L’avenir incertain des forêts péruviennes

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1300 m3 de bois dont 71 % d’origine illégale. L’équivalent de ce que peuvent transporter soixante poids lourds. Une valeur de plus de 400.000 euros (447.000 USD).

L’immobilisation, fin novembre 2015, par l’Organisme de gestion des ressources forestières (OSINFOR) du Pérou d’un chargement de bois illégal à destination des États-Unis et du Mexique est historique. Ce serait la plus grande saisie de l’histoire du pays selon la presse péruvienne.

Un homme en particulier est derrière le succès de cette opération : Roland Navarro, le président exécutif d’OSINFOR et « personnage clé de la lutte contre la coupe illégale ».

Cependant, à la surprise générale, le gouvernement a décidé le 15 janvier de ne pas renouveler son mandat. Cette décision surprend et rend perplexes les spécialistes.

Certains estiment que Navarro paye les conséquences d’avoir utilisé, pour la première fois, le décret législatif 1220. En plus de déclarer d’intérêt national la lutte contre la taille illégale, il facilite la saisie de bois dont la provenance est jugée illégale.

Mais depuis sa promulgation, ce décret cristallise les oppositions. Les associations de bûcherons dénoncent qu’on les compare à des narcotrafiquants et que des emplois sont mis en danger dans la région.

Pour se faire entendre, ils multiplient piquets de grève, blocage des voies

Dans le même temps, la pression politique se fait de plus en plus forte. Plusieurs députés ont tenté de réduire l’impact de la loi dans des propositions au Congrès.
« Destituer Rolando Navarro, c’est aussi une attaque contre ceux qui luttent contre ce fléau dans notre pays et un message envoyé à tous les fonctionnaires pour qu’ils n’essaient plus d’arrêter la mafia de la taille illégale » pointe Julia Urrunaga, présidente de l’ONG Environnemental Investigation Agency au Pérou.

 

2 % des forêts péruviennes détruites en 10 ans

Pourtant, les 113.000 hectares de forêts détruits chaque année entre 2000 et 2013 ont fait du problème une priorité pour l’État péruvien.

La superficie totale des forêts péruviennes était estimée à 73 millions d’hectares en 2011. Chaque année, c’est donc 0,15 % des forêts péruviennes qui est détruit. Soit un peu plus de 2 % depuis l’an 2000.

En visite aux États-Unis, Pedro Cateriano, le président du Conseil des ministres, a répété l’engagement de son pays.

Une posture en partie liée à une prise de conscience mais aussi au traité de libre-échange signé avec le pays nord-américain en 2008. La section environnementale de l’accord comprend ainsi une partie spécifiquement liée à la gestion du secteur forestier.

« Le Pérou a eu l’obligation de mettre en place un véritable suivi de la situation, un plan de lutte contre la corruption et d’augmenter les effectifs des personnes luttant contre la taille illégale », explique Julia Urrunaga.

« Aujourd’hui, il y a une structure légale au Pérou, des lois qui devraient permettre d’agir. Le problème c’est la corruption qui persiste à tous les niveaux, du policier à l’ingénieur forestal qui signe l’inventaire », explique pour Equal Times Nelly Luna Amancio, journaliste du média d’investigation Ojo Público et auteure des révélations sur la saisie record.

Depuis 2008, l’OSINFOR a révélé beaucoup de dysfonctionnements, notamment en confrontant les rapports d’exploitation à la réalité du terrain. Souvent, ils découvraient que l’origine du bois avait été trafiquée. « Aux coordonnées indiquées, il y avait un champ ou un fleuve… mais pas d’arbres ou rien qui indique qu’on y avait coupé des arbres », détaille la journaliste.

L’organisation interrogée par Equal Times, évoque une période de transition et ne souhaite pas répondre.

Mais dans un communiqué publié sur son site, elle dénonce « des attaques qui veulent rabaisser la qualité du travail de l’OSINFOR ».

Un membre d’une ONG environnementale qui souhaite garder l’anonymat révèle à Equal Times : « Il y a deux courants en ce moment dans le gouvernement et les institutions. Ceux qui veulent lutter contre la taille illégale et ceux qui souhaitent que l’on n’en fasse pas trop parce que c’est mauvais pour l’image du pays. L’organisation s’est aussi faite beaucoup d’ennemis dans les gouvernements régionaux ».

Et la situation sur le terrain est de plus en plus compliquée. En novembre 2014, l’ONG Global Witness soulignait que le Pérou était le quatrième pays le plus dangereux au monde pour les défenseurs de l’environnement, avec 57 morts entre 2000 et 2014.

Parmi eux, Edwin Chota assassiné avec trois de ses compagnons en septembre 2014 pour avoir lutté contre des bûcherons illégaux. Un an et demi plus tard, les coupables n’ont toujours pas été identifiés.