L’ultime combat du peuple Munduruku

L'ultime combat du peuple Munduruku

Raimundo Saw Munduruku, chef guerrier Munduruku du Moyen-Tapajós, photographié à proximité du site où le gouvernement brésilien projette de construire un gigantesque barrage hydroélectrique dont l’impact sur l’écosystème de la région sera sévère.

(Bryan Carter)

Le peuple Munduruku n’est pas près de renoncer. Enhardie par la récente décision d’IBAMA (Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis) – la branche administrative du ministère de l’Environnement brésilien – de suspendre le processus d’octroi de licence relatif au barrage hydroélectrique São Luiz do Tapajós (SLT) suite aux préoccupations liées à son impact sur les peuples indigènes, cette communauté qui habite la forêt amazonienne brésilienne jure de se battre jusqu’au bout. C’est-à-dire : jusqu’à l’abandon définitif du projet.

Cependant, la probabilité d’une telle issue reste plutôt incertaine dans le contexte politique hautement volatil que traverse la principale économie d’Amérique latine.

Bien que la lutte engagée par le peuple Munduruku contre une alliance de fonctionnaires du gouvernement, de législateurs et d’entreprises multinationales se concentre principalement autour des rives du fleuve Tapajós, celle-ci pourrait avoir des implications plus vastes dès lors qu’elle remettrait en cause la politique de développement énergétique du Brésil et forcerait un débat national sur la préservation d’un des écosystèmes les plus riches de la planète.

Le gouvernement brésilien a longtemps soutenu que la construction de barrages hydroélectriques sur le vaste réseau fluvial amazonien est nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques croissants du pays. Alors que plusieurs administrations successives se sont employées à minimiser l’impact écologique de telles entreprises, les écologistes soutiennent que ces barrages sont dommageables pour l’environnement et opposent deux visions contradictoires de l’Amazonie : L’une qui la présente comme une ressource inexploitée qui devrait servir les intérêts économiques du pays ; et l’autre qui la considère comme un trésor de biodiversité qui joue un rôle vital envers le maintien de l’équilibre climatique mondial.

Pour les Munduruku, il s’agit ni plus ni moins que de leur habitat. « Quand Karosakaybu [Dieu] créa Tapajós, ce n’était pas pour que le gouvernement le détruise. C’était pour que nous en prenions soin », affirme Juarez Saw Munduruku, le cacique (chef) du village Sawré Muybu. « Pour nous, ceci équivaut à la mort. Nous ne saurons plus comment vivre ou survivre. »

Pour Lucineide, la fille de Juarez, le SLT est une « humiliation ».

« Je pense que ce sera vraiment néfaste pour nous tous, pour le peuple Munduruku et les autres riverains… Je lutterai aux côtés de mes parents et de mes enfants pour empêcher la construction de ce barrage », ajoute-t-elle.

Près de 140 personnes vivent à Sawré Muybu – un paisible village de cases à toits de paille surplombant le fleuve Tapajós. Leur survie est assurée par la pêche, la chasse et l’agriculture de subsistance. Les enfants jouent à courir après les poules tandis que les ainés du village, assis en cercles, font la causette. À la fin de la journée, quand la température devient plus clémente, les jeunes hommes assurent le divertissement de la communauté en se livrant à une partie de foot.

Cependant, le temps presse pour les Munduruku. Le SLT fait partie d’une série de barrages hydroélectriques à l’état de projet ou déjà construits le long du bassin fluvial du Tapajós qui ont fait peser un lourd tribut sur les populations indigènes. Comme la chute d’eau où se dresse aujourd’hui le barrage hydroélectrique de Teles Pires, d’une capacité de 1820 mégawatts, naguère considérée comme un paradis et l’ultime demeure des esprits des Munduruku. La cascade a aujourd’hui totalement disparu.

D’une longueur de 7,6 kilomètres et d’une capacité de production électrique de 8.040 mégawatts, le SLT deviendrait le troisième plus grand barrage du pays. Il créera un réservoir massif qui submergera des sites indigènes entiers, ainsi qu’approximativement sept pour cent du territoire Sawré Muybu (dont fait partie le village du même nom). Des espèces endémiques sont aussi menacées par ce projet, alors que des étendues énormes de forêt vierge devraient être déboisées. Environ 600 personnes habitant quatre villages du bassin du Moyen-Tapajós seront déplacées de force.

D’après les archives historiques, les Munduruku auraient occupé le Sawré Muybu au moins depuis le 19e siècle, cependant le gouvernement ne l’a jamais officiellement reconnu comme un territoire « d’occupation traditionnelle ». Si ça avait été le cas, cette zone serait protégée en vertu de l’article 231 de la Constitution brésilienne, qui interdit l’expulsion de communautés indigènes de leurs terres, sauf « en cas de catastrophe ou d’épidémie représentant un risque pour leur population ou dans l’intérêt de la souveraineté nationale ».

La démarcation territoriale est donc devenue l’enjeu central de la lutte.

 

« Fourmis rouges »

En avril, après des années d’attente, l’agence nationale responsable des affaires indigènes FUNAI (Fundação Nacional do Índio), a formellement reconnu le Sawré Muybu en tant que terre des Munduruku. Cependant, le gouvernement fédéral doit toujours procéder à la démarcation officielle des frontières territoriales – un processus qui, selon les écologistes, risque encore de s’éterniser.

Les Munduruku ont donc résolu de prendre les choses en mains et placé des panneaux de signalisation identiques à ceux du gouvernement sur le pourtour du territoire de 178.000 hectares. Il s’agissait d’une tentative importante – bien que symbolique – de protéger leur terre.

Et si ça ne suffit pas, ils disent être prêts à porter leur lutte au niveau suivant – même si cela doit déboucher sur des occupations, des manifestations et de la violence.

« Nous ne craignons pas le gouvernement », lance Raimundo Saw Munduruku, chef guerrier du Moyen-Tapajós, exhibant les flèches dont les Munduruku se serviraient dans le cas où ils se verraient obligés à confronter la garde nationale brésilienne. « Si le gouvernement veut nous causer des ennuis, nous lui rendrons la pareille. »

Ce ne sont pas juste des menaces en l’air. Depuis la colonisation portugaise, les Munduruku ont résisté avec succès aux tentatives de conquête de leur territoire par les envahisseurs. Ce n’est pas pour rien que leurs ennemis, qui redoutaient leur férocité sur le champ de bataille, ont surnommé leur tribu les « fourmis rouges ». Les Munduruku, dont le nombre est estimé à 15.000 et qui se répartissent dans des villages occupant le Moyen et le Haut-Tapajos sont aussi réputés pour leur unité inébranlable, et cette lutte n’est en rien différente.

Conscients, toutefois, que la bienveillance et les flèches ne suffisent pas à elles seules, les chefs Munduruku ont fait appel à des organisations internationales comme Greenpeace pour mobiliser le soutien public en faveur de leur cause et disséminer leur message aux quatre coins du monde.

« Greenpeace a été présente en Amazonie depuis deux décennies dans le cadre de sa lutte contre la déforestation. Celle-ci est causée par le défrichement des forêts résultant de l’élevage, de l’abattage illégal d’arbres et de la culture du soja notamment. Et la dernière menace à venir s’ajouter à la liste sont ces mégaprojets hydroélectriques », a indiqué à Equal Times la directrice exécutive adjointe de Greenpeace International, Bunny McDiarmid, lors de sa visite dans un campement de forêt dressé dans le village de Sawré Muybu de mi-juin à mi-juillet.

Un rapport de l’organisation environnementale indique : « L’expérience de projets hydroélectriques antérieurs et en cours en Amazonie montre que les barrages peuvent décimer des superficies énormes d’habitats naturels comme les forêts alluviales qui sont fortement dépendantes des crues saisonnières et avoir des répercussions désastreuses sur les populations halieutiques et les reptiles aquatiques, de même que sur les cycles de vie des mammifères… Les barrages émettent des volumes considérables de gaz à effet de serre – aussi bien du dioxyde de carbone que du méthane, plus nocif – résultant de la putréfaction de la végétation et des sols immergés. »

Une autre étude importante réalisée par une équipe internationale de biologistes a conclu que : « La poussée des nouveaux barrages en Amazonie est susceptible d’entraîner la destruction de grandes étendues de forêt et menace, directement ou indirectement, d’extinction globale un grand nombre d’espèces à aire réduite. »

Les experts de l’environnement insistent aussi sur le fait que les barrages ne solutionnent en rien les besoins énergétiques du pays dès lors qu’une réduction drastique du débit des cours d’eau est à prévoir sous l’effet du réchauffement climatique. Ils préconisent, à la place, un bouquet énergétique combinant solaire, éolien et biomasse.

Un tel objectif concorde aussi avec l’engagement pris par le Brésil à la COP21, à Paris, d’ « augmenter d’entre 28 et 33%, à l’horizon 2030, la part des sources d’énergie renouvelable autres que l’hydroélectrique dans son bouquet énergétique total ».

 

« Gain politique et économique »

Les Munduruku et leurs défenseurs sont, plus que tout, déterminés à éviter « un autre Belo Monte » - un barrage hydroélectrique titanesque érigé sur le fleuve Xingu sous l’impulsion de la présidente sortante, Dilma Rousseff.

L’impact environnemental et social adverse du Belo Monte a été amplement documenté. Le barrage a aussi été au cœur d’un vaste scandale de corruption où Dilma Rousseff et son prédécesseur Luiz Inácio ’Lula’ da Silva sont accusés de siphonner des millions de dollars de contrats surcotés vers leurs caisses de campagne.

Dans un communiqué, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes, Victoria Tauli Corpuz, a sévèrement fustigé l’élite politique et économique du Brésil, lorsqu’elle décrit « le gain politique et économique comme un facteur déterminant dans des mégaprojets comme le barrage Belo Monte. Ces gains individuels sont acquis aux dépens des droits des peuples indigènes et parfois même de leur survie culturelle et physique. »

Avec un budget de construction estimé de 9,2 milliards USD, le SLT a suscité une attention considérable auprès des sociétés nationales et internationales qui souhaitent répondre aux appels d’offres lucratifs. Les entreprises de construction ont formé deux consortiums : Grupo de Estudos Tapajós, formé par la société d’État brésilienne Eletrobras et plusieurs autres sociétés dont les géants français Engie et EDF ; et China Three Gorges & Furnas, un partenariat entre la principale compagnie d’électricité de Chine et une filiale d’Eletrobras.

Des fournisseurs de premier plan comme Siemens et General Electric ont également exprimé de l’intérêt pour une participation au projet SLT. Le processus d’octroi de licences étant momentanément à l’arrêt, les groupes environnementaux mènent des campagnes internationales pour convaincre ces entreprises de faire marche-arrière avant qu’il ne soit trop tard. Pour reprendre les propos d’un activiste : « Une fois que les fonds sont engagés, il est difficile de faire marche-arrière. C’est pourquoi nous mettons le paquet maintenant, avant que ces entreprises n’engagent des ressources. »

Un porte-parole chez Siemens a indiqué lors d’un entretien avec Equal Times que la firme « pourrait figurer au nombre des prestataires » mais qu’il ne pouvait confirmer la position de Siemens en cas de révocation de la licence de suspension. Et d’ajouter : « Par principe, nous ne pouvons conjecturer ou nous livrer à des spéculations du genre ’qu’arriverait-il si’ ».

Même propos du côté de General Electric. Un de ses représentants a en outre fait savoir que : « On ne s’attend pas à un appel d’offres pour ce projet avant au moins 2017. »

Les Munduruku ont également organisé des mouvements de protestation dans la capitale Brasilia, pour soulever leurs préoccupations au niveau politique et disent qu’ils poursuivront leur lutte avec le cabinet du président par intérim Michel Tremer, qui est intégralement composé de membres du sexe masculin et de race blanche. Les critiques craignent, toutefois, que ce gouvernement soit moins préoccupé par la préservation des forêts que ses prédécesseurs.

De fait, le ministre des Mines et de l’Énergie, Fernando Coelho Filho, 32 ans, a affirmé dans une de ses premières déclarations en tant que ministre que : « Le pays retournera à la croissance et nous aurons besoin d’énergie. Nous devons préparer le terrain pour que les investisseurs nationaux et étrangers se sentent à leur aise à l’heure d’amorcer leur retour et d’investir au Brésil. »

Cependant, le dernier rebondissement dans cette lutte interminable nous vient tout droit du sénat brésilien. Au milieu de l’agitation qui a entouré la procédure de mise en accusation de la présidente Rousseff, une commission spéciale a discrètement approuvé un amendement constitutionnel, l’amendement PEC65/2012, qui interdirait la suspension ou l’annulation de travaux publics suite à la présentation d’une évaluation de l’impact environnemental.

Les hauts responsables du gouvernement Temer soutiennent que cette réforme, une fois ratifiée par les régulateurs, viserait à mettre les entreprises à l’abri de poursuites judiciaires. Toutefois, d’après un analyste, l’amendement, s’il est ratifié, « rendrait pratiquement impossible toute démarche d’IBAMA similaire à la suspension du projet de barrage hydroélectrique São Luiz. »

Le sénateur à l’origine de l’amendement n’est autre que Blairo Maggi, un magnat milliardaire de l’agro-industrie connu au Brésil comme « le roi du soja ».

« Pour moi, une augmentation de 40% de la déforestation ne signifie rien du tout et je ne me sens pas du tout coupable pour ce que nous faisons ici », a affirmé Maggi dans une de ses déclarations à la presse. « Il est question d’une superficie plus grande que l’Europe et qui est pratiquement intacte et il n’y donc pas la moindre raison de s’inquiéter. »

Maggi est aujourd’hui le ministre de l’Agriculture.

Après avoir résisté durant des siècles contre les envahisseurs sur les rives de leur vénéré fleuve Tapajós, les Munduruku sont conscients que cette fois, leur lutte pour la survie devra se livrer dans la forêt amazonienne, dans les sièges des sociétés multinationales et dans l’arène politique du Brésil.

 

Pour en savoir plus sur les Munduruku, regardez notre vidéo.

Cet article a été traduit de l'anglais.