Le droit de grève est un droit fondamental des travailleurs

Opinions

Au début de la Conférence internationale du Travail (CIT) de 2012, les porte-parole du groupe des employeurs et du groupe des travailleurs se sont réunis pour terminer une « liste restreinte » de 25 cas extraits du Rapport annuel de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du Travail (OIT) que les mandants tripartites devaient examiner la semaine suivante lors de la Commission de l’application des normes de la Conférence.

Sans prévenir, le groupe des employeurs a refusé de convenir d’une liste finale négociée incluant des cas pour lesquels le rapport de la Commission d’experts contenait des observations relatives au droit de faire grève et il a également cherché à introduire une « clause de réserve » à propos de l’étude d’ensemble de la Commission d’experts.

L’objectif d’une telle clause était double, à savoir diminuer le caractère persuasif des observations de la Commission d’experts en dehors de l’OIT et tenter d’établir un rapport hiérarchique (non existant) entre l’organe politique tripartite — la Commission de l’application des normes de la Conférence — et la Commission d’experts indépendante.

Le groupe des employeurs s’appuie sur trois revendications principales : Premièrement, le mandat de la Commission d’experts est limité à l’émission de commentaires sur l’application des conventions et ne prévoit donc pas de les interpréter. Deuxièmement, ils affirment que l’étude d’ensemble et le rapport annuel de la Commission d’experts ne sont ni des documents adoptés par les mandants tripartites de l’OIT ni des textes faisant autorité.

Plus précisément, ils prétendent que la Commission d’experts ne supervise pas les normes internationales du travail, mais plutôt les mandants tripartites de l’Organisation, et qu’il revient donc à ceux-ci de décider en dernier recours de la signification des conventions de l’OIT.

Troisièmement, pour eux, étant donnée l’absence de référence au droit de grève dans le texte de la convention n° 87, les règles d’interprétation adoptées au niveau international réclament que cette convention soit interprétée sans un droit de grève.

Dès lors, le droit de grève n’est pas un point sur lequel la Commission d’experts devrait émettre un avis.

L’argument du groupe des employeurs repose sur une conception profondément erronée de la liberté syndicale.

Ils adoptent une position conservatrice selon laquelle la liberté syndicale est un droit autonome, individuel, complètement dissocié du contexte des relations professionnelles.

Pourtant, le droit à la liberté syndicale est depuis longtemps entendu comme un droit collectif et comme un ensemble de droits incluant celui de faire grève.

En effet, dans le contexte des relations professionnelles, sans les droits inhérents qui en découlent, la liberté syndicale n’aurait aucun sens.

C’est un avis que partagent le BIT et une grande majorité des juges et des spécialistes.

La théorie de la liberté syndicale (correctement) adoptée par le Comité de la liberté syndicale, par la Commission d’experts et surtout par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de justice de l’Union européenne est propre au lieu de travail.

L’association au sein d’un syndicat peut être une fonction d’une liberté individuelle, mais cette dernière n’a que peu de sens si les travailleurs ne peuvent défendre leurs propres intérêts au travers de ces organisations.

La solidarité permet à la main-d’œuvre de dépasser les limites inhérentes aux contrats d’emploi individuels, d’obtenir des conditions d’emploi justes et de participer aux prises de décisions qui touchent leur vie et la société au sens large.

En l’absence d’un droit de grève, il est difficile pour le personnel de réaliser ces objectifs étant donné le rapport de forces inégal au sein d’une relation de travail.

De ce constat découle l’avis que la liberté syndicale implique non seulement le droit des travailleurs et des employeurs de former librement les organisations de leur choix, mais aussi celui de mener des activités collectives pour défendre les intérêts professionnels, sociaux et économiques des travailleuses et des travailleurs.

 

Articles contestés

Il est intéressant de noter que pendant près de 40 ans, le groupe des employeurs n’a pas remis en question la jurisprudence de l’OIT sur le droit de grève émanant de la Commission d’experts et du Comité de la liberté syndicale par rapport à la convention n° 87.

Depuis les années 1950, la Commission d’experts comme le Comité de la liberté syndicale ont estimé que l’article 3 comprenait une protection d’un droit de grève, quoique restreint et soigneusement défini.

En 1959, moins de dix ans après l’entrée en vigueur de la convention n° 87, la Commission d’experts, dans la première étude d’ensemble qui examinait en détail la liberté syndicale, a analysé le droit de faire grève dans la partie consacrée à l’article 3 de la convention.

Elle a surtout établi que « l’interdiction des grèves pour des travailleurs n’étant pas des responsables publics agissant au nom des pouvoirs publics […] peut parfois considérablement restreindre les activités potentielles des syndicats ».

La Commission d’experts a également établi que les interdictions du droit de grève allaient à l’encontre des articles 8 et 10 de la convention.

À l’instar de la Commission d’experts, le Comité de la liberté syndicale a fait directement référence à l’article 3 de la convention n° 87 et à la Constitution de l’OIT pour étayer son raisonnement.

Dès la deuxième réunion du Comité de la liberté syndicale, en 1952, ses membres ont affirmé que le droit de grève était « un [élément] essentiel des droits syndicaux ».

L’une des principales affirmations du groupe des employeurs est que le mécanisme de contrôle, et en particulier, la Commission d’experts, ne dispose d’aucun mandat constitutionnel pour fournir des interprétations contraignantes des conventions de l’OIT et qu’il revient plutôt à ses mandants tripartites, réunis au sein de la Commission de l’application des normes et de la Conférence internationale du Travail, de donner une décision finale à propos de la signification des conventions.

Même s’il est vrai que seule la Cour internationale de justice peut émettre des interprétations contraignantes des conventions de l’OIT, point que le groupe des travailleurs ne conteste pas, il n’est pas exact que la Commission de l’application des normes et la CIT sont les dernières arbitres pour fournir une interprétation des conventions.

Aucun élément constitutionnel ne soutient cette notion.

Par ailleurs, le rôle de la Commission d’experts, l’application des conventions, exige un niveau d’interprétation, élément que le groupe des employeurs a reconnu au préalable. D’autant plus que nombre de conventions de l’OIT établissent des principes vastes qui requièrent une certaine interprétation en vue d’évaluer leur application.

Pour la Commission d’experts de l’OIT, le droit de grève est protégé par les articles 3, 8 et 10 de la convention n° 87.

À l’examen du texte de la convention, en se servant des règles d’interprétation de l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, cette affirmation est indéniablement correcte.

Le sens ordinaire des termes de l’article 3 de la convention n° 87 confère pleinement un droit aux syndicats et aux associations d’employeurs d’inclure ce qu’ils désirent dans leur programme pour l’avenir.

Par exemple, ils peuvent inclure le droit de prévoir des négociations collectives et, pour les organisations syndicales, celui d’organiser des actions revendicatives.

Les termes n’offrent aucune base pour exclure le droit d’un syndicat de prévoir, dans son programme, l’organisation ou le soutien d’actions de revendication.

Le groupe des employeurs soutient erronément que le travail préparatoire de la convention n° 87 appuie leur point de vue.

Pourtant, il n’est possible de recourir aux travaux préparatoires d’un traité que si l’interprétation obtenue en vertu des règles énoncées à l’article 31 « laisse le sens ambigu ou obscur » ou « conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable ».

La justification du recours aux moyens complémentaires d’interprétation conformément à l’article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités est simplement infondée puisque l’existence du droit de grève au travers de la convention n° 87 ne laisse rien ambigu ni obscur, et n’est manifestement ni absurde ni déraisonnable.

Néanmoins, même si l’on s’intéresse aux documents préparatoires, rien ne suggère que la convention devrait être interprétée différemment. En outre, Bernard Gernignon, ancien responsable du Service de la liberté syndicale du BIT, a aussi noté que jamais dans les procédures qui ont précédé l’adoption de la convention n° 87, le droit de grève n’avait été expressément écarté.

En effet, il a toujours été évident que le concept de liberté syndicale implique que les syndicats ont pour objectif de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs.

Donc, l’accord et la pratique subséquents soutiennent également l’interprétation de la convention n° 87 selon laquelle il existe un droit international de faire grève.

Il ne fait donc aucun doute que le droit de grève est garanti par la convention n° 87 de l’OIT ainsi que par le cadre légal international plus vaste.

Le mécanisme de contrôle de l’OIT a fait correctement remarquer que le droit de grève existe et il a agi dans le cadre de son mandat constitutionnel en ce faisant, ainsi qu’en conformité avec les règles d’interprétation des traités.

Dans le cas où la question serait renvoyée à la Cour internationale de justice, il y a fort à penser que celle-ci s’appuiera sur les avis bien raisonnés du mécanisme de contrôle de l’OIT, et surtout sur celui de la Commission d’experts, et conviendra que la convention n° 87 protège le droit de grève.

 

Une version complète de cet article a été d’abord publiée par Global Labour Column.

Cet article a été traduit de l'anglais.