La justice égyptienne muselle la contestation des employés publics

Le Tribunal administratif de grande instance d’Égypte a déclaré illégaux les sit-in et grèves sauvages de fonctionnaires publics dans les services municipaux.

Dans son verdict du 28 avril, le Tribunal a statué que les employés qui participeraient à des sit-in sur les lieux de travail seraient mis à la retraite pour obstruction aux services municipaux.

Le tribunal a également retenu une décision du patronat demandant la mise à la retraite forcée de trois employés dans le gouvernorat de Menoufiya pour participation à une grève et obstruction aux activités municipales sur leur lieu de travail. Il a également différé les promotions et augmentations salariales de 14 autres employés municipaux pour avoir fait grève et entravé la prestation de services publics.

Le raisonnement à l’appui de la sentence, selon le tribunal, est qu’un sit-in ne doit pas être traité au même titre qu’une manifestation, une réunion ou une assemblée mais doit être considéré comme une grève illégale des employés, qui perturbent les services sans déclarer officiellement un arrêt de travail en bonne et due forme.

Le tribunal a déclaré que sa décision était basée sur un édit islamique en vertu duquel la prévention d’un préjudice l’emporte sur la réalisation de bénéfices. Ce cas remonte à juin 2013, quand des employés d’un département des services municipaux d’un village de Menoufiya ont organisé un sit-in pour réclamer le renvoi de leur patron.

Dans un entretien avec Equal Times, Fatma Ramadan, leader d’un syndicat de la fonction publique, a déclaré que ce verdict doit être considéré au regard des efforts plus vastes déployés contre les employés de la fonction publique en Égypte.

« Le régime en place affiche une volonté manifeste de réprimer tout mouvement de protestation organisé par les employés publics. Récemment, une nouvelle loi qui réglemente le travail des employés publics a été adoptée. La loi sur le service civil entrera en vigueur dès juillet prochain. Celle-ci menacera en gros leur sécurité d’emploi et pourrait, dès lors, être utilisée pour resserrer le contrôle à leur égard », selon Ramadan.

 

« Finies les grèves ; davantage de production et de travail »

La fonction publique en Égypte emploie approximativement 5 millions de personnes qui, selon un rapport récent de l’Egyptian Center for Economic and Social Rights, se classaient au premier rang en termes du nombre de manifestations en 2014 et durant le premier trimestre de 2015.

En 2014 ont eu lieu 1655 manifestations de travailleurs, dont 63% étaient organisées par des employés du secteur public. Le rapport fait en outre état de 276 manifestations durant le premier trimestre de 2015, dont 69% étaient organisées par des employés du secteur public.

La majorité des employés publics sont affiliés à l’Egyptian Trade Union Federation (ETUF), qui est proche du gouvernement. En prélude aux célébrations du Premier mai, l’ETUF a diffusé un « code de conduite » où elle proclamait : « Finies les grèves ; davantage de production et de travail. »

Fatma Ramadan craint que l’ETUF s’oppose à toutes actions collectives organisées par les employés publics et qu’elle se serve du verdict du Tribunal pour les intimider.

Madame Ramadan s’attend, néanmoins, à une certaine résistance à ce verdict de la part des employés eux-mêmes, a fortiori eu égard à l’application de la nouvelle loi sur le service civil, qui prévoit une réforme des politiques d’embauche et de rémunération au sein des institutions publiques.

« Traditionnellement, les employés de la fonction publique avaient tendance à être très passifs mais la révolution de janvier a marqué un tournant et on les voit désormais participer activement aux mouvements de grève. Le climat politique les a encouragés à revendiquer des améliorations au niveau de leurs conditions de travail », indique Ramadan.

Et d’ajouter : « Cela dépend aussi du niveau de répression que l’État exerce pour venir à bout des grèves et de l’opposition politique ; si la répression augmente, il deviendra plus difficile pour les employés de protester. »

Khaled Aly, un avocat spécialiste du droit du travail explique à Equal Times que le verdict est contraire au droit national et international.

« Ce verdict contrevient au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dont l’Égypte est un signataire », a-t-il signalé, avant de préciser que le droit de grève y est inclus.

« Qui plus est, le droit de grève est un droit constitutionnel inscrit dans les Constitutions de 2012 et 2014. »

D’après Aly, les employés mis en retraite forcée feront appel de la sentence, même si la probabilité de gain de cause est estimée à seulement 5%.

« Il n’existe aucune loi qui régisse ou organise le droit de grève des employés du secteur public. Ce qui souligne d’autant plus la nécessite d’une loi qui permette de préserver un juste équilibre entre le droit de grève et la prestation indispensable de services publics », a ajouté Aly.

Bien qu’il n’y ait pas eu jusqu’à présent de réaction au verdict de la part des employés de la fonction publique, il est encore trop tôt pour savoir si celui-ci passera sans opposition.

« La mise en application de la loi sur le service civil pourrait devenir l’étincelle qui donne lieu à une vague de protestations contre, à la fois, la loi et le verdict  », a affirmé Fatma Ramadan.

Plus d’une douzaine d’ONG ont, néanmoins, contesté la décision, soulignant qu’une grève pacifique « ne constitue pas un crime ».

 

Cet article a été traduit de l'anglais.