L’intervention du Royaume Uni dans la guerre au Yémen, au bord de l’illégalité

L’année écoulée a été particulièrement rentable pour le secteur de l’armement du Royaume-Uni, deuxième exportateur mondial d’armes. Le secteur se porte très bien, grâce notamment à la demande croissante de son client préférentiel, l’Arabie saoudite, qui se livre à une guerre sanglante au Yémen. Concrètement, 30 % du total des exportations d’avions, de missiles et de bombes du Royaume-Uni a été acheminé vers cet allié, avec une croissance de 11 % des contrats au cours des trois premiers mois de 2015. Un record.

L’année passée n’a pas été aussi bonne pour la population yéménite cependant. Leur pays a également battu un record : le plus grand nombre de victimes civiles causées par des explosifs, devançant la Syrie ou l’Irak.

Selon les Nations Unies, six décès sur dix ont été causés par des attaques de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Et la situation s’aggrave de jour en jour, avec plus de 10.000 morts en 18 mois de conflit. Entre-temps, au Royaume-Uni, de plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en question la légalité de cette opération militaire et appellent à un embargo sur les armes.

La pression s’est intensifiée après la participation de la Première ministre britannique Theresa May, au début du mois de décembre, au sommet annuel du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en vue de conclure ses premiers accords commerciaux « post-Brexit », avec l’Arabie saoudite et le Bahreïn notamment.

Quelle est cependant la véritable implication du Royaume-Uni dans cette guerre et pourquoi le gouvernement refuse-t-il de faire marche arrière ?

 

Londres et Riyad, grands partenaires commerciaux

Depuis que la coalition menée par l’Arabie saoudite, avec le Bahreïn, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Maroc, le Qatar et le Soudan, a été déployée en mars 2015 pour restituer le pouvoir au président Abd Rabbo Mansour Hadi et en finir avec les rebelles houthis qui se sont emparés de la capitale, les contrats d’armements entre le Royaume-Uni et l’Arabie saoudite atteignent déjà 6 milliards de livres (près de 8 milliards d’euros, 7,6 milliards de dollars US).

Outre des armes, le Royaume-Uni, tout comme les États-Unis, fournit un soutien logistique et des renseignements militaires à cette coalition. Selon les informations révélées par le journal The Independent, le gouvernement britannique entraînerait les forces aériennes saoudiennes.

« Riyad est un partenaire commercial clé », déclare George Joffé, professeur et chercheur en politique et études internationales de l’Université de Cambridge, à Equal Times. « La principale réponse à la question de savoir pourquoi le Royaume-Uni soutient la coalition est aussi simple que honteuse : les contrats ».

Cette intervention a des connotations morales, mais aussi juridiques. Selon la Loi britannique sur l’exportation d’armes, il est illégal de vendre des armes ou des munitions à un État présentant un « risque clair » de commettre des violations graves du droit international humanitaire.

Jusqu’à présent, les Nations Unies ont enregistré au moins 119 attaques de la coalition qui violent le droit international, nombre d’entre elles impliquant des bombardements d’installations civiles telles que des hôpitaux, des écoles, des mosquées ou des marchés. Bien que les deux camps aient été accusés de commettre des violations des droits de l’homme, le nombre de victimes civiles a très fortement augmenté depuis l’arrivée de la coalition. L’attaque la plus grave a eu lieu au mois d’octobre, lors d’un enterrement dans la capitale, Sanaa, qui a coûté la vie à 140 personnes et en a blessé plus de 525.

Les organisations des droits de l’homme Human Rights Watch et Amnesty International ont averti de l’utilisation de bombes à sous-munitions « made in Great Britain » sur des objectifs civils tels que des exploitations agricoles au nord du pays. Des bombes qui, de surcroît, sont proscrites par le droit international.

« L’intervention du Royaume-Uni au Yémen est absolument illégale et encore plus déplorable que celle en Irak », déclare à Equal Times Kim Sharif, avocate britannique d’origine yéménite et fondatrice de l’organisation des droits de l’homme Human Rights for Yemen.

Dans ce cas, « la différence est que la participation du Royaume-Uni à la guerre au Yémen n’a même pas été approuvée par le Parlement ; elle a complètement été passée sous silence ». Selon elle, « David Cameron et son cabinet doivent assumer les conséquences d’un conflit dans lequel ils se sont entièrement empêtrés ».

À la suite des pressions croissantes de ces dernières semaines, le Parlement est divisé. Alors que certaines voix du Parti travailliste ont appelé à une suspension totale des ventes d’armes, d’autres attendent les résultats concrets de la Campagne contre le commerce des armes (CAAT en anglais), qui a introduit un recours de constitutionnalité auprès de la Cour suprême. Le verdict final sera annoncé en février.

« Il est indispensable de procéder à une enquête approfondie sur la campagne de bombardements dirigée par l’Arabie saoudite. Si le droit international a été violé, ceux qui ont permis cette violation doivent être sanctionnés avec toute la rigueur de la loi », déclare Andrew Smith, porte-parole de la CAAT, à Equal Times.

« Le gouvernement britannique doit tout faire en son pouvoir pour mettre un terme à la guerre et garantir que le droit international humanitaire soit respecté ». Ce qui, selon lui, implique qu’il doit « modifier ses lois en matière d’exportation d’armes et mettre fin à cette relation toxique avec l’Arabie saoudite qui dure depuis des décennies ».

Le gouvernement, toutefois, s’oppose fermement à l’imposition d’un embargo sur les armes destinées à son allié, arguant qu’il n’existe aucune preuve concluante. Mais il s’oppose également à une enquête d’un tribunal impartial. En octobre, le Royaume-Uni a bloqué à Bruxelles la proposition des Pays-Bas visant à demander au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies de mener une enquête indépendante sur les crimes de guerre commis au Yémen.

 

Une intervention ratée

Lors du récent Sommet avec les pays du Golfe, Theresa May s’est dite ouverte à une discussion des éventuelles violations des droits de l’homme commises par l’Arabie saoudite, mais n’a pas écarté l’idée selon laquelle « les rues de Grande-Bretagne sont plus sûres » grâce à la coalition. Une idée que de nombreux tories soutiennent, soutenant que « ne pas intervenir » aurait un prix encore plus élevé, dans une région déjà instable où l’Iran, allié des rebelles houthis, gagnerait en influence et le chaos laisserait la voie libre à la propagation du terrorisme de l’autoproclamé État islamique (EI) et d’Al-Qaïda.

Toutefois, rares sont les analystes qui estiment que cette action a aidé à stabiliser la région ou rempli l’un de ses objectifs initiaux. « Cette opération rassemble tous les éléments qui la vouent à l’échec, comme toutes les tentatives d’ingérence dans le pays depuis le 19e siècle », déclare Joffé.

D’une part, « elle n’est pas parvenue à un accord avec les rebelles houthis afin de rendre le pouvoir au président et elle n’y parviendra d’ailleurs pas ». D’autre part, « elle n’a pas non plus repris le contrôle de la province de Hadramout des mains d’Al-Qaïda ».

En outre, explique-t-il, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) a établi son siège opérationnel au Yémen et jouit à présent d’un degré d’influence jamais atteint au cours de ces vingt dernières années. « Enfin, elle n’a pas été capable de contenir les mouvements indépendantistes du Sud et elle a, sans aucun doute, augmenté de manière incommensurable les souffrances de la population », assure l’universitaire.

La coalition a imposé un blocus aérien et naval partiel visant à empêcher le réapprovisionnement des forces houthis. Ce blocus a entraîné une forte augmentation du prix des denrées alimentaires dans un pays déjà appauvri qui dépend à 90 % des importations.

En conséquence, environ 375.000 enfants au Yémen sont exposés à une situation de malnutrition sévère. Selon les données d’Amnesty International, quatre Yéménites sur cinq sont tributaires de l’aide humanitaire pour survivre. « L’économie du pays est totalement détruite », déplore Sharif.

Un rapport commun de la Banque islamique de développement et de l’Union européenne estime le coût économique de la guerre et des dommages infligés aux infrastructures à 14 milliards de dollars US (13 milliards d’euros). Un montant très inférieur aux 80 milliards de dollars que l’Arabie saoudite, fidèle allié commercial du Royaume-Uni, investit en armement chaque année.

 

Cet article a été traduit de l'espagnol.