Halte à l’impunité au Bahreïn

 

Depuis le début du soulèvement du 14 février 2011, le gouvernement du Bahreïn livre une campagne de répression contre sa population civile.

Les appels à la démocratie, au respect des droits humains et à la justice reçoivent pour toute réponse des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture, la diffamation des médias, des arrestations arbitraires et des détentions.

L’emprisonnement injustifié de militant(e)s politiques est à l’origine d’une surcapacité des prisons de 33 pour cent, et des détenus meurent sans recevoir de soins médicaux adaptés.

L’arme essentiellement utilisée contre les manifestant(e)s et les civil(e)s est l’usage inapproprié des équipements antiémeute, notamment sous forme de bombes de gaz lacrymogène en provenance de l’étranger.

Les gaz lacrymogènes sont utilisés pour faire peur aux dissident(e)s du Bahreïn. En 1000 jours, près de deux millions de bombes de gaz lacrymogène ont été lancées, d’après les militant(e)s.

Il s’agit d’une arme de choix pour les forces de sécurité bahreïnies puisqu’elle peut passer pour une forme de contrôle antiémeute, contrairement à l’usage des balles réelles.

Ces dernières ont certes été utilisées au tout début des manifestations, mais le gouvernement craignait une trop forte critique internationale.

Presque toutes les nuits, les forces de sécurité du Bahreïn lancent des bombes de gaz lacrymogènes sur des foyers, des véhicules, des lieux de culte, des entreprises et même des terrains de sport, comme en témoignent ces vidéos.

Par ailleurs, les gaz lacrymogènes font en quelque sorte office de punition collective à l’égard de civil(e)s innocents, qui sont les véritables victimes des opérations de police exagérées et exécutées sans discernement.

Un appel d’offres faisant état d’une importante commande de gaz lacrymogène pour le Bahreïn a récemment été divulgué par le groupe de recherche Bahrain Watch.

Le document révélait l’intention du gouvernement d’importer encore 1,6 millions de bombes de gaz lacrymogène, ainsi que 90.000 grenades de gaz lacrymogènes et 145.000 grenades assourdissantes.

Les appels d’offres du ministère de l’Intérieur du Bahreïn ne sont généralement pas accessibles au public.

Avec la publication de ce document, c’est la première fois qu’une commande de gaz lacrymogène flagrante est rendue publique.

Une campagne mondiale, intitulée « Stop The Shipment » (#StopTheShipment – Halte aux cargaisons), a été lancée le 18 octobre 2013 par Bahrain Watch, pour interpeller les fabricants de gaz lacrymogènes de Corée du Sud, d’Afrique du Sud et d’Allemagne, ainsi que leurs autorités nationales respectives, pour leur demander de cesser toute exportation de gaz lacrymogènes à destination du Bahreïn.

Les examens pratiqués sur des bombes lacrymogènes utilisées contre des manifestant(e)s bahreïnis ont permis à Bahrain Watch d’identifier les fabricants de gaz lacrymogènes impliqués.

Il s’agit de DaeKwang Chemical Company Ltd et de CNO Tech Ltd (Corée du Sud), et de Rheinmetall Denel Munitions (société germano-sud-africaine).

Un lien a été établi entre l’utilisation des gaz lacrymogènes produits par DaeKwang Chemical Company et par Rheinmetall Denel Munitions et le décès de deux adolescents, Sayed Hashim, âgé de 15 ans, et Ali Al Shaikh, âgé de 14 ans.

 

 

Conséquences fatales

Plus de 31.000 courriers électroniques ont désormais été envoyés aux autorités concernées au sujet de cette commande, ce qui a renforcé la campagne, dans le cadre de laquelle la Korean Federation of Trade Unions (Fédération coréenne des syndicats) demande au gouvernement sud-coréen d’interdire toutes les exportations de gaz lacrymogènes au Bahreïn.

On ne peut qu’insister sur l’importance d’une telle cargaison : les gaz lacrymogènes constituent actuellement l’arme principale de la répression à l’encontre des dissident(e)s bahreïnis.

Le recours excessif au gaz CS, le principal composant du gaz lacrymogène, a eu des conséquences fatales ces dernières années au Bahreïn.

Plus de 39 personnes ont été tuées, soit du fait d’une exposition constante aux gaz lacrymogènes, soit en raison des traumatismes dus au choc physique direct des bombes lancées par le personnel de sécurité.

Au moins quatre personnes ont perdu la vie après avoir reçu des bombes lacrymogènes, généralement sur la tête ou dans le cou, comme le jeune Ali Al Shaikh, âgé de 14 ans, blessé à tête lors d’une manifestation pacifique.

Une autre victime, Mahmood Al Jaziri, est décédée à l’âge de 20 ans, le 22février 2013, après avoir reçu en pleine tête une bombe lancée par la police antiémeute, comme le montre ce film.

Des journalistes ont été pris pour cible et les forces de sécurité ont même fait irruption dans une école de garçons cette année, étouffant les élèves et les professeurs sous les gaz lacrymogènes.

Même pendant l’enterrement des personnes tuées par les forces de sécurité, les gaz lacrymogènes sont systématiquement utilisés.

Les médecins qui soignent des civil(e)s exposés au gaz toxique ont signalé des complications à long terme pour la santé.

Le nombre de fausses couches a augmenté, ainsi que les complications chez les patient(e)s atteints d’hémoglobinose.

Une hausse des cancers est également à craindre en raison de l’exposition excessive au gaz CS.

D’après l’organisation Physicians for Human Rights, l’utilisation de gaz lacrymogènes au Bahreïn est devenue une arme, ce qui crée une situation « sans précédent » dans le monde.

 

 

Inquiétude

Les Nations Unies ont appelé à ce que soient menées des enquêtes indépendantes au sujet des « rapports inquiétants » adressés au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme quant à l’usage excessif et disproportionné de gaz lacrymogène, de balles de petit calibre et de balles en caoutchouc auquel recourent les forces de sécurité du Bahreïn contre les manifestant(e)s et les civil(e)s.

De même, le Parlement européen a fortement désapprouvé l’usage du gaz lacrymogène au Bahreïn et a appelé à sanctionner tous les individus directement responsables des atteintes aux droits humains dans le pays ; il demande également la mise en place de restrictions rigoureuses pour les exportations de l’UE concernant les technologies de surveillance, les gaz lacrymogènes et les équipements antiémeute.

Des organisations non gouvernementales telles que Human Rights Watch, Amnesty International et Human Rights First ont toutes fait part de leur inquiétude face à l’usage oppressif du gaz lacrymogène au Bahreïn.

Le recours incessant à la force et aux représailles contre les manifestant(e)s et les civil(e)s résulte de l’impunité et du manque d’obligation de rendre des comptes à l’égard des graves violations des droits humains qui persistent à ce jour au Bahreïn.

La profession médicale a été ciblée de telle sorte qu’aucun type de soins ne puisse être prodigué aux personnes qui ont été blessées dans le cadre de la répression du gouvernement.

Des médecins ont été arrêtés, torturés et emprisonnés, laissant derrière eux/elles des blessé(e)s livrés à eux/elles-mêmes.

Les procès, de pure forme, servent uniquement à pénaliser les personnes qui critiquent le régime.

Les citoyen(ne)s arrêtés pour des raisons liées aux manifestations sont ensuite condamnés à de lourdes peines de prison, souvent plus longues que celles des personnels de sécurité accusés d’avoir tué ou torturé des manifestant(e)s.

La semaine dernière seulement, un agent de police accusé d’avoir tiré mortellement sur un manifestant en 2011 a vu sa peine de prison ramenée à trois ans, alors que des dissident(e)s accusés d’avoir brûlé des pneus ont été condamnés à cinq années d’emprisonnement.

Non seulement les tortionnaires échappent aux poursuites judiciaires, mais ils sont en plus « remerciés » pour leur services par le Premier ministre, Son Altesse Royale le prince Khalifa ben Salman Al Khalifa.

L’évolution de la situation au cours des prochains mois est imprévisible, en particulier en ce qui concerne l’annulation, ou non, de la commande de gaz lacrymogènes.

Toujours est-il qu’il faut intensifier la pression internationale afin que les fonctionnaires et les agents de sécurité accusés de violations des droits humains rendent compte de leurs actes.

Il faut mettre un terme aux exportations de gaz lacrymogènes au Bahreïn, jusqu’à ce que cette culture d’impunité prenne fin et qu’une véritable réforme soit mise en place.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.