Minerais provenant de zones conflits : une loi européene risque d’être discrètement remise à plus tard

Un artisan mineur de République démocratique du Congo, qui fait vivre sa famille en recherchant de l’étain, avait recueilli près de 300 kg de métal dans une mine du territoire Mwenga, dans le Sud-Kivu, à l’est du pays, lorsque des hommes armés ont fait irruption. « Ils ont encerclé le camp et ils se sont mis à tirer », explique le mineur qui souhaite garder l’anonymat dans la crainte de subir des représailles.

« Ils ont pris tout ce qu’on avait : notre étain, nos habits, nos panneaux solaires, notre nourriture. Nous avons dû transporter ce qui nous restait dans la forêt. Nous avons marché une journée entière », signale-t-il. « J’ai travaillé pendant deux mois et ma famille n’aura rien ».

Cette attaque s’est produite l’année dernière, pendant un conflit entre deux groupes armés qui se disputaient l’héritage du trône local. Ce n’est qu’un des nombreux cas relevés par l’ONG londonienne Global Witness, qui indiquent que les groupes armés à travers le monde financent leurs opérations grâce au commerce « des minerais des conflits ».

Depuis 2014, l’Union européenne, que Global Witness qualifie « d’acteur essentiel » dans le commerce des minerais, travaille sur une loi pour inciter les fabricants à cesser d’acheter les minerais présents dans les téléphones et ordinateurs portables ou d’autres produits, tels que les moteurs et les bijoux. Ces derniers, surnommés « blood diamonds » (diamants du sang), ont d’ailleurs inspiré à Hollywood un film éponyme.

Cette loi, qui fait désormais l’objet de discussions au sein de ce qu’il est convenu d’appeler le « trilogue » européen, c’est-à-dire le Parlement, le Conseil et la Commission, présente un obstacle majeur : doit-elle être contraignante, comme le souhaite le Parlement, ou confiée aux secteurs concernés pour être autoréglementée, comme le demandent le Conseil et la Commission ? Les partisans d’une loi contraignante rappellent que le temps presse et craignent qu’après la présidence tournante des Pays-Bas fin juin, la législation soit discrètement remise à plus tard.

L’autoréglementation, ou « autocertification », oblige les fabricants européens qui importent ces métaux et minerais à exercer un « devoir de diligence », qui consiste à assurer le suivi et la gestion de leurs achats et de leurs ventes conformément aux cinq étapes du « Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence » (Organisation de coopération et de développement économiques).

« Le premier problème, c’est que la Commission a décidé de rendre cette réglementation complètement volontaire », déclare Michael Gibb, à la tête de l’équipe qui travaille sur les ressources dans les zones de conflit pour Global Witness. « Le deuxième, c’est que la proposition de la Commission ne s’applique qu’à une poignée d’entreprises, alors que le guide de l’OCDE concerne l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement ».

« La réglementation ne tiendrait donc pas compte des entreprises en aval qui importent les minerais entrant dans la composition des appareils électroniques tels que les ordinateurs portables, ainsi que de nombreux autres produits », précise Gibb à Equal Times.

Par rapport à la réglementation initialement proposée, Global Witness souhaite davantage d’éléments contraignants et tient à ce que cette loi s’applique à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

« Si la loi couvre toute la chaîne d’approvisionnement, l’influence commerciale de l’UE sera plus efficace et plus à même d’entraîner un changement de comportement dans les grandes entreprises de raffinage, en les rendant plus responsables », ajoute-t-il.

 
Achats responsables et commerce légitime

L’objectif principal de la nouvelle loi est d’aider les entreprises à acheter de manière responsable quatre minerais en particulier (étain, tantale, tungstène et or) et d’encourager les circuits commerciaux légitimes, notamment en Afrique et en Amérique latine.

Les États-Unis ont déjà entrepris une démarche comparable en adoptant en 2010 la loi « Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act » (loi Dodd Frank sur la réforme de Wall Street la protection des consommateurs).

Cette loi favorise la transparence des chaînes d’approvisionnement, dans la mesure où les entreprises cotées en Bourse aux États-Unis qui utilisent des « minerais des conflits » dans leurs processus de production ont l’obligation de déclarer l’origine de ces minerais et d’exercer un devoir de diligence approprié dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Le devoir de diligence consiste notamment à demander aux entreprises qui achètent des minerais de se renseigner et de poser des questions sur la provenance des minerais. Par exemple, si une entreprise se voit proposer 1000 kg d’or du Togo, il suffit d’une recherche rapide pour découvrir que le Togo n’exporte pas d’or à cette échelle. L’entreprise devrait alors approfondir sa recherche en interrogeant davantage le fournisseur.

La volonté de légiférer a fait suite aux multiples atrocités commises à cause des minerais dans des zones de conflit. Un des exemples les plus tristement célèbres est celui de l’ancien président libérien Charles Taylor, le premier chef d’État à avoir été condamné par un tribunal pénal international, en 2012, pour avoir soutenu des rebelles du Sierra Leone voisin en échange de « diamants du sang » pendant la guerre civile qui a frappé ce pays de 1991 à 2002.

Une chambre d’appel du Tribunal spécial pour le Sierra Leone, établie aux Pays-Bas, a confirmé la condamnation l’année suivante portant sur 11 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour actes de terrorisme, meurtres, viols et recours aux enfants soldats.

La position officielle adoptée par Parlement européen à l’égard de la loi proposée allait dans le sens d’une réglementation obligatoire pour toutes les entreprises qui mettent sur le marché européen les minerais en question pour la première fois.

Les députés au Parlement européen veulent également que les entreprises en aval – soit environ 880.000 sociétés européennes qui utilisent de l’étain, du tungstène, du tantale et de l’or pour la fabrication de produits de consommation – soient tenues de fournir des informations sur les mesures qu’elles prennent pour déceler et combattre, dans leurs chaînes d’approvisionnement, les risques possibles concernant ces minerais et métaux.

Le Conseil européen (composé des gouvernements des 28 États membres de l’UE) affiche lui aussi une position officielle. D’après Gibb, le texte est « moins ferme que celui initialement proposé par la Commission à certains égards » parce qu’il présente de « nouvelles normes moins exigeantes pour certaines entreprises, en deçà du niveau de devoir de diligence préconisé par l’OCDE, que l’UE avait précédemment promis de soutenir ».

« Cela pourrait être préjudiciable, le risque étant de proposer une norme nettement inférieure à la recommandation de l’OCDE », explique-t-il.

Des réunions ont été organisées jusqu’à présent, en février et en avril, entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne, au sujet de la réglementation sur les minerais provenant de zones de conflit. Les discussions ont essentiellement porté sur le caractère obligatoire ou volontaire de la loi, sur le champ d’application des entreprises et les principes de l’OCDE.

Les autres sujets abordés concernaient la faisabilité, la mise en œuvre, les petites et moyennes entreprises, la reconnaissance des mécanismes de l’industrie et l’identification des zones de conflit.

Un acteur de l’UE qui tient à garder l’anonymat a récemment affirmé que « plusieurs États membres de l’UE étaient ouverts à certains éléments contraignants de la loi » mais pas à un système entièrement contraignant.

« Certains États membres sont préoccupés par la charge administrative que cela représente pour les entreprises et craignent un débat entre les États membres sur la distinction qui pourrait être faite entre les PME et les grandes entreprises en matière d’autocertification », indique cette personne à Equal Times.

« Les choses sont floues pour le moment. On a l’impression que les négociations sont difficiles, mais elles existent ».

 
Cet article a été traduit de l’anglais.

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