Les employés de Coca-Cola en Espagne défient la multinationale

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Le 16 avril, le tribunal suprême d’Espagne a déclaré nul le plan de restructuration (Expediente de Regulación de Empleo, ERE), qui aurait entraîné le licenciement collectif de 290 employés de l’usine Coca-Cola Iberian Partners (CASBEGA), à Fuenlabrada, Madrid.

Ainsi fut ratifiée la sentence de l’Audience nationale de juin 2014 qui obligeait la société à « réintégrer les travailleurs à leurs postes aux mêmes conditions salariales qu’avant leur licenciement ».

Coca-Cola annonça ensuite la réouverture de l’usine de Fuenlabrada.

Aux cris de « Oui, nous pouvons » et « Vive la lutte de la classe ouvrière », les travailleurs et leurs représentants mirent fin à quinze mois de lutte acharnée.

Mais la joie initiale allait très vite faire place à la colère lorsque furent mis au jour les plans de la société de convertir l’usine en « centre de logistique et d’opérations et non de production ». Travailleurs et syndicats ont rejeté cette proposition, la qualifiant de « guet apens ».

Outre l’usine CASBEGA à Fuenlabrada (Madrid), en janvier 2014, Coca-Cola a fermé ses usines d’Alicante, de Colloto (Asturies) et de Palma de Majorque, dans le cadre de son processus de restructuration en Espagne, qui s’est soldé par le fusionnement des huit usines d’embouteillage du pays sous une nouvelle enseigne, Coca-Cola Iberian Partners.

Résultat des courses, 1230 licenciés sur un effectif de 4200 salariés « pour supprimer les doubles emplois et les déficiences et regrouper les critères liés aux activités et aux procédures », selon ce qu’affirme la société dans son communiqué.

Il n’en demeure pas moins que l’usine CASBEGA, à Fuenlabrada, brasse des bénéfices annuels de l’ordre de 900 millions d’euros.

 

Une procédure judiciaire truffée d’irrégularités

En dépit du fait qu’il ait été porté devant la justice et malgré la demande de protection judiciaire, le conflit du travail entre Coca-Cola et ses salariés a été long et irrégulier.

En juin 2014, la chambre sociale de l’Audience nationale de Madrid déclarait l’ERE nul, entre autres motifs parce qu’il portait atteinte au droit de grève à travers le recours à l’esquirolaje (l’embauche de travailleurs pour remplacer les grévistes), et ordonnait la réintégration des employés licenciés. Coca-Cola a alors introduit un recours auprès du Tribunal Suprême.

Six mois plus tard, sur la requête des syndicats Comisiones Obreras et UGT, l’Audience nationale a accordé à l’entreprise un ultimatum de cinq jours pour se conformer à la sentence.

L’arrêt avertissait la société Coca-Cola Iberian Partners qu’elle serait sanctionnée « en cas d’obstruction aux activités des représentants des travailleurs ».

Sur quoi l’entreprise a déclaré qu’elle « respectait et adhérait » à l’arrêt mais que la sentence de l’Audience nationale « n’oblige en rien à la réintégration effective des travailleurs, laquelle dépend exclusivement de la volonté de l’entreprise, ni à la réouverture de quelque centre de production que ce soit ».

En janvier 2015, un mois à peine après ces déclarations, l’entreprise a démantelé la fabrique de Fuenlabrada avec l’aide de travailleurs externes, évitant par-là de devoir respecter la sentence qui déclarait l’ERE nul.

Cette action fut menée en présence d’un important dispositif policier (dix fourgons antiémeute) déployé sur ordre du ministère de l’Intérieur espagnol, qui a empêché l’accès des représentants syndicaux aux installations et frappé plusieurs personnes qui protestaient depuis les barricades du Campamento Dignidad (campement Dignité), aux portes de l’usine CASBEGA.

La députée d’Izquierda Unida à l’Assemblée de Madrid, Ascensión de las Heras, présente à la mobilisation, a dénoncé l’ « illégalité » de ces actions.

En avril 2015, le Tribunal suprême a finalement ratifié la sentence de l’Audience nationale, déclarant les licenciements nuls.

 

Conflit professionnel et social

Jose Antonio Asenjo, travailleur de l’usine et porte-parole de Comisiones Obreras au Campamento Dignidad – sit-in organisé par les travailleurs et leurs familles aux portes de l’usine – déclarait : « ils ne nous ont pas pliés, ils ne nous ont pas domestiqués ».

« L’entreprise s’emploie à désarçonner ceux qui nous soutiennent et à redorer son image de marque », a signalé M. Asenjo, faisant allusion à la campagne de boycott des produits Coca-Cola lancée par les travailleurs sous le slogan Si Madrid no produce, Madrid no consume (Si Madrid ne produit pas, elle ne consomme pas).

Rien qu’en 2014, les ventes dans la région de Madrid et sa banlieue ont chuté de 49% et l’image de marque de l’entreprise associée à l’idée de « joie de vivre » s’est en vue sérieusement ternie.

Selon Paco Bermejo, porte-parole de la Plateforme Coca-Cola, on se trouve devant « un conflit social et pas seulement professionnel qui marque le commencement d’une lutte contre la réforme de l’emploi du gouvernement Rajoy et contre un modèle entrepreneurial déterminé ».

« Un pays ne peut progresser si les droits des travailleurs et de leurs représentants ne sont pas respectés sur les lieux de travail », ajoute M. Bermejo à propos de la manière dont l’entreprise a géré le conflit du travail.

« Maintenir un bras de fer avec une multinationale durant quinze mois n’est pas chose facile. Nous voulons faire savoir à Coca-Cola que ses procédés arrogants n’ont pas de place dans un pays démocratique. Ils ont tout d’abord essayé d’acheter les travailleurs, puis ils ont essayé de faire dérailler la grève et finalement ils ont eu recours à l’ERE et les ont laissés sans emploi. Ce conflit transcende la société madrilène et acquiert une dimension mondiale. Cette entreprise a tourné en dérision la justice espagnole par ses exactions procédurières », dénonce Jaime Cedrum, secrétaire général de Comisiones Obreras à Madrid, durant la manifestation qui a précédé la lecture de la sentence du Tribunal suprême, le 15 avril dernier.

Le cas de l’usine Coca-Cola de Fuenlabrada est directement lié aux négociations secrètes sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (plus connu sous son acronyme anglais TTIP), qui prévoit la possibilité de limiter l’action syndicale et d’intenter des poursuites contre des gouvernements à travers le recours à des tribunaux privés ad hoc.

À titre d’exemple, la multinationale française Veolia a eu recours à cette procédure en engageant des poursuites contre l’Égypte pour avoir augmenté le salaire minimum de 41 à 72 euros par mois.

Les travailleurs de Coca-Cola et leurs familles, à Madrid, ont battu le pavé à plusieurs occasions. Ils ont aussi participé à la majorité des manifestations convoquées dans la ville au cours des derniers mois, y compris les Marchas de la Dignidad (marches de la dignité) et le rassemblement du Premier Mai, où ils ont joint leur revendication aux nombreuses autres surgies en Espagne au fil de la crise économique, politique et sociale brutale qui sévit depuis 2008.

Le 22 mai 2015, Coca-Cola Iberian Partners s’avoua vaincue et a rouvert le site de Fuenlabrada, toutefois sous forme de centre logistique de soutien au réseau national de distribution. En attendant, les travailleurs poursuivent leur lutte pour récupérer les postes de travail qu’ils occupaient préalablement à l’ERE.

 

Cet article a été traduit de l'espagnol.