Chocolat et travail des enfants : un arrière-goût amer

 

L’industrie du chocolat est sans doute plus active que toute autre industrie confrontée aux mêmes problèmes de travail et d’esclavage des enfants le long de ses chaînes d’approvisionnement.

En tout cas, à côté des efforts dérisoires des vendeurs de vêtements pour mettre fin à l’asservissement des filles et des jeunes femmes dans les chaînes d’approvisionnement indiennes, les industriels du chocolat sont un modèle de responsabilité sociale des entreprises.

Cela dit, il reste encore beaucoup à faire.

 

Le problème du trafic d’enfants dans le secteur du cacao a été pointé du doigt il y a un peu plus d’une dizaine d’années, suite à un excellent travail de journalisme d’investigation, qui a révélé la nature de l’esclavage des enfants dans les plantations de cacao d’Afrique occidentale.

Une étude réalisée en 2010 par Anti-Slavery International confirme que la traite des êtres humains – définie comme le déplacement de personnes à des fins de travail forcé – et notamment le trafic d’enfants originaires du Burkina Faso, du Mali et de Côte d’Ivoire, en particulier, est toujours monnaie courante, malgré une probable diminution au cours de la dernière décennie.

L’esclavage des enfants dans l’industrie du cacao ne surgit pas du néant. Plusieurs facteurs en sont à l’origine, tels que le niveau élevé pauvreté qui sévit dans la région, le manque de respect des droits des enfants, la règle de droit trop fragmentaire et la corruption omniprésente.

Dans ces circonstances, le travail des enfants est pour ainsi dire banal, d’autant que les producteurs eux-mêmes font faire des travaux dangereux à leurs propres enfants alors qu’ils ne sont pas encore en âge de travailler, que ces travaux sont contraires aux intérêts des enfants et peuvent les empêcher d’aller à l’école.

Ces pratiques dégénèrent parfois et aboutissent au trafic d’enfants, alors soumis au travail forcé. En règle générale, la traite des garçons concerne le secteur de l’agriculture, tandis que les filles sont livrées à la servitude domestique et, parfois, à l’industrie du sexe.

Les garçons sont « importés » dans les plantations de cacao au début de l’adolescence, ou même avant, et ils sont traités avec violence jusqu’à ce qu’ils deviennent trop forts, littéralement, pour se laisser facilement impressionner.

Quand ce moment arrive, on les renvoie chez eux et, s’ils ont de la chance, on leur paie le voyage en car.

Lorsque nous leur avons demandé pourquoi ils allaient chercher du travail en Côte d’Ivoire, la réponse de ces anciens enfants esclaves était d’une banalité tragique : les trafiquants leur avaient promis un travail facile et un bon salaire – c’est-à-dire assez d’argent pour pouvoir s’offrir un vélo quand ils rentreraient chez eux.

Certes, la production de cacao rapporte un avantage économique immédiat à l’Afrique occidentale, mais le recours au travail et à l’esclavage des enfants dans ce secteur et dans l’ensemble du secteur agricole contribue, à long terme, à l’appauvrissement de cette région, du fait que les enfants sont privés de la possibilité de recevoir une éducation, ce qui les oblige à redoubler d’efforts pour atteindre leurs pleines capacités à l’âge adulte.

 

 

Les solutions

De nombreux citoyen(ne)s ordinaires pensent que ce sont les chocolatiers et les acheteurs de produits d’Afrique occidentale qui devraient, en quelque sorte, « régler le problème ».

Or, la difficulté réside dans le fait que la lutte contre le travail et l’esclavage des enfants est une question sociale et politique, qui va bien au-delà des compétences fondamentales de la plupart des entreprises, dont la tâche économique relativement basique se limite à faire des bénéfices.

Autrement dit, la plupart des entreprises ne savent pas par où commencer pour lutter contre les violations des droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement.

En conséquence, de nombreuses personnes n’accordent aucune attention à ce problème, ce qui est d’ailleurs tout à fait impardonnable, tant que des facteurs externes ne les y obligent pas.

En guise de réponse, on entend souvent dire que les entreprises devraient simplement veiller à ce que tout le cacao soit « certifié » par Fairtrade (commerce équitable) ou par Rainforest Alliance.

Des organismes de certification tels que ceux-là s’efforcent de garantir que les producteurs certifiés reçoivent une rémunération juste et, dans une certaine mesure, de promouvoir de meilleures pratiques agricoles.

C’est une bonne idée en soi, mais cela ne veut pas dire pour autant que la mise en place de cette mesure de justice économique ou que l’amélioration de la connaissance technique le long de la chaîne d’approvisionnement se traduisent forcément par une justice suffisante pour éliminer les racines de la traite et de l’esclavage des enfants.

En effet, en 2010, le magazine d’actualités de la BBC, Panorama, a signalé des cas d’esclavage d’enfants dans des coopératives de cacao du commerce équitable en Afrique occidentale.

Manifestement, une approche plus attentive, plus humaine et axée sur les droits des enfants est indispensable pour combattre les rouages de l’esclavage.

Et ce serait plus efficace que de croire qu’il suffit de donner un peu plus d’argent à ceux qui maltraitent déjà les enfants pour qu’ils arrêtent.

Anti-Slavery International, ainsi que d’autres organisations internationales, travaille actuellement avec le chocolatier Mondelēz International, dans le cadre du programme Cocoa Life annoncé il y a peu, précisément dans le but de mettre en place cette approche.

Nous nous efforçons d’élaborer des politiques qui incitent tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement à identifier, en amont, les enfants victimes de trafic et d’esclavage, à établir des systèmes de protection des enfants pour les mettre à l’abri de tout danger et les aider à retrouver leur enfance, et à définir des programmes visant à éradiquer une fois pour toutes les causes du travail des enfants.

C’est seulement, je crois, en instaurant des collaborations crédibles entre les gouvernements, le secteur privé et les organisations à but non lucratif que l’on pourra atteindre un niveau d’expertise suffisant pour commencer à combattre efficacement les violations des droits humains perpétrées dans diverses chaînes d’approvisionnement.

Ces collaborations seront, inévitablement, difficiles, dans la mesure où elles impliqueront des organisations de cultures différentes.

Mais, au fil du temps et en travaillant énormément, une force peut émerger de cette diversité, offrant de nouveaux modes de pensée et de nouveaux modèles commerciaux susceptibles de contribuer à la durabilité des échanges et, à long terme, au bien des personnes, des communautés et des pays.

L’alternative consisterait à maintenir le statu quo, dont le coût se mesure en milliers de vies d’enfants détruites par l’esclavage ou un travail débilitant. Ce prix-là est tout simplement inacceptable.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.