La Côte d’Ivoire a-t-elle trouvé la solution à l’exploitation forestière illégale ?

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Delphine Ahoussi, president of Malebi, an organisation of eco-friendly, women charcoal producers and sellers, stands inside a charcoal warehouse in Abidjan, Côte d’Ivoire.

Photo: Roberto Valussi

Au début des années 1960, la Côte d’Ivoire recelait approximativement 16 millions d’hectares de forêts. Aujourd’hui, il ne lui en reste plus que deux millions d’hectares, ce qui en fait l’un des pires exemples de déforestation à l’échelle mondiale.

Au début des années 1960, la Côte d’Ivoire recelait approximativement 16 millions d’hectares de forêts. Aujourd’hui, il ne lui en reste plus que deux millions d’hectares, ce qui en fait l’un des pires exemples de déforestation à l’échelle mondiale.

Les exploitants illégaux en Côte d’Ivoire sont en train de ravager des forêts vierges pour répondre à la demande interne et aux marchés d’exportation, de même que pour défricher les terres pour la culture lucrative du cacao.

Dans un rapport de 2013, l’Agence de développement allemande GIZ estimait la valeur du secteur de l’exploitation forestière formel à 108 milliards de francs CFA (approximativement 176 millions USD). Environ 90 % du bois est exporté à l’étranger, principalement vers l’Union européenne, sous forme de matériau pour plancher, de contreplaqué et de bûches en provenance de forêts plantées de teck et de cèdre (Cedrela Odorata), notamment.

Pendant ce temps, la valeur du secteur de l’exploitation forestière informelle – qui couvre la quasi-totalité du marché intérieur – est estimée à 82 millions de francs CFA (125 millions €).

La corruption est une partie intégrante du problème, avec des fonctionnaires qui acceptent des dessous de table à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement pour autoriser l’exploitation, le transport et la vente de bois illégal. Cependant, le charbon de bois produit et consommé localement a également joué un rôle dans la destruction des forêts ivoiriennes si importantes pour l’écosystème global.

Delphine Ahoussi, présidente de Malebi, une association de femmes productrices et marchandes de charbon de bois respectueuses de l’environnement, confie à Equal Times :

« Tout le monde peut voir les vendeurs de charbon de bois le long de la route entre [la capitale commerciale] Abidjan et [la capitale politique et administrative] Yamoussoukro. Tout le monde peut voir les camions lourdement chargés de charbon de bois se diriger vers les entrepôts. Pratiquement aucun d’eux n’a les papiers requis pour le faire ».

« C’est en grande partie illégal », dit-elle. « Il se peut que la police ou un fonctionnaire du ministère de l’Environnement, de l’Eau et de la Forêt les interpellent mais dans ce cas ils leur soutirent un peu d’argent et les laissent filer. Les affaires suivent leur cours. La corruption est une partie intégrante de ce système. »

Écoulé par une pléthore de petits vendeurs informels, le charbon de bois constitue l’un des principaux combustibles ménagers en Côte d’Ivoire. En plus d’alimenter les grillades des maquis, ces petits restos animés qui parsèment les espaces publics du pays, le charbon de bois est utilisé par approximativement 47% de la population urbaine pour la cuisine et d’autres fins ménagères, d’après un rapport de l’Institut national ivoirien de statistique de 2002 cité par le Programme des Nations Unies pour le développement.

Ce chiffre n’étonne aucunement Mme Ahoussi. « Avec des réchauds au gaz, la plupart des mets nationaux n’auraient pas le même goût. Il faut les cuire au charbon de bois », dit-elle.

Il n’en va, toutefois, pas seulement d’une question de goût culinaire. Le prix du gaz (2000 CFA/3,8 USD pour une bonbonne de 6kg) reste prohibitif en Côte d’Ivoire, où 46% d’une population de 22 millions d’habitants vit en-dessous du seuil de la pauvreté, selon la Banque mondiale. D’autant que l’accès à un approvisionnement en gaz et à des citernes fiables s’avère particulièrement difficile dans les zones rurales.

La négligence flagrante vis-à-vis de la demande interne de charbon de bois, de bois de chauffage et de bois de construction a fomenté l’essor du marché noir au cours des six dernières décennies. Les douanes ivoiriennes ont enregistré 360,000 tonnes de produits exportés en 2011, soit l’équivalent de 90% du total de la production formelle et légale.

Les 10% restants ne sont suffisants pour personne – et encore moins pour les petits menuisiers du marché national.

« Nous les artisans sommes obligés de recourir au marché noir vu la pénurie de matière première sur le marché officiel. Environ 20% du bois ici est de provenance illégale », indique lors d’un entretien avec Equal Times Guei Serafin, secrétaire général de l’association des charpentiers d’Abidjan GAMBI.

 

Leader mondial de la déforestation

Il n’en demeure pas moins que seule une fraction de ces pertes peut être attribuée au marché noir du charbon de bois. Comme Ake Jerome, directeur de l’enregistrement foncier auprès du ministère de l’Environnement, de l’Eau et de la Forêt a expliqué à Equal Times : « 75% de la déforestation est due à la conversion de la forêt en plantations de cacao. »

La Côte d’Ivoire est le principal producteur mondial de cacao, dont l’exportation représente 15% du PIB national, selon le ministère ivoirien de l’Agriculture. L’urbanisation sauvage, des lois foncières contradictoires, la croissance démographique et l’absence d’une politique viable de reforestation sont autant de facteurs qui viennent exacerber la situation.

C’est précisément pour contribuer à trouver une solution au problème que Delphine Ahoussi mit sur pied l’association Malebi, en 2004. L’organisation a mis au point un modèle d’entreprise qui allie la production de charbon de bois à la reforestation.
Depuis 2011, Malebi a formé un partenariat avec Sodefor, agence du gouvernement ivoirien en charge de l’administration des forêts classées, en vue du traitement de 4500 hectares de réserves forestières. Parallèlement à l’exploitation du bois pour la production de charbon de bois, ils procèdent à la reforestation de cinq hectares de forêts tous les cinq ans avec le soutien des collectivités locales.

« Fournir la matière première aux producteurs locaux de charbon de bois est crucial. Faute de quoi ils vont simplement l’obtenir de sources informelles », indique madame Ahoussi.

Si sa stratégie pouvait être déployée à l’échelle nationale, Delphine Ahoussi estime que beaucoup de gens pourraient être sortis de l’économie informelle. Même le PNUD a approuvé son système dans un rapport de 2014 sur les chaînes de valeur durables pour le charbon de bois en Côte d’Ivoire.

Néanmoins, bien que des mesures de ce type soient nécessaires, elles ne suffiront pas à elles seules à résoudre le problème. Les autorités ivoiriennes ne savent que trop bien qu’un changement radical s’impose au niveau de l’industrie après des décennies de négligence.

Le président ivoirien Alassane Ouatarra a, lui-même, fixé pour objectif d’augmenter les zones boisées de la Côte d’Ivoire de 10 à 20% de la superficie du pays.
De manière plus significative, il a entamé en 2013 des négociations avec l’Union européenne portant sur un Accord de partenariat volontaire (APV) dans le cadre du Plan d’action FLEGT (application des règlementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux).

L’APV, dont la ratification est prévue pour 2017, vise à garantir la légalité du bois ivoirien sur le marché européen, à travers la régulation de la durabilité de l’industrie du bois et la promotion de la gouvernance locale en Côte d’Ivoire. Les discussions visent à inclure l’ensemble des parties concernées : Administration locale, société civile, chefs traditionnels et principaux acteurs industriels.

« Pour la Côte d’Ivoire, c’est une occasion de repenser sa politique de développement et de tenter de combiner l’agriculture et les forêts en vue d’une gestion durable et saine des terres et de ses ressources naturelles », a indiqué Marta Brignone, facilitatrice aux négociations entre l’UE-Flegt et la Côte d’Ivoire, dans un entretien avec Equal Times.

Bien que les négociations n’incluent pas le secteur du charbon de bois, celui-ci devrait, néanmoins, en tirer parti sous l’effet d’une meilleure réglementation du marché. Pour l’heure, l’un des principaux points de friction dans les négociations semble se situer au niveau des idées concernant le secteur des exportations.

« Il se peut que nous devions introduire un quota sur la quantité de bois destiné au marché extérieur. De cette façon, il sera possible d’affecter plus de bois au marché local », a expliqué à Equal Times Arafan Haidara, du Comité technique des négociations du ministère de l’Environnement, de l’Eau et de la Forêt.

Difficile d’imaginer les entreprises privées de l’industrie du bois faire bon accueil d’une restriction à leurs activités. La dernière décennie a vu un déclin des bénéficies dû à la raréfaction du bois ivoirien et la baisse de la demande de l’UE depuis la crise économique de 2008.

Le modèle Malebi offre une solution possible : Les entreprises exportatrices de bois pourraient bénéficier de concessions à long terme sur les zones forestières.

« De cette façon, les acteurs de l’industrie se verraient garantir leur source d’approvisionnement, pourraient mettre en œuvre la reforestation et prévenir l’exploitation illégale des forêts mieux que ne le fait habituellement l’administration ivoirienne », a confié à Equal Times un consultant du secteur du bois basé à Abidjan.

La pression du succès est également forte pour l’UE. Elle a déjà ratifié, en tout et pour tout, six accords APV à l’échelle mondiale. Cependant, des différends imprévus intervenus après signature de ces accords ont d’ores et déjà entravé leur application au Ghana et au Cameroun. En attendant, en Côte d’Ivoire, c’est le futur du changement climatique, de la déforestation et de l’économie informelle qui est en jeu.