins cinq années de prison.

La législation interdit également de photographier ou d’enregistrer les audiences dans les affaires de lutte antiterroriste sans la permission du tribunal.

« Les autorités veulent contrôler toutes les informations et être l’unique source d’information des Égyptiens. Cette loi marque une nouvelle étape de la censure des médias », explique à Equal Times Khaled El-Balshy, responsable du comité des libertés du syndicat des journalistes.

« Cette loi contredit la constitution et les droits qui y sont associés », ajoute-t-il en promettant que son syndicat va continuer de contester cette loi et de défendre les journalistes détenus.

« Nous vivons actuellement la période la plus difficile que la liberté de la presse ait connue ».

Lors d’un entretien sur la chaîne télévisée égyptienne Sada El-Balad, le Premier ministre du pays, Ibrahim Mahlab, a précisé que la loi « ne visait pas le journalisme » et qu’elle n’empêchait pas la liberté d’expression. La loi est destinée à faire obstacle aux personnes qui publient de « fausses informations » sur l’armée.

Pour Mahlab, la couverture médiatique qui a fait suite aux attaques meurtrières dans le nord du Sinaï « a une incidence négative sur le moral des soldats à un moment critique ».

Il insiste par ailleurs sur le fait que le gouvernement respecte les médias et qu’il n’a absolument pas l’intention d’imposer la moindre censure.

Toutefois, le secteur des médias n’est pas le seul à s’inquiéter d’une loi que de nombreuses organisations considèrent comme une menace pour les droits humains en général.

Il y a un mois déjà, Amnesty International a déclaré que cette loi devait « être abandonnée sans délai ou révisée en profondeur ».

« Ce projet de loi antiterroriste renforce considérablement les pouvoirs des autorités égyptiennes et menace des droits aussi fondamentaux que la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. S’il est approuvé, il deviendra un nouvel outil au service des autorités pour réprimer toute forme de contestation », précise Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

Dix-sept groupes égyptiens de défense des droits ont également publié une déclaration commune pour condamner cette loi qui «  sacrifie les droits humains et le respect du droit sur l’autel de la lutte antiterroriste ».

 

Cet article a été traduit de l’anglais.

Cet article a été traduit de l'anglais.