Royaume-Uni : enquête parlementaire sur le scandale des listes noires de syndicats

Un nouveau livre fait des révélations explosives sur l’usage fait par des entreprises d’informations recueillies par les services d’espionnage de la police pour mettre sur listes noires des milliers de membres de syndicats britanniques.

Blacklisted : The Secret War between Big Business and Union Activists lève le voile sur les opérations menées par des policiers infiltrés au sein des principaux syndicats britanniques pour transmettre des informations sur des travailleurs considérés comme une menace aux intérêts privés ou publics.

Dans des déclarations faites la semaine dernière, des députés britanniques ont indiqué que les entreprises impliquées dans les listes noires semblaient plus soucieuses de protéger leur image de marque que de « remédier aux crimes du passé  ».

Les députés se sont désormais ralliés à l’appel des syndicats pour l’ouverture d’une enquête publique exhaustive sur ce que les auteurs de l’ouvrage ont décrit comme un « scandale national  ».

Le livre raconte comment la division industrielle de la Special Branch, unité de la police britannique chargée de la sûreté nationale, a transmis des renseignements à la Consulting Association - organisation obscure payée par les entreprises de la construction pour dresser une liste noire contenant les noms de 3.213 membres du Syndicat de la construction, des menuisiers et techniciens (Union of Construction, Allied Trades and Technicians, UCATT).

Une grande partie des travailleurs visés ont été punis pour avoir soulevé des préoccupations liées à la santé et la sécurité. Les travailleurs dont le nom figurait sur la liste ont été mis au ban par des entreprises et des agences, privés d’emploi et se sont vu refuser le droit d’accéder à l’information publiée à leur sujet.

Ancien ingénieur et membre de l’UCATT, Dave Smith, qui est aussi l’un des coauteurs du livre avec le journaliste Phil Chamberlain, fut mis sur liste noire après voir dénoncé la présence d’une contamination à l’amiante sur des chantiers.

« Mon salaire est passé de 30.000 livres (environ 44.600 USD) à seulement 12.000 GBP (17.000 USD) par an », a-t-il révélé lors d’un entretien avec Equal Times.

« Les agences ont arrêté de m’appeler et les offres de travail se sont taries. Or pas une seule de ces sociétés qui ont soutenu la mise sur listes noires n’a été sanctionnée. En réalité, beaucoup de responsables ont même été promus.  »

« Certains ont, depuis, présenté leurs excuses. Mais s’ils s’excusent ce n’est pas parce qu’ils ont eu recours aux listes noires mais bien parce qu’ils ont été pris. »

 

La partie émergée de l’iceberg

D’après Smith, les cas dévoilés dans le livre ne représentent que «  la partie émergée de l’iceberg ».

« C’est une pratique qui continue d’affecter d’autres industries. Les travailleurs syndiqués de l’industrie pétrolière en Mer du Nord, de l’industrie ferroviaire, de même que les membres du syndicat des pompiers et du syndicat national des enseignants ont tous été mis sur listes noires. Sans vouloir être ouvertement politique, c’est l’État qui assume le rôle d’agent au service des grandes entreprises contre les syndicats. »

Ancien policier infiltré devenu lanceur d’alerte, Peter Francis a passé quatre années à infiltrer les activistes politiques en tant que membre du Special Demonstration Squad (SDS), aujourd’hui dissout.

Depuis la publication du livre, il a avoué avoir épié les activités de cinq syndicats, nommément Unison, Fire Brigades Union (syndicat des pompiers), Communication Workers Union (syndicat des travailleurs de la communication), National Union of Teachers (syndicat national des enseignants) et National Union of Students (union nationale des étudiants).

Il ajoute que les renseignements qu’il a transmis ont figuré sur les listes noires. La semaine dernière, il a aussi révélé avoir espionné les activités d’une série de députés britanniques dont beaucoup à l’époque où ils travaillaient en tant qu’activistes au sein d’organisations contre le racisme.

Policier infiltré et membre du SDS, Mark Jenner s’est, lui aussi, fait passer pour un syndicaliste. Il a été membre de l’UCATT pendant trois ans à partir de 1996 et a eu une liaison de cinq ans avec une militante de l’organisation.

Certains policiers infiltrés ont eu des enfants avec des militantes cependant que d’autres ont pris le nom d’enfants morts.

Le lancement du livre a eu lieu le jour-même où la ministre de l’Intérieur, Theresa May, annonçait l’ouverture d’une enquête publique approfondie sur l’espionnage et les infiltrations de la police dans les campagnes de protestation écologistes et antiracisme.

UCATT, le syndicat général des travailleurs GMB et la confédération syndicale nationale britannique Trades Unions Congress (TUC) ont tous demandé l’ouverture d’une enquête publique exhaustive sur la mise sur listes noires de syndicalistes.

La semaine dernière, le leader de l’opposition travailliste Ed Milliband a promis une enquête s’il est élu aux élections générales britanniques de mai prochain.

Frances O’Grady, secrétaire générale du TUC a déclaré : « Cette pratique honteuse a plongé dans la misère des milliers de travailleurs et leurs familles, punis pour avoir adhéré à un syndicat ou avoir soulevé des problèmes de santé et de sécurité. La mise sur liste noire constitue une violation fondamentale de nos droits humains et doit être proscrite en tant que délit pénal. »

Prenant la parole à l’occasion du lancement du livre en mars, Peter Francis ajoute : « Je voudrais profiter de cette occasion pour présenter mes excuses les plus sincères à tous les travailleurs syndiqués que j’ai personnellement espionnés et au sujet desquels j’ai transmis des informations lors de ma mission d’infiltration pour le SDS. »

« Je suis prêt à répéter tout ceci sous serment lors de l’enquête publique, de même que dans le cadre de toutes procédures éventuelles intentées à la demande de l’UCATT ou de tout autre syndicat ou activiste mis sur listes noires contre les instances britanniques concernées.  »

La Consulting Association était payée pour fournir des renseignements sur des travailleurs syndiqués à plus de 40 entreprises de construction transnationales, dont Balfour Beatty, Skanska et Carillion, avant que cette dernière ne fit l’objet d’une perquisition par le Bureau du commissaire à l’information (Information Commissioner Office, ICO).

En 2010, de nouvelles règles furent instaurées rendant illégaux la constitution de listes noires et le recours à celles-ci, au même titre que le refus d’embauche lié à l’inscription du demandeur sur une liste noire.

L’UCATT a qualifié ces nouveaux règlements de « profondément décevants » et a appelé à ce que la mise sur liste noire soit classée au titre de délit pénal ; à ce que l’ICO soit tenu d’informer toutes les personnes dont le nom figure sur des listes noires ; à compenser les victimes et à exclure des marchés publics des entreprises coupables de recours aux listes noires.

Et Smith de déclarer : « C’est à mourir de rire. On sait éperdument quelles sont les entreprises qui ont eu recours à des listes noires. Or pas une seule d’entre elles n’a eu à supporter les conséquences de ses actes alors que d’autres ont perdu leur emploi. »

 

Cet article a été traduit de l'anglais.