Quand Volkswagen livrait ses employés à la junte militaire brésilienne

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Il y a un peu plus d’un an, en septembre 2015, le « Forum des travailleurs pour la mémoire, la vérité, la justice et la réparation », composé de mouvements syndicaux, de défenseurs des droits humains et d’avocats, déposait une plainte auprès du ministère public fédéral contre l’entreprise Volkswagen.

Sur la base de documents exhumés des archives publiques de l’État de São Paulo, le constructeur automobile est accusé par l’organisation d’avoir collaboré avec la police militaire, du temps de la dictature brésilienne (1964-1985), en facilitant l’arrestation d’au moins douze employés de son usine de São Bernardo do Campo.

Ces travailleurs ont ensuite été détenus arbitrairement et torturés par la police du régime. La direction de Volkswagen d’alors est également accusée d’avoir participé à l’élaboration de « listes noires », en espionnant les activités de ses propres employés, avant de fournir ces renseignements à la police secrète.

C’est la première fois qu’une entreprise est ainsi dénoncée formellement, de plus par une organisation de la société civile, pour sa collaboration avec le régime dictatorial.

Ces derniers mois, une commission d’enquête du parquet fédéral, accompagné de celui de São Paulo et du ministère public du travail, a étudié le dossier constitué par le Forum, contenant 70 pages de preuves et d’arguments juridiques et a entendu les témoignages d’anciens travailleurs victimes, mais aussi des accusés, tel que le colonel Adhemar Rudge.

Cet ancien militaire de réserve a été le chef du département de la sécurité industrielle au sein de l’usine Volkswagen de São Bernardo, de 1967 jusqu’en 1991, bien après la fin de la dictature. Il avait succédé à ce poste à Franz Paul Stangl, l’ancien commandant nazi des camps de la mort de Sobibor et de Treblinka, extradé et condamné en Allemagne. Le 23 juin 2016, Rudge, désormais retraité de 90 ans, a été entendu par les juges d’instruction et a rejeté toutes responsabilités sur sa hiérarchie d’alors.

 

Un prolongement du travail de la « Commission nationale de la vérité »

Ce processus de recherche de la vérité sur la dictature a officiellement commencé en 2012 seulement. L’ancienne présidente Dilma Rousseff (elle-même emprisonnée et torturée à cette époque) a demandé la création de la Commission nationale de la vérité (CNV), afin d’enquêter sur le sort réservé à ceux qui résistaient au régime militaire.

Après deux ans de recherches, la commission a publié son rapport final. Parmi les personnes et les entités responsables de crimes, le document consacre un chapitre aux entreprises qui se sont rendues coupables, directement ou indirectement, de « graves violations aux droits humains », telles que la prison sans base légale, les violences sexuelles, la torture, les exécutions sommaires ou encore les disparitions forcées.

Ainsi, on peut y lire sous la plume de Rosa Cardoso, avocate et membre de la CNV « durant cette période, les entreprises et l’État dictatorial ont fraternisé, à l’intérieur et à l’extérieur des usines, afin d’empêcher l’organisation et la lutte des travailleurs pour la conquête et la défense de leurs droits ». Le rapport évoque ainsi l’arrivée de nombreux anciens militaires dans les organigrammes des entreprises, comme ce fut le cas chez le constructeur allemand, mais aussi chez Ford ou Mercedes.

Parmi les victimes entendues par la commission d’enquête, qui poursuit donc le travail engagé par la CNV, il y a l’ancien outilleur Lucio Antonio Bellentani, âgé aujourd’hui de 72 ans. Secrètement affilié au parti communiste à l’époque où il se trouvait chez Volkswagen, il a été arrêté sur son lieu de travail en 1972 par les hommes du Département de l’ordre politique et social (Dops), un organe de la dictature chargé de la répression des mouvements sociaux.

« Ils m’ont pointé une mitrailleuse dans le dos et m’ont menotté devant mes camarades, » témoigne-t-il à l’audience. Frappé d’abord dans les locaux de l’usine, il est ensuite détenu au Dops pendant quarante-six jours, sans que sa famille en soit informée. Il raconte que « la torture y était quasi quotidienne ». Pendant son audition ultérieure, le colonel Adhemar Rudge a réfuté la moindre arrestation dans les locaux de l’usine dont il aurait pu être complice.

João Batista da Rocha Lemos, un autre ancien employé de l’usine a lui aussi été entendu. L’homme qui est encore aujourd’hui membre du Parti communiste brésilien (PCdoB) raconte avoir été espionné par le département de sécurité, suite aux grèves auxquelles il a participé entre 1977 et 1979. Son nom et son adresse se sont retrouvés à l’époque sur une liste de « personnes suspectes », envoyée par Volkswagen au Dops. Il témoigne avoir été licencié et avoir éprouvé des difficultés pendant de longues années pour retrouver du travail.

Pour le coordinateur du Forum des travailleurs, Sebastião Neto, interviewé par Equal Times, l’objectif de la démarche auprès du procureur est d’obtenir l’ouverture d’une procédure judiciaire de droit civil afin que l’entreprise reconnaisse son implication et verse des réparations collectives. En revanche, toute condamnation pénale est rendue difficile par la loi d’amnistie, votée à la fin de la dictature et qui protège les membres et les collaborateurs du régime encore aujourd’hui.

Les réparations demandées par les membres de l’organisation devraient servir aux financements de programmes éducatifs et de mémoire. « Il est nécessaire que le secteur privé soit dénoncé pour sa collaboration avec le coup d’État et le régime militaire. Volkswagen n’est que la première entreprise concernée par ce processus de recherche de la vérité, de la justice et de la réparation. Nous souhaitons étendre nos actions à d’autres entreprises et dans tout le Brésil ».

Le procureur Pedro Antônio Machado, en charge du dossier, possède déjà une profusion de documents accablants. Il a tout de même formulé, en juillet dernier, une demande auprès du siège de Volkswagen en Allemagne pour tenter d’établir la liste des supérieurs d’Adhemar Rudge et déterminer le degré d’implication de la maison-mère.

« Les dirigeants de Volkswagen savaient très bien qu’à l’époque le Brésil vivait sous les lois d’un « état d’exception », où les libertés individuelles et syndicales étaient réduites », explique Sebastião Neto. L’enquête devrait aussi déterminer les éventuels « bénéfices obtenus par Volkswagen en raison de sa complicité avec le régime. »

Fin 2015, le représentant allemand de Volkswagen, en la personne de Manfred Grieger, du département de l’Histoire du groupe, est venu spécialement au Brésil pour évoquer le sujet avec le procureur Machado. Même si l’entreprise prend soin de peu communiquer sur le sujet, elle semble prête à des excuses.

« Volkswagen regrette que des personnes aient pu souffrir durant la dictature militaire, éventuellement, à cause de la participation de responsables de Volkswagen Brésil », a-t-il déclaré alors.

Le ministère public devrait conclure ses investigations et donner suite, ou non, à une procédure judiciaire « d’ici la fin 2016 et le début de 2017 », déclare Neto.