L’industrie du plomb fait plier le Mexique

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Le Mexique, qui ne traite toujours pas correctement les risques environnementaux et professionnels du plomb, s’est transformé en un paradis pour les activités telles que le recyclage de vieilles batteries en plomb-acide provenant du Canada et des États-Unis.

Le pays est sur le point d’adopter une réglementation sur la gestion du recyclage du plomb, laquelle stipulera des plafonds pour la présence de ce métal dans le sang.

En outre, la Commission de coopération environnementale d’Amérique du Nord (CCE) envisage l’adoption d’une série de lignes directrices volontaires sur les meilleures pratiques et les technologies qui permettraient un traitement écologique des accumulateurs usagés, lignes directrices dont Equal Times a pu lire la première mouture.

Cependant, certains experts estiment qu’il est peu probable que ces outils changent réellement les pratiques opérationnelles du secteur, et que de ce fait les risques pour l’environnement et pour la santé des travailleurs perdureront.

« Les règles ne sont pas respectées au Mexique. Les autorités censées les faire appliquer sont acquises aux intérêts du secteur. Du fait de l’absence de sanctions, les entreprises mexicaines ne s’occupent pas du sujet. Elles ne nous laissent pas rentrer [dans les usines], nous ne savons pas ce qui s’y passe, nous ne connaissons pas l’ampleur de la pollution, il y a trop peu de recherche. Le Mexique restera un paradis pour le recyclage », signale Cuauhtémoc Juárez, professeur de la Faculté de Médecine de l’Université nationale autonome du Mexique, à Equal Times.

Le laxisme dans l’application des réglementations et les faibles coûts pratiqués au Mexique ont fait de ce pays une destination prisée pour les batteries automobiles usagées, dont le recyclage est un marché florissant pour des entreprises canadiennes, étasuniennes et mexicaines.

Depuis 2007, le nombre d’accumulateurs qui arrivent au Mexique ne cesse d’augmenter. En 2012, le pays en a acheté 863.164 tonnes, et au mois de mai 2013 les importations avaient atteint 153.283 tonnes.

Le Conseil international de la pile indique que dans les trois pays d’Amérique du Nord, pratiquement 100 % de ces produits sont recyclés, parce que ce procédé coûte moins cher que l’extraction minière du plomb, et que l’on peut recycler indéfiniment le produit.

« Nous ne pouvons qu’espérer une amélioration de la situation. Si par exemple d’ici quatre ou cinq ans la réglementation mexicaine rattrapait le niveau de celles des autres pays d’Amérique du Nord, et si l’on se dotait en plus de mécanismes de surveillance, alors les choses pourraient changer », affirme Marisa Jacott, directrice de Fronteras Comunes, à Equal Times.

Une grande proportion du plomb est récupérée à des fins de recyclage dans des usines de fonte secondaire, pour être ensuite utilisée dans la fabrication de batteries, lesquelles peuvent contenir entre 60 et 80 % de plomb et de plastiques recyclés.

Or, il s’agit d’un métal toxique, persistant et bioaccumulable, et de surcroît le traitement des accumulateurs usagés a des répercussions en matière d’environnement, d’économie et de santé

Le plomb est absorbé par l’organisme, et il endommage le système nerveux, le cœur, les reins, les os et les organes reproducteurs.

 

Un long chemin à parcourir

Les lignes directrices dont la CCE discute avec le gouvernement, les entreprises, les universitaires et la société civile ont pour but de décider d’un socle commun normatif pour l’activité concernée.

La CCE, créée dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, qui est en vigueur depuis 1994, indique que la réglementation environnementale chaque fois plus sévère au Canada et aux États-Unis a permis des améliorations, mais que cela n’a pas eu lieu au Mexique.

Les travaux menés conjointement par Occupational Knowledge International, une organisation étasunienne, et par FC permettent de conclure que les émissions atmosphériques des usines de recyclage mexicaines ont des concentrations jusqu’à 20 fois plus hautes que celles des usines aux États-Unis, et que les travailleurs mexicains ont des niveaux de plomb dans le sang jusqu’à cinq fois plus élevés.

Le Canada compte 10 fonderies, avec une capacité annuelle installée de 475.550 tonnes. Le Mexique en a 25, pour 1.504.669 tonnes, et les États-Unis 14, pour 1.874.387 tonnes.

Les travaux menés conjointement par Occupational Knowledge International, une organisation étasunienne, et par FC permettent de conclure que les émissions atmosphériques des usines de recyclage mexicaines ont des concentrations jusqu’à 20 fois plus hautes que celles des usines aux États-Unis, et que les travailleurs mexicains ont des niveaux de plomb dans le sang jusqu’à cinq fois plus élevés.

« De grandes inconnues demeurent quant à la situation réelle des travailleurs exposés au plomb, d’autant qu’une partie de la population exposée au plomb n’est pas comptabilisée », affirme Juárez.

Le Mexique est doté d’au moins neuf textes normatifs concernant l’utilisation et la gestion du plomb, la plupart datant d’il y a plus de dix ans.

Si l’on en croit les données de l’Institut mexicain de la sécurité sociale, les intoxications au plomb auraient tendance à diminuer depuis les années quatre-vingt-dix, à l’exception de l’année 2004 où le nombre de cas avait été de 80. En 2009, 10 cas ont été signalés, mais 28 l’année suivante. D’après Juárez, ces données sont inférieures à la réalité car les entreprises ne signalent pas tous les cas.

La CCE signale que le système de gestion écologiquement rationnelle du plomb doit comporter une surveillance de la pollution atmosphérique et des émissions fugitives, un traitement des eaux résiduaires ainsi qu’une gestion des déchets solides.

S’il est vrai que la future réglementation prévoit des niveaux maximum de plomb dans le sang comparables à ceux d’autres pays, elle est plus souple concernant les fréquences des analyses. En outre, critique Jacott, elle prévoit une période de quatre ans avant d’atteindre les niveaux stipulés.

« La réglementation ne précise pas de quelle manière sera effectuée la surveillance. La période transitoire est trop longue. Il n’est prévu ni de surveillance médicale des travailleurs, ni de suivi environnemental, » fustige Jacott.

La CCE prévoit de mesurer les émissions au niveau du débouché des cheminées et, dans le cadre d’un travail de recherche qui est sur le point de démarrer au Mexique, elle va probablement ajouter d’autres substances polluantes à détecter.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.