En Équateur, un conflit minier vieux de vingt ans

Au nord de l’Équateur, cela fait vingt ans que les habitants des communautés de la vallée de l’Intag résistent contre l’implantation d’une mine de cuivre à ciel ouvert.

Celle-ci menace une des zones les plus riches du monde en termes de biodiversité appelée « forêt de nuages », en partie forêt primaire. Ces écosystèmes uniques abritent des espèces animales et végétales rares et menacées.

En 1995 déjà, les quelque 17.000 habitants de la région ont tenu tête aux Japonais de BishiMetals et, en 2008, ont réussi à expulser les Canadiens de Ascendant Copper.

Mais depuis 2012, l’adversaire a changé. Suite à l’accord conclu entre la société d’État équatorienne ENAMI-EP et la CODELCO, le géant chilien du cuivre, c’est le gouvernement équatorien, avec Rafael Correa à sa tête, qui veut mettre la main sur le précieux minerai.

Le leitmotiv de Correa est clair : « Nous ne pouvons pas être des mendiants assis sur un sac d’or. »

À cette fin, le président équatorien, réélu une troisième fois en 2013, a ouvert l’exploration de cuivre, d’or et d’argent aux investisseurs étrangers.

Junín, encaissée au fond de la vallée de l’Intag, est au cœur de la concession du projet minier nommé Llurimagua. Impossible de ne pas ressentir la tension qui règne dans ce petit village de 260 habitants.

La communauté est scindée en deux clans, ceux en faveur de la mine et ceux qui sont contre. « On s’évite, et quand on se croise on s’affronte directement. Nos amis sont devenus nos ennemis alors qu’avant on était comme ça, comme les deux doigts de la main », déplore Carmencita, âgée d’une soixantaine d’années, dont un tiers passées à lutter contre les entreprises minières.

C’est en mai dernier que les tensions entre les habitants se sont cristallisées, quand les employés d’ENAMI-EP sont entrés dans la vallée, escortés par la police.

Plus d’une centaine de policiers ont depuis pris leurs quartiers dans cette région tropicale des Andes, officiellement pour « maintenir l’ordre ».

 

Contestation muselée

De cette détermination du gouvernement, Javier Ramírez s’en est rendu compte à ses dépens.

Le président de la communauté de Junín est en détention depuis le 10 avril 2014, et toujours en attente de jugement.

L’accusation portée par la ENAMI-EP est de « terrorisme, rébellion et sabotage ». Il lui est reproché d’avoir provoqué des actes de vandalisme à l’encontre du personnel de la société qui souhaitait se rendre dans la zone du projet.

« Mais Javier était chez lui, il s’était blessé au genou et ne pouvait pas marcher ! », dénonce Marcia Ramírez, cousine de l’accusé, qui pointe du doigt les méthodes d’intimidation mises en place dans le secteur.

Le résultat de cette arrestation s’est vite fait ressentir, « Maintenant les gens ont peur de protester, on ne sait pas ce qui va se passer, tout ça c’est politique », ajoute celle-ci.

À Junín, les pro-mine ne sont pas bavards, et c’est vers Óscar Ortiz qu’on renvoie l’équipe d’Equal Times.

Car Oscar, « il peut parler ». Son statut officiel n’est pas clair mais il a été choisi par l’entreprise d’État pour convaincre les habitants de sa communauté d’accepter l’implantation de la mine.

Certains évoquent 600 dollars par mois pour participer à cette « socialisation ». Deux fois le salaire minimum en Équateur.

Oscar ne dément pas la rumeur.

« Nous, ce qu’on souhaite, c’est que l’entreprise installe son campement à Junín. Pas ailleurs. On veut des bénéfices directs pour notre communauté, » explique-t-il.

L’argent, c’est ce qui a fait pencher la majeure partie des habitants en faveur de la mine.

Les policiers mobilisés dans le village sont hébergés par ceux qui ont choisi de soutenir le projet. Des revenus faciles et conséquents pour des familles qui n’ont souvent d’autres ressources que leurs petits lopins de terre.

Le 28 novembre dernier, l’étude d’impact environnemental préalable à l’exploration avancée a été approuvée par les autorités.

Cette phase, qui débutera cette année et durera entre six et huit ans, permettra de déterminer si les ressources en cuivre sont suffisantes pour rendre le projet rentable et démarrer l’exploitation.

Diego Zambrano, dont la charge incombe de présenter l’étude au nom de la ENAMI-EP, l’admet : « Toute activité humaine a un impact sur l’environnement. Mais c’est aujourd’hui un choix stratégique pour l’État équatorien, qui a déjà prévu d’investir cinq millions de dollars pour rénover les infrastructures publiques dans la région. »

L’association environnementaliste Defensa y Conservación Ecológica de Intag (DECOIN) a, en vain, dénoncé de nombreuses irrégularités dans l’étude, réalisée en seulement dix jours.

Outre l’importance de préserver cet environnement unique, cette lutte contre les projets du gouvernement est devenue un symbole en Équateur. Le symbole d’une désillusion.

En 2007, après la première élection de Rafael Correa, les contrats de concessions minières avaient été suspendus ou annulés, suscitant de nombreux espoirs pour les communautés des régions reculées du pays.

« Quand Correa a gagné, nous pensions que nous étions sauvés », se souvient Marcia.

« Mais Correa a changé et aujourd’hui tout ce qu’il veut c’est exploiter toutes les ressources naturelles ! C’est une déception terrible. On a voté pour lui, on y croyait et aujourd’hui on veut qu’il s’en aille », ajoute-t-elle, amère.

Cet article a été traduit de l'anglais.