Manifestations contre la corruption et l’inégalité en Papouasie Nouvelle-Guinée

Le mois dernier, la Papouasie Nouvelle-Guinée a fait la une de la presse internationale quand des manifestations à l’Université de Papouasie Nouvelle-Guinée (UPNG), dans la capitale Port Moresby, ont pris une tournure violente. Le 8 juin 2016, huit étudiants ont été abattus par la police et 23 autres ont été blessés lors d’une manifestation appelant le Premier ministre Peter O’Neill à démissionner pour des allégations de corruption.

« Il ne peut y avoir de justification pour l’usage d’armes d’assaut contre un groupe d’étudiants sans défense qui expriment leurs droits », a affirmé Lawrence Stephens, président de Transparency International Nouvelle-Guinée dans un communiqué public.

Parmi les griefs à l’origine des manifestations, le définancement de l’unité de lutte contre la corruption de la police et les tentatives réitérées d’O’Neill de bloquer des enquêtes sur son implication dans le versement frauduleux de 30 millions AU$ (approximativement 22,8 millions USD) à un cabinet d’avocats.

Pas plus tard que la semaine dernière, l’UPNG a annoncé qu’elle suspendrait l’année académique en réponse aux manifestations et à la violence. Entre temps, des groupes de travailleurs de divers secteurs ont brandi la menace de grève à moins qu’O’Neill ne démissionne.

La Papouasie Nouvelle-Guinée est le pays doté de la plus grande diversité linguistique au monde avec plus de 700 langues parlées au sein d’une population de sept millions d’habitants. La langue officielle du pays est l’anglais, résultat de sept décennies de domination coloniale australienne (après une période de colonisation allemande entre 1884 et 1914).

« Le règne colonial australien [fut] administré conformément aux traditions britanniques, profondément empreintes de notions de supériorité raciale et culturelle », explique Nicholas Ferns, professeur d’histoire à la Monash University, en Australie. « En Nouvelle-Guinée, une énorme importance était accordée au profit, avec une main d’œuvre autochtone exploitée dans des conditions proches de l’esclavage ».

De nombreuses atteintes aux droits humains ont eu lieu sous le régime colonial australien, qui s’est accroché au pouvoir, sous une forme ou une autre, jusqu’en 1975, faisant de la Papouasie Nouvelle-Guinée l’une des dernières colonies au monde à accéder à l’indépendance. Aujourd’hui, l’Australie reste le principal bailleur de fonds du pays et les entreprises australiennes continuent d’occuper une place prépondérante dans l’exploitation des richesses naturelles de l’île.

Phil Robertson, directeur adjoint de Human Rights Watch pour l’Asie a déclaré lors d’un entretien avec Equal Times : « Les entreprises qui commercent en Papouasie Nouvelle-Guinée doivent être particulièrement attentives à leur obligation d’agir dans le respect des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, en commençant par assurer que leurs activités n’enfreignent pas directement ou indirectement les droits humains. Le pays est loin d’être conforme à cet idéal. »

Qui plus est, cet afflux d’investissements étrangers et l’exploitation des ressources n’a pas été bénéfique pour la majorité des Papous.

Plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour, alors que la Papouasie reste l’une des nations les plus inégales de la région Asie-Pacifique. La raison : Le vol des richesses minérales du pays par des entreprises étrangères, avec la complicité de fonctionnaires du gouvernement.

La Papouasie Nouvelle-Guinée occupe actuellement la 139e place sur 167 pays dans l’Indice de perceptions de la corruption de Transparency International (TI), alors que son score en matière de droits humains est presqu’aussi déplorable. Tout ceci a eu une répercussion importante sur les étudiants, dès lors que les jeunes représentent près de la moitié de la population du pays.

 

« Recours systématique à une force excessive »

La police fait, elle aussi, partie du problème : Décrite par TI comme étant profondément corrompue et obéissant au doigt et à l’œil au Premier ministre, son recours excessif à la force contre des étudiants protestataires n’était que la toute dernière d’une longue litanie de bavures policières.

« Le problème fondamental en Papouasie Nouvelle-Guinée est le recours systématique à la force excessive par la police et le recours fréquent à la torture en garde à vue, y compris contre des enfants », déclare Robertson. « Il faut qu’il y ait un engagement politique pour que les interventions policières se fassent dans le plein respect des normes des droits de l’homme internationales, sans quoi ces abus se perpétueront indéfiniment. »

L’état de droit est régulièrement bafoué dans ce pays, et ce jusqu’au niveau du Premier ministre, contre qui un mandat d’arrêt a été délivré en 2014 par la Direction nationale de la lutte contre la fraude et la corruption (National Fraud and Anti-Corruption Directorate, NFACD). O’Neill y a réagi en ordonnant la fermeture de l’agence. Jusqu’ici, l’opposition n’est pas parvenue à déposer une motion de censure contre son mandat.

« L’ampleur du détournement de fonds publics par les élites politiques qui agissent apparemment en toute impunité suscite un mécontentement croissant au sein de la population », a déclaré lors d’une interview sur Deutsche Welle Jonathan Pryke, chargé de recherche auprès du Lowy Institute for International Policy, en Australie. « C’est certainement un facteur majeur des troubles auxquels nous assistons actuellement. »

Les pressions internationales pourraient faire une différence, vu que la Papouasie Nouvelle-Guinée continue de bénéficier d’une aide importante, cependant la réaction des pays concernés a jusqu’ici été timide.

« Il faudrait qu’il y ait un front uni d’ambassades… qui exigerait au gouvernement de trouver une issue à la situation des étudiants protestataires et, plus avant, de s’engager à protéger les droits civils et politiques fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté syndicale et le droit d’assemblée pacifique », a affirmé Robertson, avant d’ajouter que de telles mesures sont cruciales pour obliger le gouvernement à réformer ses politiques.

Pour l’heure, le statu quo se maintient. Début juin, une injonction fut délivrée aux responsables universitaires les appelant à prévenir de nouvelles manifestations, ce qui semble – du moins jusqu’à présent – avoir contribué à un retour au calme. Mais tant que les problèmes plus vastes du pays ne seront résolus, le mécontentement public continuera de couver sous un voile de normalité.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.