Non, ce n’est pas un pays pour les vieux Grecs

Le 4 février, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue en Grèce pour une des plus importantes manifestations depuis que le gouvernement de gauche de Syriza est arrivé au pouvoir il y a un an. Elles protestaient contre la réforme du système des retraites dans le pays et la proposition d’une nouvelle hausse des impôts.

La réforme des retraites fait partie de l’ensemble de mesures de réduction des dépenses découlant du dernier sauvetage économique convenu en juillet 2015 entre la Grèce et ses créanciers à l’issue de six mois de négociations ardues ; elle est en passe de devenir le plus gros défi posé à la survie politique du gouvernement.

La levée de boucliers soulevée par les réformes met le premier ministre Alexis Tsipras sous pression, alors que les Grecs l’avaient élu pour ses promesses anti-austérité et sa ferme opposition à de nouvelles réductions des pensions.

L’on ne sait pas encore exactement à quelle date le projet de loi sera présenté au parlement. Mais avec une majorité de seulement trois sièges, Tsipras s’est vu contraint d’adopter une politique radicalement différente afin d’apaiser les créanciers internationaux, au détriment des milliers de Grecs qui seront affectés par la réforme du système des retraites.

« Nous ne pouvons plus vivre dignement. Ils nous ont tout pris, et Tsipras devrait avoir honte d’avoir menti au peuple grec », dit à Equal Times Giorgos Andreadis, enseignant à la retraite à Athènes.

« Je ne peux même pas assurer mes besoins fondamentaux, ma nourriture ou le chauffage », dit Leda Giannakopoulou, retraitée, qui a encore à sa charge deux de ses enfants adultes, lesquels ont perdu leur emploi il y a trois ans et sont toujours sans travail.

L’opposition à la réforme des pensions a été unanime, rassemblant un groupe disparate de professions, incluant les cols bleus comme les cols blancs. Lors des manifestations, des médecins, des ingénieurs et des avocats, nombreux en costume-cravate, se sont joint aux paysans, chauffeurs de taxi, marins et ouvriers de la construction, et leur rassemblement a été baptisé « le mouvement des cravates ».

« La situation s’aggrave d’année en année », dit l’avocat à la retraite Nikos Athanasiou, dont la fille de 35 ans, physicienne, a récemment quitté la Grèce après deux ans de chômage pour se rendre au Royaume-Uni en quête d’un avenir meilleur.

« À la fin du mois, après avoir payé les impôts et les factures, il ne me reste presque plus rien de ma retraite pour survivre », ajoute lui.

Les données les plus récentes d’Eurostat indiquent que le pays compte près de 2,6 millions de retraités, lesquels touchent en moyenne une retraite de 882 euro (963 dollars US) par mois, au lieu de 1350 euro (1474 dollars US) en 2009.

D’après la Confédération générale du travail de Grèce (GSEE), 45 % de la population à la retraite perçoit une pension inférieure à 665 euro (726 dollars US).

« Une réaction organisée est nécessaire pour assurer la fonction redistributive du système des pensions, que le gouvernement met à mal avec ses réformes budgétaires  », dit le président de la GSEE, Giannis Panagopoulos.

 

« J’ai travaillé si dur toute ma vie »

En vertu du nouveau plan de sauvetage, la Grèce s’est engagée à diminuer l’enveloppe des pensions de 1,8 milliard d’euro cette année, mais le gouvernement Tsipras a proposé de plutôt relever les contributions patronales et salariales à la sécurité sociale afin de ne pas aggraver l’austérité.

Entretemps, les fonds de pension existants seront consolidés en vue d’en diminuer les frais administratifs.

Tout en réalisant une épargne de 1,8 milliard d’euro avec la réforme des retraites convenue dans les conditions du sauvetage financier, le gouvernement grec cherche également à établir une pension publique de base de 384 euro mensuels (419 dollars US), avec un plafond fixé à 2300 euro (2510 dollars US).

À partir de 2016, les nouveaux retraités verront leurs pensions calculées comme s’ils avaient toujours contribué au système réformé et non pas au système antérieur. Pour la majorité des travailleurs, cela pourrait se traduire par des retraites inférieures encore à la moyenne actuelle de 882 euro par mois.

En même temps, les créanciers de la Grèce exercent des pressions sur le pays afin qu’il adopte un système « à déficit zéro » mettant fin aux subventions budgétaires vers le système des pensions, qui garantirait sa survie jusqu’en 2060.

Cependant, ce système signifierait non seulement des coupes transversales à la fois dans les retraites de base et dans les retraites complémentaires, mais aussi l’abolition de l’allocation mensuelle spéciale à l’intention des retraités recevant les prestations les plus basses. Il entraînerait aussi une augmentation de l’âge de la retraite, de 65 ans à 67, avec des pénalités pour quiconque déciderait de partir plus tôt à la retraite.

La réforme mettrait également un terme aux modalités spéciales qui permettent aux mères qui travaillent et aux travailleurs des professions « dangereuses » de partir plus tôt à la retraite mais avec l’entièreté de leur pension. Il y aurait une fusion des différents fonds de pension sectoriels, afin de constituer trois fonds rationalisés, financés exclusivement par les contributions des travailleurs, et non plus par toute autre source de revenus publics.

« J’ai travaillé si dur toute ma vie dans ce métier, je me réveillais à quatre heures du matin et j’étais debout toute la journée jusqu’à minuit. Comment voulez-vous que je sois capable de continuer comme ça jusqu’à mes 67 ans ? », demande Alexandra Dimakopoulou, 50 ans, femme de chambre dans un hôtel, alors que tant le montant de sa retraite que le moment de son départ à la retraite sont remis en question.

Le gouvernement de Syriza a annoncé récemment que les femmes de chambre, ainsi qu’au moins 30 autres métiers, ne feront plus partie de la liste des professions « dangereuses ».

Le taux de chômage a atteint 25,6 % en mars 2015, ce qui fait que les Grecs dépendent souvent des membres de leur famille à la retraite pour joindre les deux bouts ; les données officielles du gouvernement révèlent qu’un ménage sur deux repose uniquement sur les retraites pour survivre, alors que le montant des pensions a été réduit 11 fois depuis 2010.

Un rapport rendu public par la Commission européenne début février avance l’argument que la réforme des pensions et les nouvelles mesures fiscales ne suffiront pas au pays pour atteindre les résultats prévus dans le plan de sauvetage, et que de nouvelles mesures d’austérité seront nécessaires en 2016 et 2017.

Pour l’heure, la Grèce est prise entre deux feux : le gouvernement de Syriza doit persuader ses créanciers étrangers que le pays adopte suffisamment de réformes pour mériter son sauvetage financier, tout en affrontant un ample mouvement de contestation devant la réforme des retraites, tant parmi les citoyens qu’au sein de son propre parti.

Alors que les chiffres du chômage gonflent et que le nombre de ménages dépendant exclusivement des retraites pour survivre augmente, la Grèce est plus que jamais au bord des troubles sociaux et de la fragilité politique.

Cet article a été traduit de l'anglais.