Justice pour les 72 travailleurs tués dans l’incendie de Kentex

Les travailleurs philippins ont une multitude de problèmes et de combats à surmonter : salaires faibles ou instables, primes misérables ou incertaines, employeurs ou dirigeants violents ou indélicats, aucune sécurité de l’emploi, manque de contrats sûrs, lois et politiques hostiles aux travailleurs et aux syndicats, attitude antisyndicale, conditions d’emploi injustes dans des environnements de travail inhumains ou des lieux de travail qui enfreignent de manière évidente les normes obligatoires de santé et de sécurité au travail.

Voilà ce qui nous a amenés à la nouvelle tragédie industrielle horrible et absurde du 13 mai, qui aurait pu être évitée si les normes de santé et de sécurité au travail et d’autres mesures connexes étaient rigoureusement mises en œuvre, régulièrement révisées et constamment rappelées.

L’incendie qui a fait rage pendant sept heures dans l’usine de sandales en caoutchouc Kentex Manufacturing Inc., à Valenzuela, une banlieue du nord de Manille, a coûté la vie à 72 personnes.

L’enquête sur l’incendie devrait se focaliser sur l’élément qui est essentiellement perçu comme étant responsable de la catastrophe : comment l’entreprise a-t-elle pu donner l’autorisation stupide et irréfléchie de placer l’activité de soudage, qui génère des étincelles, à l’entrée de l’usine, à côté de la zone de stockage de produits chimiques combustibles qui peuvent facilement s’enflammer ?

De même, les deux entrées sur le devant de l’usine et les portes de derrière, ainsi que les présumées issues de secours, étaient-elles suffisantes et situées à des endroits stratégiques ?

Et, compte tenu du nombre d’employés qui se sont retrouvés piégés au premier étage de l’usine, n’y aurait-il pas eu d’infraction à la limite maximum d’occupation du bâtiment ?

Un travailleur, employé à l’usine depuis cinq ans, reconnaît qu’il n’a « jamais, jamais participé à un exercice d’incendie ». De nombreuses entreprises du pays ne tiennent pas compte des règles de sécurité incendie, qui font partie des normes plus générales de santé et de sécurité au travail.

 

« Une abominable culture de l’indifférence »

La centrale syndicale nationale Sentro ng mga Nagkakaisa at Progresibong Manggagawa (SENTRO) transmet ses plus sincères condoléances et fait part de sa grande solidarité aux familles et aux proches de tous les travailleurs qui ont perdu la vie ou ont été blessés dans l’incendie de Kentex.

Les employés de Kentex, par leur vie et leurs graves blessures, ont payé le prix fort de la désorganisation totale des systèmes gouvernementaux chargés d’appliquer les lois du travail, et du mépris manifeste des employeurs à l’égard des lois obligatoires sur les salaires, les indemnités liées à la protection sociale et les directives élémentaires sur la sécurité au travail.

Cette attitude illustre bien l’abominable culture de l’indifférence qui règne chez de nombreux fonctionnaires – à commencer par le président Aquino lui-même, qui n’a toujours pas rendu hommage aux victimes de l’incendie, et les employeurs qui songent avant tout aux bénéfices – en ce qui concerne l’application des directives existantes pour protéger les droits élémentaires et le bien-être des travailleurs.

SENTRO et ses alliés du mouvement syndical, en particulier la coalition syndicale NAGKAISA, lancent un appel aux gouvernements nationaux et locaux en faveur de l’application totale des normes de santé et de sécurité au travail et d’autres lois et réglementations s’y rapportant, et pour que tous les contrevenants soient fermement punis, notamment ceux qui sont impliqués dans l’accident absolument inadmissible de Kentex.

Nous demandons également à Rosalinda Baldoz, la secrétaire du ministère du Travail et de l’emploi, de mettre en place un « Groupe de travail tripartite pour Valenzuela », qui organisera des inspections inopinées d’usines de Valenzuela afin de prendre des mesures énergiques contre les ateliers qui exploitent leur main-d’œuvre.

Suite à la tragédie survenue à nos camarades de Kentex, nous pensons qu’il est désormais impératif de vérifier que les employeurs respectent toutes les lois existantes du travail, les normes de sécurité et les normes concernant la sécurité incendie et la structure des bâtiments, et que toutes les autres obligations sont également respectées au niveau municipal avant toute délivrance de permis commerciaux et de licences d’exploitation.

La justice ne doit pas uniquement être rendue aux victimes de Kentex et à leur famille, mais aussi aux innombrables travailleurs de tout le pays qui sont employés au titre du même système « pakyawan » (travail rémunéré à la pièce) ou embauchés par des agences de recrutement non répertoriées et non réglementées.

Ces travailleurs ne bénéficient d’aucune indemnité réglementaire, encore moins d’un salaire minimum, et sont contraints de travailler dans des locaux dangereux, où leur vie est sacrifiée sur l’autel du profit.

Nous sommes absolument convaincus que les activités immorales et illégales des propriétaires de Kentex sont en fait très répandues à Valenzuela, et que les inspections devraient commencer par examiner le voisinage de l’usine ravagée par l’incendie, et observer les entreprises qui font appel à des agences de recrutement non répertoriées.

Il serait souhaitable que ces inspections soient aussi effectuées dans les entreprises qui ont volontairement procédé elles-mêmes à l’évaluation de leurs normes de travail. Le meilleur moyen de faire appliquer les normes de sécurité n’est certainement pas de faire confiance aux données relevées par des employeurs et des propriétaires d’usines qui ne recherchent que leurs propres intérêts.

Les mesures de répression ainsi proposées pour Valenzuela auraient un retentissement national et permettraient, en pointant du doigt ceux qui ne respectent pas les normes, d’assurer un meilleur respect des normes du travail – c’est du moins ce que nous espérons.

Nous exhortons le gouvernement à saisir cette opportunité historique de rendre justice, pas seulement au nom des employés de Kentex, mais aussi pour briser enfin la culture et la pratique largement répandues de l’irresponsabilité des entreprises, qui rend la mort de ces travailleurs à la fois immorale, infâme et criminelle.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.