Pérou : Une loi du travail controversée est mise au rebut

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Face à un mouvement d’opposition fort et uni, le gouvernement péruvien a dû se résoudre à abroger une nouvelle loi très controversée sur l’emploi des jeunes.

La législation en cause, qui prévoyait, entre autres mesures, une révision à la baisse des salaires, des congés et des indemnités de licenciement pour les travailleurs de moins de 25 ans, a été abrogée au Congrès lundi dernier par une écrasante majorité de 91 pour, 18 contre et cinq abstentions.

Il aura néanmoins fallu pas moins de cinq manifestations massives organisées par une coalition de syndicats, d’étudiants et de membres de la société civile – la première le 19 décembre 2014 et la plus récente alors que le Congrès votait en janvier – pour sceller sa révocation.

Pour Julio Cesar Bazan, président de la Central Unitaria de Trabajadores del Perú (CUT), l’abrogation du code de travail des jeunes représente « un pas en avant vers la création d’un pays doté d’une législation du travail juste ».

La législation connue sous le nom de « loi Pulpín » fut adoptée le 11 décembre 2014, alors que les feux des projecteurs étaient braqués sur la Conférence climatique COP20 à Lima.

Selon le gouvernement, la réforme du code du travail contribuerait à « réactiver l’économie » et à combattre l’informalisation, attendu que 85% de la main-d’œuvre entre 18 et 24 ans se concentre dans l’économie informelle, selon l’Organisation internationale du travail (OIT).

Ses détracteurs – qui l’ont surnommée loi « Pulpín », d’après une marque populaire de jus de fruits pour enfants, satirisant l’idée reçue selon laquelle les jeunes travailleurs sont naïfs et corvéables tels des enfants – estiment toutefois que les mesures s’apparenteraient à un régime de « quasi-esclavage » dès lors qu’elles inciteraient les entreprises à embaucher des jeunes à moindre frais.

Ces travailleurs auraient non seulement vu leurs jours de congé revus à la baisse mais auraient, de surcroît, écopé de primes réduites, sans indemnité de licenciement en cas de résiliation du contrat d’emploi.

Quelque 260.000 jeunes travailleurs péruviens auraient été affectés par la législation, d’après les statistiques.

Sandra de la Cruz Elescan, 24 ans, étudiante et membre du Foro Juvenil Izquierda (Forum de la jeunesse de gauche), en aurait fait partie.

« La croissance économique est extrêmement importante au Pérou mais les bienfaits ne sont pas répartis équitablement. Je pense que les politiciens ont été très surpris par le mouvement, particulièrement entre Noël et Nouvel-An, mais c’était logique : Quand on touche au pouvoir d’achat des gens, ils vont réagir sur-le-champ. »

Un certain nombre d’arrestations ont eu lieu durant les marches et plusieurs manifestants ont été blessés mais le mouvement a néanmoins réussi à maintenir son élan.

Plus de 5000 personnes ont battu le pavé lors de la dernière manifestation, le 15 janvier 2015, soit environ le même nombre de personnes présentes lors de la première mobilisation en décembre 2014.

Pour Yohn Lescano, membre du groupe parlementaire de gauche Acción Popular – Frente Amplio, se débarrasser de la loi sur l’emploi des jeunes constituait « la seule solution pour préserver la sécurité dans les rues de Lima. Sans quoi, le mécontentement croissant se serait aggravé et aurait tourné à la violence. »

 

Un nouveau projet de loi ?

Une commission sera mise sur pied au cours des prochaines semaines, chargée de rédiger une nouvelle proposition de loi pour les jeunes travailleurs.

Dans un entretien accordé à Equal Times, Ciro Silva, coordinateur du Colectivo Patriotico de Apoyo a la Juventud (Collectif patriotique de soutien à la jeunesse), l’un des principaux organisateurs des manifestations, a indiqué que des changements s’avéraient nécessaires – et pas seulement dans le sens où ils étaient initialement proposés : « Le gouvernement doit reconstruire de fond en comble le marché du travail péruvien. Beaucoup de questions et d’éléments sont en contradiction avec les traités internationaux et les conventions de l’OIT. »

L’OIT avait auparavant exprimé des réserves à propos de la « loi Pulpín ».

« L’informalité est un sujet fort complexe. Nous savons qu’elle est très élevée au Pérou… mais il convient de parler d’initiatives, de politique fiscale, de productivité, de formation », a affirmé Carmen Moreno, directrice du bureau régional de l’OIT pour la région andine dans des déclarations publiées sur le site d’actualité péruvienne La Republica.

Pour Cesar Sobreron Estela, secrétaire de la section jeunesse de la Confederacion General de Trabajadores del Peru (CGTP), les réformes, si elles avaient été mises en œuvre, auraient été anticonstitutionnelles.

Il a déclaré dans un entretien accordé à Equal Times : « Le Pérou a conçu cette loi pour et avec les entreprises. Ce faisant il n’a respecté aucune des normes internationales. Cela aurait signifié l’institutionnalisation de l’emploi précaire. Nous avons besoin d’une législation plus globale, qui soit à la fois plus équitable et qui incite les entreprises à embaucher les jeunes. Cependant, il ne faut pas que les jeunes travailleurs soient contraints de payer le prix fort. »

Paola Egusquiza, secrétaire de la jeunesse auprès de la Central Autónoma de Trabajadores del Perú (CATP) est d’accord :

« Ce qu’il nous faut c’est un seul et unique code du travail. Nous avons en ce moment 49 dispositions différentes en fonction du secteur, de l’âge du travailleur. Il faut arrêter cette discrimination. »

 

Cet article a été traduit de l'anglais.