Menace croissante contre le journalisme indépendant en Hongrie

News

Alors que le gardien de la démocratie, Freedom House, classe la presse Hongroise comme partiellement libre, pour les journalistes du pays, la situation semble bien pire.

Depuis l’introduction d’une nouvelle loi sur les médias en 2010, les médias hongrois ont été assujettis aux obligations légales afférentes à une « information équilibrée ».

Le non-respect de l’interprétation donnée par le gouvernement de ce qui constitue l’un des préceptes fondamentaux du journalisme est passible d’amendes lourdes, proportionnelles à la popularité de l’organe d’information.

Curieusement, à partir de 2013, la moitié des plaintes pour contenus jugés tendancieux émanaient du parti d’extrême-droite Jobbik, qui a vu la majorité de ses plaintes retenues. Les plaintes fondées sur des accusations de contenus anti-rom ont, quant à elles, systématiquement été rejetées.

La loi sur les médias contraint également tous les organes d’information nouvellement établis de s’enregistrer auprès des autorités dans les 60 jours suivant leur lancement.

D’autre part, cette année, les ONG et autres organisations de la société civile, dont notamment les médias indépendants qui opèrent sous ce statut, ont fait l’objet d’une surveillance étroite du gouvernement concernant leurs liens avec des donateurs étrangers.

Ce nonobstant, le parti conservateur Fidesz du Premier ministre Viktor Orbán qui fut réélu pour un second mandat en avril 2014 avec 44,87 des suffrages continue de bénéficier d’un soutien considérable dans le pays.

Par ailleurs, la situation dans les autres pays de la région tend à brouiller la dégradation de la situation nationale aux yeux des critiques du gouvernement en Hongrie.

« Lorsque je rencontre des collègues ukrainiens, ils me demandent s’il y a eu des journalistes tués ici au cours des dix dernières années et je dois leur répondre que non », explique le rédacteur en chef de la revue Kreativ, Attila Bátorfy.

Mais ce n’est pas parce que des journalistes ne sont pas tués en faisant leur travail qu’ils ne sont pas confrontés à d’autres menaces.

Selon un sondage de l’institut de recherche politique Nézőpont Intézet, 48% des journalistes hongrois affirment qu’ils ont été contraints d’agir à l’encontre de leurs convictions professionnelles au moins une fois au cours des 12 derniers mois.

« La situation est mauvaise pour nous mais elle ne peut être au centre des préoccupations des décideurs de l’UE tous les jours », affirme le journaliste et militant Attila Mong, qui a quitté la Hongrie et a fini par s’installer à Berlin suite à la promulgation de la loi sur les médias en 2010.

Bien qu’une décision du tribunal constitutionnel en 2011 ait obligé le gouvernement à revoir les dispositions les plus controversées de la loi sur les médias (comme l’obligation pour les journalistes de révéler leurs sources), d’autres éléments comme les pouvoirs du Conseil des médias, politiquement désigné, sont maintenus.

D’après l’Open Society Foundations (OSF), le mandat dont est investi le Conseil l’autorise à s’ingérer dans les décisions éditoriales.

Selon le rapport de l’OSF, le pouvoir de l’Autorité nationale des médias et des communications, la branche du Conseil des médias chargée de la presse audiovisuelle, est « absolu » et « sans précédent dans les autres démocraties européennes ».

Selon László M. Lengyel, président du Syndicat hongrois de la presse, la nouvelle législation du travail adoptée il y a quatre ans a encore affaibli le pouvoir de négociation du syndicat des journalistes.

« Ce n’est pas à cause de la crise économique mais à cause de la législation et de la politique du gouvernement », a-t-il indiqué à Equal Times.

Le gouvernement Orban a récemment procédé à l’introduction d’une nouvelle taxe sur la publicité, imposée pour brider les profits des médias privés.

L’introduction de cette nouvelle taxe a été annoncée à la suite d’un communiqué de la Commission européenne en juin qui appelait la Hongrie à supprimer progressivement les taxes spécifiques aux secteurs.

Judit Acsay, vice-présidente de l’Association des journalistes hongrois, relate comment le groupe de médias allemand RTL est particulièrement menacé par la taxe progressive et que c’est une des raisons pour laquelle ce groupe auparavant spécialisé dans les contenus de type tabloïd a subitement adopté un rôle de gardien face au gouvernement.

Selon l’EU Observer, même des organes de presse traditionnellement pro gouvernement ont exprimé leur préoccupation concernant cette taxe. La télévision et la presse écrite se taillent la part du lion des revenus publicitaires.

Cependant, les entreprises multinationales sont de moins en moins prêtes à avoir des démêlés avec le gouvernement.

Origo, le plus grand site d’information appartenant au groupe Deutsche Telekom a été chamboulé par le limogeage de son rédacteur en chef et le départ de 20 journalistes suite à la publication d’un article qui critiquait les dépenses des responsables du gouvernement.

D’après Mong, qui faisait partie de l’équipe de rédaction d’Origo jusqu’à 2012, beaucoup d’investisseurs étrangers fuient le pays, entraînant par-là une concentration encore plus forte du secteur aux mains de l’élite commerciale hongroise.

 

Suppression des dernières sauvegardes

Durant un temps, les organisations de la société civile ont pu assurer une certaine « marge de manœuvre » aux journalistes pris entre les pressions du gouvernement et des investisseurs braqués sur le profit.

Mais ces organisations ne sont plus sûres.

En juin, le Bureau de contrôle gouvernemental hongrois a lancé une enquête contre des ONG qui bénéficiaient d’un soutien financier à travers les Subventions de l’Espace économique européen et de la Norvège, un mécanisme destiné à venir en aide à la société civile dans les économies européennes moins prospères.

Les organismes figurant sur la liste des bénéficiaires ont été publiquement accusés de partialité politique, dû à la présence dans la liste d’un parti écologiste libéral. Le portail de journalisme d’investigation atlatszo.hu a également été attaqué en tant que bénéficiaire de la subvention.

La mesure a été critiquée par Transparency International, Human Rights Watch et d’autres organisations internationales.

Le Bureau de contrôle gouvernemental a annoncé qu’il serait procédé à un audit des informations à partir de 2010, et ce au nom de la transparence. Le fonds de subvention de l’EEE dispose, cependant, de son propre Conseil des auditeurs.

Entre temps, les médias proches du gouvernement continuent de bénéficier de revenus publicitaires plantureux.

L’État dépense plus de 16 millions d’euros en publicité, d’après des estimations citées l’année dernière dans le New York Times. Une grosse partie de ce budget concerne des programmes de développement financés par l’UE, ce qui a un effet de distorsion sur le marché des médias.

Alors que jusqu’à 2010, la majorité des journaux et magazines penchaient plutôt vers la gauche, on a vu depuis émerger un groupement de médias plus conservateurs qui inclut les quotidiens Magyar Nemzet et Magyar Hírlap, les hebdomadaires Heti Válasz et Magyar Demokrata, la chaîne de radio Lánchíd Rádió, et les chaînes de télévision par câble Hír TV et Echo TV.

En 2010, le parti au gouvernement a amendé la constitution en révoquant l’obligation du gouvernement de prévenir les monopoles médiatiques.

Rien d’étonnant, dès lors, que Freedom House ait récemment rapporté que quatre personnes proches du gouvernement possédant 15 sociétés de médias ont vu leurs bénéfices multipliés par sept entre 2009 et 2011.