En Syrie, la ligne pourpre de l’ONU

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« La situation est tellement désespérée, entre les bombardements permanents du régime syrien et la guerre psychologique de l’État islamique, que chaque bonne nouvelle, même petite, est à prendre. La résolution 2235 par le Conseil de sécurité de l’ONU [Organisation des Nations unies] en est une. Pour la première fois, les experts missionnés vont enquêter pour trouver le responsable des attaques chimiques perpétrées en Syrie », soutient Hamish de Bretton-Gordon, expert britannique en armes chimiques, dans une interview avec Equal Times.

Il y a deux ans exactement, cinq missiles sol-sol chargés de gaz sarin s’abattaient sur la Ghouta, la banlieue de Damas où l’Armée syrienne libre (ASL) avait remporté des batailles décisives contre l’armée syrienne de Bachar el-Assad.

Environ 3600 personnes ont été touchées par ce neurotoxique qui entraîne de graves lésions et provoque la mort par asphyxie. Entre 355 personnes selon Médecins sans frontières, et 1845 selon l’ASL en sont décédées.

Ces missiles ont été tirés tout juste un an après la mise en garde du président américain Barack Obama : « Nous avons indiqué très clairement au régime d’el-Assad, ainsi qu’aux autres acteurs sur le terrain, qu’une ligne rouge, pour nous, sera dépassée lorsque nous commencerons à voir tout un arsenal d’armes chimiques déplacé et utilisé », avait prévenu Barack Obama le 20 août 2012.

En lieu et place d’une intervention militaire américaine, cette attaque a mené à un accord diplomatique: avec la résolution 2118 de l’ONU, la Syrie est devenue membre de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, le 14 septembre 2013.

Elle s’engageait alors à déclarer et à détruire tout son stock d’armes chimiques, sous la supervision de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

Aujourd’hui, l’OIAC affirme que 98,8 % de l’arsenal chimique déclaré par le régime syrien a été détruit.

Quant au massacre de la Ghouta, l’utilisation du gaz sarin a été confirmée, mais son responsable n’a pas été identifié par les enquêteurs envoyés par l’ONU et l’OIAC, dont ce n’était pas le mandat.

Pourtant, un rapport de Human Rights Watch met en évidence que deux des cinq missiles ont été tirés depuis la base de la 104e brigade de la Garde républicaine, un site militaire du régime syrien.

Fin de l’histoire? Plutôt le début de l’horreur. Depuis la résolution 2118, de nouvelles attaques chimiques ont été perpétrées dans les territoires syriens opposés au régime.

Une dizaine de bombardements au gaz chloré ont eu lieu dans la banlieue de Hama entre février et avril 2014; entre mars et mai 2015, c’était au tour de la population d’Idlib d’être la cible de ce gaz qui brûle les tissus des poumons. Ces attaques ont fait des dizaines de morts et de blessés parmi les civils.

L’identité du responsable de ces attaques ne fait aucun doute pour Hamish de Bretton-Gordon : « Avec l’ONG britannique Syrian Relief, nous avons formé le personnel de santé local à réagir en cas d’attaque chimique, mais aussi à collecter des preuves. En avril 2014, un médecin a risqué sa vie pour m’apporter des échantillons de Kfar Zita et à Talmenes, où des attaques chimiques avaient eu lieu. Depuis la frontière turque, j’ai pu les analyser et confirmer la teneur en chlore. Lorsqu’une attaque a eu lieu à Sarmin en avril 2015, j’ai aussi obtenu des échantillons confirmant l’usage du chlore. Chaque fois, les médecins ont aussi rapporté des vidéos montrant les bombes barils larguées depuis des hélicoptères. Or seul le régime en possède. »

L’ONU a dénoncé l’usage du chlore comme arme chimique en Syrie, à travers le vote de la résolution 2209 en mars 2015. Mais là encore, le criminel n’est pas nommé.

Voilà pourquoi la résolution 2235 votée le 7 août redonne enfin un espoir de justice, même infime, au Britannique. Le Conseil de sécurité y exprime « sa détermination à identifier les responsables de ces actes et réitère que les individus, entités, groupes, ou gouvernements responsables de tout usage d’armes chimiques, incluant le chlore ou tout autre produit chimique, doivent être tenus pour responsables ».

Après la ligne rouge américaine, voici la ligne pourpre de l’ONU.

 
« Promesses brisées » de l’ONU

Une décision trop tardive pour le docteur Majed Aboali, qui était au chevet des victimes de la Ghouta le 21 août 2013 : « Dès début 2013, nous avons reçu les premières victimes d’attaques chimiques. Nous avons alerté l’ONU, les ONG, demandé du matériel spécial pour ce genre de victimes. En vain. Je pense que le régime testait la réponse de l’extérieur. Alors il y a eu le 21 août. Et après? De nombreux médecins et militants ont parlé et rien ne s’est passé. Désormais, vous ne pouvez pas demander aux Syriens d’attendre quoi que ce soit des résolutions de l’ONU! », dit-il dans une interview avec Equal Times.

Plus nuancé, le Centre syrien de justice et de responsabilité se félicite d’ « une résolution trop longtemps attendue », mais regrette : « Un engagement à référer le dossier à la Cour pénale internationale ou à établir un tribunal pour poursuivre les auteurs aurait envoyé un signal beaucoup plus fort. »

Deux ans après l’attaque du 21 août 2013, quelque 500.000 habitants vivent toujours dans la Ghouta, sous le siège du régime syrien. « Les gens ne meurent pas que des attaques chimiques. Il y a la faim, les eaux polluées, les bombardements de barils de TNT. Qu’espère la communauté internationale de la génération qui grandit sous le siège? Les enfants ne savent pas ce qu’est une banane, mais on peut s’y procurer un pistolet en une heure! », s’alarme le docteur Majed depuis la Turquie, où il a trouvé refuge en 2014.

Dimanche 16 août, un bombardement aérien du régime syrien a tué 112 civils et en a blessé 270 dans le marché de Douma, la capitale de la Ghouta, selon le Centre de documentation des violations.

« Chaque jour, nous devons sortir des corps des décombres suite à des attaques au baril de TNT. Que ce soit à Idlib, à Alep, Lattaquié, Hama, Homs, Deraa, ou dans la banlieue de Damas. Le régime multiplie les bombardements des marchés, des hôpitaux et de tous les lieux où les civils se réunissent », témoigne Majd Khalaf, membre des Casques blancs, les secouristes civils syriens qui ont déjà sauvé plus de 22.000 vies.

En février 2014, la résolution 2139 de l’ONU demandait de mettre un terme à l’utilisation de bombes barils en Syrie.

Depuis, aucune mesure n’a été prise malgré l’usage quotidien de cette arme par l’armée syrienne contre son peuple. Alors sur leur site internet, les Casques blancs n’hésitent pas à parler de « promesse brisées ».

Ils rappellent aussi que le Conseil de sécurité de l’ONU s’était engagé, à travers la résolution 2209 de mars 2015, à recourir au chapitre VII de la Charte de l’ONU et à l’usage de la force pour protéger les civils, si les attaques chimiques continuaient.

Et de conclure: « En échouant à agir, les membres du Conseil de sécurité encouragent les criminels. »