L’offensive de la droite américaine contre les syndicats du secteur public

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Dans sa quête pour devenir le plus grand démolisseur de syndicats des États-Unis, ce lundi, le gouverneur du Wisconsin, Scott Walker qui, en 2011, avait supprimé les droits de négociation collective pour les employés de la fonction publique de cet État, a promulgué une nouvelle loi sur le « droit de travailler ».

La possibilité que cette mesure ne devienne à terme la nouvelle norme à laquelle seront soumis tous les employés du gouvernement ne manque pas de susciter de sérieuses préoccupations – d’où la nervosité que suscite chez les syndicats américains du secteur public une affaire actuellement en instance à la Cour Suprême des États-Unis.

L’affaire Friedrichs contre California Teachers Association pourrait sérieusement ébranler les finances syndicales en imposant le statut du « droit de travailler » à tous les syndicats de la fonction publique.

À l’heure actuelle, dans la plupart des États où un syndicat du secteur public détient la représentation exclusive des travailleurs dans une agence ou une entreprise donnée, ce syndicat perçoit les cotisations à la fois des travailleurs qui adhèrent formellement en tant que membres et des non-adhérents (les cotisants au statut « agency shop », c’est-à-dire des employés qui cotisent l’équivalent des cotisations syndicales toutefois sans être syndiqués), car bien qu’ils ne soient pas membres du syndicat, ils sont néanmoins couverts par les salaires et prestations négociés par les syndicats.

Le statut du « droit de travailler » empêcherait les syndicats de percevoir ces cotisations « agency shop ».

La mesure risque non seulement de provoquer une réduction drastique des recettes syndicales mais aussi de décourager les travailleurs d’adhérer à un syndicat puisqu’ils ne seraient plus obligés de cotiser.

Les législateurs conservateurs de nombreux États ont institué de telles lois du droit de travailler au bénéfice du secteur privé, y compris dans l’État de Michigan, bastion du syndicat des travailleurs de l’automobile.

La procédure intentée par le Center for Individual Rights, qui cherche à s’appuyer sur un arrêt rendu l’an dernier par le tribunal de grande instance dans l’affaire Harris v. Quinn, à l’issue de laquelle ce statut avait été imposé à une frange relativement étroite de travailleurs, se base sur l’argument que l’obligation de cotiser au profit d’un groupe qui promeut certaines positions politiques constitue une atteinte aux libertés relevant du Premier Amendement.

Les militants syndicaux craignent que l’argument échafaudé par les avocats puisse inciter la majorité conservatrice des juges à se prononcer contre les syndicats.

Eric Fink, avocat en droit du travail et professeur à l’Elon University, en Caroline du Nord, conserve, néanmoins, une lueur d’optimisme et pense que le verdict de la Cour ne délivrera pas un coup de grâce pour les syndicats.

« En vertu des lois en vigueur, il est déjà interdit pour les syndicats de recourir aux cotisations de « part équitable » à des fins d’activité politique et la Cour a systématiquement statué que le Premier Amendement n’exclut pas la condition que les bénéficiaires de l’obligation légalement imposée du syndicat de représenter tous les membres de l’unité de négociation contribuent au coût de cette représentation », a-t-il dit.

« Cette affaire ne présente, à vrai dire, aucun nouvel argument ».

Il a jouté que l’imposition d’une interdiction aussi radicale sur les cotisations d’affiliation prélevées supposerait l’annulation d’un précédent juridique de 40 ans, chose que même des juges conservateurs ne seraient pas enclins à faire.

 

« Un argument difficile »

D’autres, cependant, y voient une attaque de la droite contre le secteur public mais en dehors du mouvement syndical, il est difficile de concevoir un soutien en faveur de protections légales pour les employés de la fonction publique, dont les prestations et la sécurité de l’emploi sont souvent supérieures même à celles de travailleurs syndiqués du secteur privé.

« Je pense que quand bien même le syndicalisme dans le secteur public est clairement une bonne chose et que les gens ont des droits, l’argument n’est pas vraiment aussi solide, car dans le secteur privé, on se trouve face à des grandes sociétés qui réalisent des profits et donc chaque dollar qu’on leur enlève provient de leur marge bénéficiaire », opine James Pope, professeur en droit du travail à la Rutgers University.

« Dans le secteur public, c’est l’argent des contribuables que vous prenez, et l’argument est donc plus difficile à faire valoir. »

Une faiblesse que la droite n’a pas manqué d’exploiter.

Il y a quatre ans, le gouverneur du Wisconsin, Scott Walker, qui devrait vraisemblablement poser sa candidature pour le Parti républicain aux présidentielles américaines l’an prochain, a réussi un véritable tour de force jusqu’ici impensable en ôtant aux employés de la fonction publique de son État le droit de négocier collectivement.

Cette année, le gouverneur républicain de l’Illinois, Bruce Rauner a tenté d’imposer le droit de travailler au secteur public dans son État, un bastion du syndicalisme.

Sa démarche s’est, cependant, heurtée à des obstacles juridiques à l’heure de vouloir l’imposer unilatéralement plutôt qu’au travers des tribunaux ou de la législature.

Dans un entretien avec Equal Times, Randi Weingarten, présidente de l’American Federation of Teachers (Fédération américaine des enseignants) a déclaré :

« La négociation collective est le véhicule qui nous permet de défendre, engager et intégrer la justice, la démocratie et l’égalité des chances au travail. Elle nous permet d’avancer des solutions pour la création et le maintien d’un enseignement, de soins de santé et de services publics de qualité et d’unir celles et ceux que nous représentons et que nous servons. Les partisans du camp Friedrichs et d’autres attaques contre les syndicats cherchent l’opposé. Leur objectif idéologique est de réduire au silence les travailleurs et d’affaiblir les institutions publiques et le moyen pour parvenir à leurs fins est d’éviscérer les syndicats. Ils savent que quand les travailleurs sont unis, ils disposent d’une voix collective puissante et ils sont donc en train de monter une offensive coordonnée pour tenter de l’empêcher. »

La raison derrière cette offensive est double. Il y a, d’une part, le déclin en pic des taux d’affiliation des syndicats du secteur privé aux États-Unis depuis les années 1970.

Les syndicats du secteur public, qui représentent des travailleurs impossibles à délocaliser, demeurent le pilier central du mouvement syndical et l’affaiblir conduirait, à terme, à la subjugation du pouvoir politique et économique de la classe ouvrière américaine.

Comme la souligné Fink, une décision conservatrice de cet ordre pourrait renverser l’ensemble de la structure des relations du travail aux États-Unis.

« Obliger les syndicats de représenter les non-adhérents tout en interdisant que les cotisations de ces derniers couvrent le coût de cette représentation équivaudrait à une prise de possession inconditionnelle de la propriété syndicale, sans compensation. Ce qui pourrait finir par provoquer un démantèlement fondamental du système en place. »

Mais c’est aussi d’une attaque contre les services publics qu’il s’agit. Une façon d’imposer l’austérité.

Les syndicats du secteur public comptent parmi les groupes politiques les mieux organisés et les mieux financés faisant pression en faveur d’investissements accrus dans les services publics et contre la privatisation de ces derniers.

Affaiblir ces syndicats qui prônent l’investissement dans les services aux citoyens faciliterait la restructuration des services publics et la vente des biens publics aux intérêts privés.

Gary Chaison, professeur en relations du travail à la Clark University estime qu’une telle décision nuirait en premier lieu aux syndicats des enseignants, dont les membres tendent à entretenir des attitudes plus individualistes concernant leur profession, de même qu’aux syndicats représentants les travailleurs situés au bas de l’échelle salariale, parce que le fait de ne pas devoir cotiser au syndicat est reflété de façon plus évidente sur la valeur de leurs revenus nets.

Le simple fait que ce dossier soit même parvenu à la Cour Suprême est, selon Chaison, une indication inquiétante de la situation de ces catégories de travailleurs.

« C’est un signe du déclin de l’influence des syndicats du secteur public », a-t-il affirmé.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.