La catastrophe minière de Marcinelle revisitée dans une Europe en crise

L’intégration européenne est-elle une opportunité ou un joug de règles et d’austérité ? Le récent référendum du Brexit a injecté une nouvelle force à la diatribe de longue date et exposé la difficulté qu’ont les euro-partisans à expliquer les bénéfices de l’appartenance à l’Union européenne (UE).

Le 60e Anniversaire de la catastrophe minière de Marcinelle, en Belgique, offre une comparaison entre hier et aujourd’hui.

Sur les 274 mineurs qui, le 8 août 1956, travaillaient dans la mine de Bois de Cazier, à Marcinelle, dans le sud de la Belgique, seul 12 ont survécu. La catastrophe est survenue lorsqu’un wagonnet minier incorrectement chargé dans une cage d’ascenseur a accroché une conduite d’huile et des câbles électriques, provoquant l’incendie meurtrier.

Les victimes étaient de 12 nationalités différentes. Les plus nombreux – 136 travailleurs – étaient italiens. Ils avaient émigré en Belgique pour travailler dans l’industrie du charbon. Aussi, un rapide aperçu du cadre politique leur afférent peut-il contribuer à mieux comprendre les changements intervenus à la suite de l’intégration européenne.

Bruxelles et Rome représentaient deux des six États qui ont engagé le processus de coopération entre des nations d’Europe occidentale au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Ce sont eux qui, en 1951, ont souscrit le Traité établissant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), précurseur d’autres traités qui conduiraient, à terme, à la constitution de l’UE. Cependant, les travailleurs italiens qui voulaient accéder au marché du travail belge avaient peu d’options, d’autant que la majorité d’entre eux étaient faiblement qualifiés.

Dans la Belgique de l’après-guerre, l’industrie charbonnière jouait un rôle stratégique dans la production d’énergie sur une grande échelle, en réponse à la demande nationale et internationale. Il existait, cependant, une pénurie de main-d’œuvre, notamment en raison de la désaffection d’un nombre sans cesse croissant de Belges envers un emploi considéré dangereux et souvent mal rémunéré.

Une solution a consisté à faire appel à la main-d’œuvre étrangère, y compris des Italiens majoritairement issus de la région du Mezzogiorno, alors en déclin économique (sud de l’Italie).

L’establishment économique et politique italien envisageait une reprise de l’émigration comme solution alternative à la redistribution du revenu en faveur des classes modestes.

D’autre part, il y voyait un moyen de réfréner les tensions sociales et le risque d’une résurgence de la gauche. Dans ce contexte, Rome a explicitement fomenté l’émigration.

En juin 1946, l’Italie et la Belgique signaient un protocole bilatéral prévoyant l’embauche de près de 50.000 travailleurs italiens par des mines belges et, en contrepartie, la vente de charbon à l’Italie. En vertu de ce protocole, Rome prendrait des dispositions extraordinaires pour envoyer 2000 travailleurs par semaine en Belgique.

Une litanie d’examens médicaux et de formalités administratives ont rendu le processus particulièrement fastidieux pour les candidats à l’émigration. Le processus de sélection était contrôlé par les institutions des deux pays et les représentants de l’industrie charbonnière belge.

Les critères de sélection des candidats incluaient l’état de santé, l’âge et la conduite sociale. Leur casier judiciaire était passé au crible, mais aussi – et de manière plus informelle – leurs affiliations politiques. Les travailleurs étrangers à tendance gauchisante n’étaient généralement pas bienvenus.

La tragédie de Marcinelle a aussi suscité l’attention et l’émoi au sein de l’opinion publique, notamment en raison de la couverture médiatique qu’elle a reçue. En Italie, l’opinion publique a commencé à devenir très consciente des conditions de vie et de travail auxquelles une grande partie des migrants étaient acculés. Clairement, ces conditions n’affectaient pas seulement les migrants.

En outre, les environnements de travail dangereux et les conditions de logement insalubres représentaient un problème généralisé à travers l’Europe. Marcinelle n’était pas une exception.

 

Sauvegardes et failles

Il n’y a pas si longtemps, la liberté de résider à l’étranger, qui est aujourd’hui inscrite dans les droits des citoyens de l’Union européenne, ne faisait pas partie de leurs prérogatives.

L’article 3.2 de la version consolidée du Traité sur l’Union européenne garantit « le libre mouvement des personnes » à l’intérieur de l’UE. Conformément à ce principe, les « travailleurs » devraient être libres de circuler « à l’intérieur » de l’UE, comme le stipule explicitement l’article 45.1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La possibilité de résider dans un autre État membre et d’accéder à son marché de l’emploi sans permis de travail comporte un aspect complémentaire dans une série de règles qui visent à assurer un degré de coordination entre les systèmes nationaux de sécurité sociale.

Une telle coordination – selon ce que nous avons pu lire sur le site web de la Direction générale de la Commission européenne pour l’emploi, les affaires sociales et l’inclusion – se base sur « quatre aspects principaux » : Ceux-ci garantissent, en principe que vous soyez « couverts par la législation d’un pays à la fois » et l’accès « aux mêmes droits et obligations que les ressortissants du pays où vous êtes couverts ».

D’autre part, les États membres « doivent s’assurer que leur législation nationale protège certains droits minimums définis aux termes des lois européennes sur l’emploi et garantissent la santé et la sécurité au travail, l’égalité des chances pour les femmes et les hommes et la protection contre la discrimination, de même qu’une série de dispositions liées à la législation du travail ».

Certes, le recours à des termes comme « coordination » et « droits minimums » laisse surgir un doute légitime à l’heure d’évoquer l’efficacité des différentes politiques et préceptes de l’UE dans des domaines où les autorités nationales tendent à maintenir une marge de manœuvre large.

Quoi qu’il en soit, et prenant en considération les limites existantes, ces « éléments » permettent de brosser un tableau plus précis des changements découlant du processus d’intégration.

Il y a soixante ans, quand tant de personnes ont perdu la vie à Marcinelle, les conditions de travail et la sécurité sociale pour les migrants qui circulaient d’un pays européen à un autre renvoyaient à la législation du pays d’immigration et aux accords bilatéraux signés par les gouvernements des pays concernés. L’Europe était alors dépourvue d’un cadre – même imparfait – de règles communes.

De telles règles existent désormais, notamment la directive sur les travailleurs détachés de 1996, qui est actuellement en cours d’examen à la Commission européenne. Les cas fréquents d’abus à l’encontre de travailleurs étrangers ont, toutefois, conduit à des accusations de « dumping social ».

Très souvent, comme dans les années 1950, les travailleurs faiblement qualifiés et mal rémunérés font les frais d’un modèle européen imparfait qui semble plus déterminé à libéraliser les marchés à travers les 28 États membres que de promouvoir l’intégration sociale de manière effective.

Il ne s’agit pas, non plus, de perdre de vue le grand nombre de personnes en Europe qui travaillent au noir, en dehors de tout système d’assistance.

Est-on mieux loti aujourd’hui qu’hier ? Au milieu des avis divergents, l’anniversaire de Marcinelle offre une occasion de contempler le contexte actuel en examinant le passé, qui constitue un point de départ important pour comprendre les changements ultérieurs plus concrètement.

Cette perspective serait utile pour mieux saisir les transformations découlant du processus d’intégration européenne.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.