La reprise annoncée du « fracking » provoque une levée des boucliers au Royaume-Uni

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Une levée des boucliers se prépare contre l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique (en anglais « fracking ») au Royaume-Uni, suite à un arrêt historique qui autorise pour la première fois un forage après cinq années de moratoire.

Des projets controversés de prospection de gaz de schiste sur plusieurs sites dans le nord de l’Angleterre ont obtenu l’accord du gouvernement, déclenchant des protestations des communautés, des activistes et des travailleurs.

Au début de ce mois, le gouvernement britannique a révoqué une décision d’un conseil local qui empêchait la compagnie de gaz et de pétrole Cuadrilla Resources d’entreprendre des forages d’essai dans le comté de Lancashire.

Les opposants de cette pratique controversée – consistant à extraire le gaz de schiste par le pompage hydraulique de substances chimiques à grande profondeur, ladite technique de fracturation hydraulique ou « fracking » - alertent aux risques de contamination de la nappe phréatique, de même qu’aux risques accrus d’accidents du travail, de morts accidentelles et d’explosions.

La fracturation hydraulique avait été suspendue au Royaume-Uni depuis 2011, suite à l’admission par Cuadrilla que ses activités de forage sur un site à proximité de Blackpool avaient été à l’origine de secousses sismiques mineures. Bien que le moratoire fût levé en 2012, de nombreuses demandes de forage ont été rejetées par les conseillers municipaux ou retardées par des recours juridiques. En attendant, des moratoires restent en place en Écosse et au Pays de Galles, alors que la fracturation hydraulique est interdite en Irlande du Nord.

La décision du secrétaire d’État aux Communautés, Sajid Javid, d’annuler la décision du Conseil du Lancashire autorisera Cuadrilla à forer pour la première fois des puits horizontaux en Grande-Bretagne, malgré plus de 18.000 objections émanant des populations locales.

Faisant écho à l’ex-Premier ministre David Cameron qui a proclamé que le gouvernement mettrait « tout en œuvre pour le gaz de schiste », Javid a promis : « Nous prendrons les grandes décisions qui comptent pour l’avenir de notre pays en construisant une économie qui agit au bénéfice de tous et pas seulement de quelques privilégiés. »

Le PDG de Cuadrilla, Francis Egan, a envoyé un message fort aux autres exploitants de gaz de schiste qui peinent à convaincre les communautés et les conseils locaux.

« Il ne fait pas de doute que d’autres demandes de permis d’aménagement seront soumises et c’est bien la preuve qu’elles peuvent et doivent être approuvées », a dit Egan.

Une semaine après l’annonce du Parti travailliste britannique qu’il interdirait tout forage de gaz de schiste par fracturation hydraulique, le ministre fantôme de l’Énergie, Barry Gardiner a affirmé que la décision « passait au bulldozer » les désirs de la communauté et risquait d’enserrer la Grande-Bretagne dans le carcan suranné des combustibles fossiles.

« Les projections sur la création d’emplois de la société Cuadrilla elle-même montrent que ceux-ci seront de nature très éphémère, alors que ses déclarations selon lesquelles le fracking réduirait les factures d’énergie ont été remises en cause », a affirmé Gardiner dans une déclaration à la presse.

Des milliers d’objections communautaires ont également été balayées de côté en mai de cette année lorsque le conseil du North Yorkshire a accordé son feu vert à la société britannique Third Energy pour un forage par fracturation hydraulique à proximité de Ryedale.

Le géant bancaire Barclays est actionnaire à 97 % de la société de fracking et cette semaine des militants se préparent à lancer une série de manifestations pour dénoncer l’intervention de la banque dans le forage par fracturation hydraulique.

Pendant ce temps, la multinationale pétrochimique Ineos se prépare à lancer 30 nouveaux projets de forage au cours des 12 prochains mois, dont cinq sont annoncés pour avant Noël. Ineos a essuyé des critiques pour son intention de déverser dans la mer les eaux résiduelles dérivées du processus de fracturation hydraulique et pour supprimer les pauses thé matinales pour les travailleurs de son exploitation gazière en Écosse.

Alors que la reprise de l’exploration du gaz de schiste point à l’horizon – et que pétitions, marches et recours juridiques sont pratiquement épuisés – les éco-activistes aux quatre coins du Royaume-Uni en appellent à une « intensification des tactiques d’action directe ».

Al Williams du groupe activiste pour la justice climatique Reclaim the Power a affirmé que certaines personnes pourraient être obligées de payer de leur personne pour empêcher le forage.

« Les actions directes qui ont par le passé porté leur fruit dans la lutte contre le fracking ont inclus l’occupation au moyen de campements boucliers de sites menacés, les barrages, l’enchaînement aux machines et autres tentatives similaires visant à freiner ou bloquer le progrès des travaux. »

La volte-face du gouvernement pour autoriser le fracking dans les parcs nationaux a contribué à galvaniser la détermination des protestataires, au même titre que le plan du Premier ministre Theresa May, de verser des paiements en espèces aux résidents affectés par le forage – une démarche qui selon Friends of the Earth UK équivaut ni plus ni moins qu’à de la « corruption ».

Le soutien de Westminster au fracking a aussi mis en alerte l’organisation Spinwatch concernant l’influence des lobbies industriels et la « porte tournante » entre les départements du gouvernement et les sociétés extractrices.

 

Une perspective des travailleurs

Lorsqu’il a accordé son feu vert aux forages dans le Lancashire, le gouvernement a affirmé que cette activité créerait 64.000 emplois. Or cette projection entre en contradiction avec les estimations du syndicat britannique Trades Union Congress (TUC), qui avance le chiffre de 32.000 – une prévision soutenue par les conseillers du gouvernement.

Outre le TUC, certains des syndicats les plus importants du Royaume-Uni – comme Unite, Unison, Public & Commercial Services Union – s’opposent tous à l’exploitation gazière par fracturation hydraulique ou du moins soutiennent un moratoire sur cette activité. Chose peu étonnante, le GMB, syndicat représentant les travailleurs du gaz, est en faveur de l’expansion de l’industrie.

Le responsable national du GMB, Stuart Fegan, a invoqué la sécurité et l’indépendance énergétique au regard de régimes étrangers « avec les sbires, les bourreaux et les coupeurs de têtes qui les dirigent » comme une raison de soutenir la poursuite des forages.

Equal Times s’est entretenu avec le professeur Sean Sweeney, coordinateur de l’initiative Trade Unions for Energy Democracy (Les syndicats pour la démocratie énergétique), qui a été un témoin de première main des répercussions du boom du fracking sur les communautés des États de l’est des États-Unis.

« Je suis originaire du Royaume-Uni et l’idée du fracking en Angleterre est assez terrifiante », a-t-il affirmé. « La Pennsylvanie possède un cinquième de la densité de population du Lancashire et l’idée que vous puissiez avoir un volume élevé de forages par fracturation hydraulique a de quoi faire sonner les sonnettes d’alarme. »

Selon le professeur Sweeney, en opposant les projets extractifs au sein de leurs communautés, les activistes de base étaient désormais en train de faire le lien entre les dérèglements à l’échelle locale et le débat climatique plus large – comme il a pu être constaté dans le cadre de la polémique en cours aux États-Unis concernant le Pipeline Dakota Access.

« Ce qu’on voit un peu partout à l’heure actuelle c’est qu’à mesure que les projets d’énergie non conventionnels touchent un plus grand nombre de gens et entraînent une augmentation des conflits sociaux graves, la question commence à être de quel côté de la barrière vous vous trouvez. »

« Mais en dehors des travailleurs morts ou blessés, des perturbations routières, des risques de contamination de l’eau, de la pollution lumineuse provoquée par le torchage et des effets sismologiques, l’énergie dérivée du gaz de schiste n’est tout simplement pas en adéquation avec les objectifs du Royaume-Uni dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. »

Selon le professeur Sweeney, le fracking a été vendu comme une alternative plus propre dans le cadre de la transition du charbon. Or, toujours d’après lui, la recherche montre à présent que le boom gazier aux États-Unis – et le fait que le méthane provenant des émissions de gaz piège 86 fois plus de chaleur dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone sur une période de 20 ans – aurait un effet plus néfaste que le charbon en termes d’émissions de gaz à effet de serre durant la transition.

« L’efficacité de l’industrie gazière s’est certes améliorée mais vu le volume incroyable de gaz extrait, on se trouve désormais face au méthane converti en urgence planétaire », a-t-il dit.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.