La diaspora syrienne en Europe apporte avec elle sa richesse culinaire

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Une vieille dame entre dans une petite épicerie tenue par une famille syrienne, les Paloulian, dans le centre d’Erevan. Elle ramasse un petit récipient rond contenant de l’houmous fait maison, lit l’étiquette avec curiosité et demande : « Qu’est-ce que c’est ? »

La cuisine levantine (cuisine traditionnelle de la région du Levant, qui comprend les États actuels de la Syrie, de la Jordanie, du Liban, de la Palestine, d’Israël et une partie du sud de la Turquie) est une nouveauté pour une majorité de la population de la capitale arménienne. On estime à près de 15.000 le nombre de Syriens de descendance arménienne – comme la famille Paloulian – qui sont revenus dans leur terre ancestrale depuis le début de la guerre en Syrie et leur impact sur la culture culinaire locale est manifeste.

Il y a près d’un siècle, les ancêtres des Paloulian ont fui en Syrie pour échapper au génocide arménien. « À Alep, nous travaillions dans l’industrie de la construction, dans la distribution de matériaux et fournitures de construction », se souvient Mari Paloulian. Aujourd’hui, elle vit à Erevan et travaille dans l’épicerie ouverte par son frère en 2014 où elle vend des fruits secs, des herbes et épices et des spécialités syriennes.

Leur petit commerce connait un franc succès dans ce minuscule pays enclavé d’environ trois millions d’habitants situé dans le sud du Caucase, une région au palet très différent de celui du Moyen-Orient. Alors que la viande constitue le principal ingrédient dans la plupart des spécialités arméniennes, les pot-au-feu du Moyen-Orient, parfumés aux épices et à l’huile d’olive, sont généralement servis avec des plats sans viande.

« Au début, quand nous venions d’ouvrir le magasin, les Arméniens que nous connaissions de Syrie étaient les seuls à venir acheter des épices et des plats syriens », dit madame Paloulian. « À présent, nous avons de plus en plus de clientèle locale. Notre houmous et notre moutabal [caviar d’aubergine préparé avec de la crème de sésame] ne dure pas plus d’un jour. »

Les Arméniens venus de Syrie ont introduit de nouvelles saveurs à Erevan. Des panneaux publicitaires en langue arabe y affichent désormais des réclames pour des produits culinaires syriens tandis que bouibouis et snacks se succèdent tout le long d’un passage souterrain situé à un jet de pierre de la très imposante Place de la République d’influence éminemment soviétique.

Ce passage souterrain est désormais connu sous le nom de centre commercial Alep et les tenanciers sont tous des Syriens d’origine arménienne. Ils proviennent majoritairement de la ville d’Alep aujourd’hui déchirée par la guerre.

Parmi les spécialités offertes sur les étals qui bordent le passage souterrain, le sahlab (une boisson chaude et onctueuse préparée à base de tubercules d’orchidée), le shish taouk (une brochette de poulet mariné), des saucisses épicées appelées sujuk, ainsi que diverses autres herbes, épices et spécialités typiques.

« Beaucoup de commerçants et de marchands syro-arméniens prospères n’ont pas d’autre choix que d’ouvrir des épiceries ou des étals de nourriture à Erevan », explique Arziv Hajinian, patron du restaurant Liban, à Erevan.

L’Arménie a ouvert ses portes aux Syriens, cependant les difficultés économiques fondamentales et la pauvreté endémique ont contraint bon nombre des nouveaux réfugiés arrivés dans le pays à se lancer dans des petits commerces de rue ou d’introduire des procédures de demande d’asile dans des pays occidentaux.

Hajinian, un immigré libanais d’origine arménienne, est arrivé à Erevan en 2002. Un an plus tard, il a ouvert un restaurant qui sert des spécialités levantines. « La saveur naturelle de la viande est ce que les gens apprécient le plus en Arménie », dit-il. « Les plats à base de pois-chiches, de sésame et d’aubergine étaient méconnus à Erevan avant l’actuelle crise des réfugiés. »

 

« En partageant la nourriture, nous faisons connaissance les uns avec les autres »

L’Arménie n’est pas la seule à être influencée par l’actuelle vague de réfugiés syriens. En Europe, même un pays comme le Danemark, avec ses lois anti-immigration strictes et ses politiques inhospitalières, jouit désormais des influences culinaires qu’apportent avec eux les nouveaux arrivants.

Durant dix jours en aout, le Festival culinaire et alimentaire annuel de Copenhague a accueilli une journée spéciale sur le thème de la Cuisine syrienne. Trine Hahnemann, la célèbre chef et chroniqueuse culinaire danoise organisatrice de l’événement a célébré les Syriens Gryder (littéralement les marmites syriennes) sous le slogan « Tradition et renouveau » et, avec le concours de DFUNK, une organisation de jeunes pour immigrés, a servi des mets syriens au cœur de la capitale danoise.

« Le partage de la nourriture est la meilleure façon de faire connaissance, de s’accepter et de se comprendre », a expliqué madame Hahnemann lors d’un entretien avec Equal Times. « Les migrants ont de tous temps emporté avec eux leurs spécialités culinaires traditionnelles vers d’autres pays et le paysage culinaire danois s’est vu influencé par la découverte de ces cultures. »

Trine Hahnemann prodigue aussi ses conseils à un groupe de jeunes Syriens dans le cadre d’un projet de création d’une série de restaurants pop-up aux quatre coins du Danemark, dont l’objectif est de faciliter leur intégration au sein de la société danoise. « Notre système politique exige de ces gens qu’ils renoncent à leur culture et à leur tradition », dit-elle.

« S’intégrer ne veut pas dire qu’il faille renoncer à sa culture et devenir Danois. Au contraire, la vraie intégration se situe dans l’échange et la recherche d’un équilibre culturel, afin de mieux fonctionner au sein de la nouvelle société tout en préservant ses propres histoires et styles de vie. »

Par un samedi matin ensoleillé, malgré les nouvelles réglementations en matière de contrôle frontalier désormais en vigueur, aucun policier ne monte à bord du train pour vérifier les passeports des passagers qui se rendent de la capitale danoise en Suède. Le train est, néanmoins, retardé parce que des « personnes non autorisées » traversent à pied le pont ferroviaire d’Oresund pour tenter de rejoindre la Suède.

Contrairement au Danemark, la Suède a maintenu ses frontières ouvertes à l’entrée des réfugiés syriens. Le brassage des cultures participe d’une longue tradition en Suède, qui fut tour à tour terre d’accueil des réfugiés de l’holocauste, des guerres de l’ex-Yougoslavie et, plus récemment, de la guerre contre la terreur.

En 2015, la Suède a accueilli le plus grand nombre de réfugiés par habitant de toute l’Europe. Pour beaucoup de réfugiés syriens, la troisième ville de Suède, Malmö, s’est convertie en destination finale pour démarrer une vie nouvelle. C’est ce qui explique pourquoi le quartier de Möllevången, à Malmö, s’est converti en épicentre de la scène syrienne en pleine éclosion en Suède.

« Presque chaque mois, un nouveau resto ouvre », indique Dale Cox, un chef britannique de 37 ans qui réside à Malmö. « Le goût des gens a énormément évolué à Malmö avec l’ouverture de ces nouveaux établissements. »

D’après Cox, l’actuel boum auquel on assiste à Möllevången ne se doit pas juste à la nourriture et aux restaurants. « C’est devenu pour beaucoup de jeunes Suédois le nouveau quartier hipster de la ville où ils se rendent pour manger un bout, faire du shopping et sortir. »

Les noms des magasins et restaurants qui bordent l’artère centrale de Möllevången en disent long sur les changements démographiques en cours dans cette partie de la ville. Sur les devantures, on trouve des noms évocateurs comme Sultan Palace Grill et Mezze, Mollans Falafel, Jalla Jalla et Saffron. Le samedi matin, une foule de gens s’agglutine autour de la place principale de Möllevången pour le marché aux fruits et légumes, alors que les tables des restaurants des rues alentours attirent aussi une clientèle abondante.

On est loin du cliché typique d’un marché scandinave ; ici, c’est du haut de leur voix que les vendeurs des étals bringuebalants interpellent les clients tantôt en arabe tantôt en suédois. Au lieu de vendre les fruits et légumes par petits paquets et dans des récipients en plastique, c’est par tas entiers que les fruits et légumes sont mis en vente. Les clients du marché parlent l’arabe, le kurde et le perse ; ils inspectent de près la fraîcheur des fruits et légumes en vente.

À quelques pas du marché, Tanoor, un restaurant qui vient récemment d’être inauguré propose des spécialités syriennes. « Pendant très longtemps, les Européens se rendaient au Moyen-Orient pour goûter notre nourriture », dit Yousef Al Awad, ex-gérant du Tanoor. « Maintenant que nous sommes ici, nous pouvons leur servir des plats qu’ils ne pouvaient autrefois trouver uniquement dans les pays d’où nous provenons. »

À Damas, Al Awad travaillait dans le célèbre restaurant Casablanca. Il est arrivé en Suède en 2014 et en avril 2016, quand le Tanoor a ouvert ses portes, il en est devenu le gérant.

« Ce n’est pas uniquement de nourriture qu’il s’agit », insiste Al Awad. « En disposant d’un endroit où servir cette nourriture, vous introduisez aussi une culture, une tradition et une manière de penser. »

L’ouverture du restaurant Tanoor ne constitue pourtant pas l’épilogue de l’histoire d’Al Awad et de la cuisine syrienne. En effet, fin août, il a ouvert un nouveau restaurant appelé Zeit & Zaatar, à Malmö. Il conserve fièrement la vidéo de l’inauguration du Zeit & Zaatar sur son téléphone : On peut y voir des Syriens en habit traditionnel joueur des airs musicaux arabes dans la rue en face du restaurant.

« C’est aussi une façon de contribuer à l’économie de la Suède », explique-t-il. « C’est une façon de donner quelque chose en retour au pays qui nous accueille, tout en ajoutant une nouvelle saveur à sa culture culinaire. »

 

Cet article a été traduit de l'anglais.