Le libre-échange tue les syndicalistes colombiens

Hillary Clinton et Donald Trump ont tous deux déclaré être opposés à l’accord de partenariat transpacifique – au moins dans sa version actuelle – mais ils prévoient des protections en matière commerciale, de manière générale, tandis que le gouvernement d’Obama ne cesse de renvoyer le traité devant le Congrès. Pendant ce temps, le Parti démocrate reste idéologiquement lié aux politiques néolibérales pour ouvrir plus de « marchés libres », en dépit des répercussions potentielles sur les normes relatives au travail et à l’économie dans les pays de la ceinture du Pacifique.

Or, si le passé n’est que le prologue, il est temps de réexaminer un autre accord commercial que le candidat Barack Obama a rejeté en 2008 – citant alors les violations des droits humains à l’encontre des militants syndicaux. L’Accord de promotion commerciale entre la Colombie et les États-Unis a fini par être adopté, cependant et, huit ans plus tard, malgré la baisse des barrières douanières et la relance du marché des exportations à hauteur d’environ 17 milliards USD, cet accord a réduit à néant le mouvement syndical, reproduisant le schéma du commerce néolibéral qui ravage l’hémisphère sud.

Les travailleurs américains sont de plus en plus méfiants à l’égard des politiques de libre-échange sur le modèle de l’ALENA, qui sont historiquement associées à une véritable hémorragie des emplois manuels. Mais les pertes de nos « partenaires commerciaux » de l’hémisphère sud se paient souvent au prix du sang. Dans une plainte récemment déposée par l’AFL-CIO auprès du ministère du Travail, il est signalé que le climat politique colombien est aussi hostile aux syndicalistes qu’avant l’adoption du traité commercial, si ce n’est plus.

Le commerce s’est libéralisé, mais une extrême violence s’est abattue sur le mouvement syndical colombien naissant, qui subit les exactions des forces paramilitaires, criminelles et gouvernementales. Le travail de syndicalisation ne progresse plus, étant donné que des dizaines de militants syndicaux ont été tués, souvent sans recours possible à une action en justice.

Dans ce contexte, où l’application des protections des droits humains est pratiquement inexistante, l’AFL-CIO déclare : « Depuis la signature de l’accord de libre-échange, les travailleurs qui essaient d’exercer leurs droits ont fait l’objet d’au moins 1466 menaces et actes de violence, dont 955 menaces de mort et 99 assassinats ».

Dans de nombreux secteurs, en particulier l’exploitation pétrolière et l’agriculture, la main-d’œuvre demeure instable et très peu payée. L’accord commercial comportait un Plan d’action du travail destiné à restructurer le mode de surveillance et les protections des droits des travailleurs, mais la Colombie a tardé à mettre en œuvre cet important programme de réforme, en dépit de la pression des syndicats américains et colombiens.

Selon les termes de la plainte, la liberté syndicale la plus élémentaire est quotidiennement menacée, et les travailleurs « sont confrontés à la violence, aux représailles et à l’impunité dès qu’ils essaient d’exercer leurs droits ».

 
Négociation collective

Seulement 0,5 % de travailleurs colombiens bénéficient d’une convention collective issue de négociations, en grande partie du fait de la discrimination antisyndicale et des pratiques d’emploi abusives, consistant par exemple à faire travailler des personnes de manière irrégulière pour éviter la régularisation des contrats, à fractionner les syndicats de manière préventive en créant des « pactes collectifs » avec certaines parties de la main-d’œuvre pour empêcher les travailleurs de se syndiquer et de demander la signature de conventions collectives officielles.

D’après l’AFL-CIO, « quand des travailleurs déposent une plainte à ce sujet ou pour d’autres violations de leurs droits, ils se heurtent aux interminables retards du gouvernement avant d’obtenir une réponse… Les travailleurs concernés par la plainte en question demandent justice depuis quatre ans, c’est-à-dire pratiquement depuis le jour de l’entrée en vigueur de l’accord commercial ».

Les militants syndicaux exhortent le Ministère du Travail à s’appuyer sur les dispositions de l’accord commercial relatives au travail pour lutter contre la violence antisyndicale en Colombie et contre les désastreuses conditions de travail et le manque de protections sociales.

Cependant, en avril dernier, le représentant américain du commerce a provoqué la fureur des militants syndicaux lorsqu’il a déclaré que le meurtre de syndicalistes n’était pas considéré comme une violation directe de l’accord commercial, en laissant entendre que l’objectif général du maintien du libre-échange n’avait rien à voir avec le fait de chercher à obtenir justice pour des actes de violence antisyndicale. En revanche, les entreprises peuvent formuler une réclamation en poursuivant directement les gouvernements auprès de « tribunaux quasi judiciaires », ce qui leur permet souvent d’obtenir d’énormes concessions.

Les responsables du secteur commercial font très certainement une analyse détaillée des termes juridiques du pacte, mais pour Brian Finnegan, le coordinateur mondial des droits des travailleurs à l’AFL-CIO, « il semble évident que lorsqu’on menace les gens, qu’on leur tire dessus ou qu’on les tue, ils ont moins tendance à créer des syndicats et à mener des négociations collectives ».

Souvent, l’intervention de l’État fait plus de mal que les chefs d’entreprise eux-mêmes. « Ce n’est pas comme si toutes ces violences étaient perpétrées par des paramilitaires ou des acteurs privés illégaux inconnus : c’est l’État qui en commet la plupart », précise Finnegan.

Dans de nombreux secteurs touchés par la crise économique, « le gouvernement colombien réagit à la mobilisation des travailleurs en cas de litige au travail en envoyant la police anti-émeute et en frappant les gens sans pitié ».

La Confédération syndicale internationale a relevé de nombreuses agressions à l’encontre de militants syndicaux. Par exemple, dans une conserverie de thon, 125 travailleuses affiliées au syndicat de l’agroalimentaire USTRIAL avaient organisé un sit-in pacifique suite à la fermeture soudaine de l’usine et aux licenciements collectifs et, « trois jours plus tard, à la demande de la direction de l’entreprise, l’escadron mobile anti-émeute a violemment expulsé les travailleuses, au moyen de gaz lacrymogènes ».

En mars dernier, des agents de sécurité ont brutalisé des travailleurs qui manifestaient sur une plantation de canne à sucre, « blessant grièvement cinq travailleurs…, dont l’un a perdu des fonctions cérébrales et des capacités motrices après avoir reçu une bombe lacrymogène qu’un agent lui avait lancé en pleine tête ».

 
Extrême violence en Colombie

La Colombie connaît de multiples formes de violence extrême, due à la guerre de la drogue et à une guerre civile qui dure depuis des années. Mais la suppression systématique de l’action syndicale, conjuguée à l’insécurité économique, va de pair avec une déstabilisation sociale accrue, notamment la dégradation généralisée de la société civile, les conflits internes et les déplacements massifs de populations dans les zones rurales.

Le nouveau gouvernement consolide son pouvoir dans les communautés historiquement détachées de l’État, ce qui fait dire à Finnegan que « pour beaucoup de personnes, la première présence de l’État colombien qu’elles constatent, c’est la police anti-émeute… Il existe un grave conflit du travail, mais au lieu d’engager des négociations avec le ministère du Travail, le gouvernement envoie la police anti-émeute, qui frappe les gens à coup de machette et de matraque, et des gens ont été tués ». Alors que la Colombie se relève peu à peu de plusieurs décennies de guerre, « cette attitude est complètement inacceptable en plein processus de paix ».

Luciano Sanín, universitaire de l’École nationale syndicale, l’ENS, analyse la situation ainsi : « Lutter contre les conflits du travail de manière démocratique est peut-être la chose la plus importante à faire dans le monde du travail, pour contribuer à l’effort national de consolidation de la paix. En effet, il est certain qu’il existe un rapport étroit entre l’instauration de la paix et le travail décent pour tous ».

Malgré l’entrave aux plaintes des défenseurs du travail, des réformes se mettent progressivement en place au sein des accords commerciaux. Par exemple, la pression bilatérale exercée par le monde du travail a contraint les ministres du Honduras à définir un Plan de suivi et d’action du travail en collaboration avec les porte-parole locaux des travailleurs pour renforcer la réglementation sur les droits de syndicalisation.

Toutefois, le problème ne provient pas d’un manque de programmes, mais d’actions concrètes. Tout le processus de négociation, indique Finnegan, est « toujours incroyablement lent et lourd… et on en est encore à négocier avec le pays des choses qui étaient déjà censées être prises en charge ».

Tandis que ces plans s’effacent peu à peu sur le papier, les ministres du Commerce sont déjà en train de signer un autre accord commercial, qui concernera, cette fois, 40 % de l’économie mondiale. Pendant que les Américains songent à l’élection de leur nouveau dirigeant, les travailleurs de l’ensemble de l’Amérique latine, et d’autres pays, savent exactement où va les mener le prochain gouvernement : un peu plus loin encore dans la spirale infernale.

 
Cet article a été initialement publié en anglais par The Nation. Copyright © 2016 The Nation. Réédité ici avec l’autorisation de l’agence internationale de presse Agence Global.

Cet article a été traduit de l'anglais.