Kumi Naidoo : « La désobéissance civile et la mobilisation massive sont critiques si nous voulons éviter une catastrophe climatique »

Entretiens
Photo: Greenpeace/Marten van Dijl

Alors que la 20e COP (Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique) commence à Lima, au Pérou, le directeur exécutif de Greenpeace, Kumi Naidoo, s’adresse à Equal Times sur l’importance d’un mouvement contre le changement climatique qui soit à même de porter l’agenda au-delà de ces conventions annuelles et vers une mobilisation massive.

Pourquoi Greenpeace assiste-t-elle toujours aux COP si les résultats sont toujours aussi décevants ?

Les COP, aussi déficientes soient-elles, sont l’unique espoir que nous ayons de parvenir à un traité environnemental équitable et ambitieux. Nous continuons à faire pression sur les COP mais cela ne signifie pas pour autant que nous mettions tous nos œufs dans le même panier. Ce serait insensé, d’autant qu’il est clair que ce sont les pays dominants à l’intérieur de ce système qui sont en train de nous freiner.

 

En quoi la COP de Lima sera-t-elle différente de Paris 2015 ?

À certains égards, il est dommage que les négociateurs de différents gouvernements aient décidé de minimiser l’importance de Lima et de centrer une grosse partie des efforts sur Paris. S’il ne faut pas s’attendre à ce que Lima ne livre le tant attendu et extrêmement ambitieux traité définitif, la rencontre devrait néanmoins permettre de jeter les bases et de déboucher sur certains accords et engagements initiaux en prévision d’un accord conséquent à Paris.

 

Que faut-il pour que le mouvement contre le changement climatique évolue vers une lutte qui transcende les COP ?

Nous devons veiller à ce que le changement climatique ne soit pas interprété comme un enjeu purement environnemental comme ça a été le cas jusqu’à présent. Le changement climatique touche aussi à la question du type d’économie que nous voulons ; c’est une question qui touche à la paix, car nous voyons l’incidence du climat sur les facteurs de conflit et de guerres ; c’est une question qui touche de près les femmes car en temps de conflit et de guerre, ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus.

Nous ne devons pas nous préoccuper de sauver la planète. La planète n’a pas besoin qu’on la sauve car si l’humanité chauffe la planète jusqu’au point où l’humanité elle-même ne peut plus survivre, la planète, elle, survivra sans nous. Ne vous préoccupez donc pas de la planète, préoccupez-vous de vous assurer que nous puissions coexister avec la nature, de manière à ce que l’humanité puisse encore survivre durant des siècles à venir.

Nous devons aussi réaliser que nos politiciens n’agiront pas à moins d’être soumis à de fortes pressions et comme le montre l’histoire, la désobéissance civile est ce dont nous avons besoin pour faire pression sur les leaders politiques. Je dirais que le mouvement contre le changement climatique doit aussi faire preuve d’une bonne dose de courage moral pour maintenir une résistance pacifique tout en étant prêt à tout instant à risquer l’arrestation et l’oppression de la part de l’État.

 

La mobilisation massive est-elle le seul espoir qu’ait l’humanité dans la lutte contre le changement climatique ?

La mobilisation de masse constituera le facteur clé pour obtenir la solution dont nous avons besoin. L’histoire nous apprend qu’à chaque fois que l’humanité s’est vue confrontée à une injustice ou un défi majeur, ces luttes n’ont pu aller de l’avant que lorsque des femmes et des hommes courageux sont montés aux créneaux pour dire « Ça suffit ! » et ont été prêts à aller en prison, voire à mettre leur vie en jeu.

Le changement climatique surpasse probablement tous les défis que l’humanité a affrontés jusqu’à présent. Si la désobéissance civile s’est avérée suffisamment efficace pour être utilisée en tant que stratégie au sein du mouvement contre l’apartheid, du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, de la lutte pour les droits des femmes et contre l’esclavage, le colonialisme et ainsi de suite, je crois pouvoir affirmer avec conviction que la désobéissance civile et la mobilisation massive sont d’une importance critique si nous voulons que ces changements interviennent suffisamment rapidement que pour éviter un changement climatique catastrophique.

 

Quels bienfaits dérive-t-on de la construction d’une alliance entre les syndicats et le mouvement écologiste ?

L’un des aspects les plus positifs, à mes yeux, du moment de l’histoire dans lequel nous nous trouvons est que là où par le passé il était question de « tensions entre rouges et verts » et du conflit entre les intérêts syndicaux et les intérêts environnementaux, on parle aujourd’hui d’une « alliance rouge-vert ». À nous maintenant de reconnaître que nous nous trouvons du même côté.

 

Avant Paris 2015, que peut-on faire pour accroître la mobilisation et l’ambition climatique au niveau national ?

L’idée comme quoi des négociations dans une capitale différente chaque année livreront tous les résultats escomptés sans avoir à travailler dur au niveau national est absolument fallacieuse.

La seule façon d’obtenir le mouvement auquel nous aspirons entre maintenant et Paris est de nous assurer que des mobilisations significatives sont coordonnées dans chaque pays et à travers le monde de telle sorte que quand les délégations se rendent à Paris, elles s’y rendent armées des engagements les plus ambitieux et dans un état d’esprit des plus ambitieux. Nous devrons toutefois déployer des efforts particuliers dans le cas de certains pays, sans quoi ceux-ci risquent de bloquer un accord à Paris.

Nous devrons également augmenter nos expressions de soutien visible et pacifique en faveur d’une action climatique urgente par nos dirigeants politiques et nos milieux d’affaires. Nous devons arriver à les convaincre que la nature ne négocie pas.

Cet article a été traduit de l'anglais.