La politique britannique sur l’impôt des sociétés place l’idéologie avant la nécessité financière

Opinions

Les propos musclés du gouvernement britannique concernant l’évasion fiscale par les milieux d’affaires n’ont aucune crédibilité tant que les multinationales négocient leurs déclarations d’impôts, alors même que la majorité de la population souffre des coupes budgétaires liées à l’austérité.

Les Panama Papers révèlent toute l’ampleur de l’hypocrisie dans le discours du gouvernement britannique sur l’équité fiscale et est un rappel brutal de la vacuité de sa rhétorique.

La semaine dernière a été particulièrement éreintante pour le Premier ministre David Cameron. Après quatre déclarations ambigües prononcées à la dérobade au fil de la semaine, il a finalement admis avoir profité d’un fonds d’évasion fiscale offshore britannique constitué par son père.

Son admission n’est tombée qu’après que des preuves provenant de la fuite des Panama Papers l’ont mis au pied du mur.

Cameron savait que c’était le pire moment possible pour lui d’être personnellement mêlé à un scandale d’évasion fiscale, alors que la crédibilité du gouvernement sur cette question pique du nez et que la colère gronde au sein de l’opinion publique.

Le gouvernement affirme qu’un nouveau train de mesures sur l’évasion fiscale annoncé dans le budget permettra au ministère des Finances d’économiser à hauteur de 12 milliards de livres sterling (17 milliards USD). Mais le public connait la chanson.

Le chancelier de l’échiquier, George Osborne, avait déjà durci le ton lors d’annonces budgétaires antérieures. Or nous n’avons pas vu la moindre mesure concrète – au lieu de cela, nous voyons les grandes sociétés pratiquement dicter leurs déclarations fiscales à la trésorerie. L’humeur du public sur cette question s’envenime de plus belle à chaque nouvelle entente annoncée.

Le rôle d’un État providence moderne est d’imposer des taxes aux fins de redistribuer la richesse des plus riches aux plus pauvres. Or les contribuables ordinaires ont de plus en plus le sentiment que ce système a cessé de fonctionner. Et dans certaines circonstances, les pauvres paient plus d’impôts que les riches.

En 2014, un travailleur britannique moyen avec un revenu annuel de 26.500 livres (37.500 USD) payait approximativement 5400 livres (7600 USD) en impôts sur le revenu. Durant la même période, Facebook a versé un peu plus de 4300 livres (6000 USD) d’impôts sur les sociétés en Grande-Bretagne. Le fait qu’une multinationale engrangeant 1 milliard de livres (1,4 milliard USD) de bénéfices annuels rien qu’en Grande-Bretagne soit autorisée à contribuer moins qu’une personne touchant un salaire moyen a, faut-il s’en étonner, soulevé un tollé général au sein de l’opinion.

L’annonce récente que Facebook a désormais daigné payer plus d’impôts qu’un salarié moyen au Royaume-Uni est loin d’avoir suscité l’enthousiasme, d’autant que la décision résultait moins d’une pression du fisc britannique que du département de relations publiques de la société elle-même. Consciente que son image était rapidement en train de se convertir en celle d’une entreprise rapace et soucieuse de limiter les dégâts, Facebook a volontairement accepté de revoir à la hausse sa contribution aux impôts.

 

Un choix politique

Il semblerait que les entreprises multinationales soient enfin en train de réaliser que l’évasion fiscale massive est extrêmement nocive pour l’image de marque. Il s’agit en quelque sorte d’une victoire pour les groupes d’action comme UK Uncut et 38 Degrees qui ont, dans une grande mesure, réussi à galvaniser et canaliser la profonde colère de l’opinion publique vis-à-vis des entreprises qui échappent au fisc.

Il ne devrait, cependant, pas être laissé au soin des entreprises de décider quels sont les impôts qu’elles souhaitent ou non payer, aux seules fins de soigner leur image de marque. Tout comme il ne devrait pas être laissé aux membres du public de s’assurer que les sociétés versent des impôts, aussi négligeables fussent-ils.

Le montant que Google a accepté de payer cette année revient à de la petite monnaie pour cette entreprise. Les experts fiscaux s’accordent à dire que le paiement négocié pour Google représente dans les faits un taux d’imposition de pas plus de 5%. Voire moins. Pendant ce temps, d’autres entreprises britanniques sont assujetties à un impôt sur les bénéfices des entreprises de 20% (bien que ce chiffre baissera à 19% l’an prochain, puis à 18% en 2020).

Au lieu d’apaiser les contribuables britanniques – à un moment où des millions d’entre eux remplissaient leur propre fiche d’impôt – de telles ententes pactées avec le monde des affaires ne font que renforcer le sentiment public que les sociétés multinationales tiennent les rênes, et ce avec la bénédiction du gouvernement.

Il est difficile d’imaginer que ce gouvernement favorable aux entreprises ne puisse un jour tenir tête aux multinationales, préférant, comme c’est le cas, soutirer de l’argent aux cibles plus dociles – celles qui n’ont pas les moyens d’engager des équipes d’avocats coûteuses – comme les petites entreprises et les particuliers. Ou encore les personnes handicapées, les chômeurs et les travailleurs à faibles revenus qui sont sous le choc des répercussions terribles de l’austérité.

Richard Murphy, fondateur du Tax Justice Network et directeur de Tax Research LLP estime à 120 milliards de livres (170 milliards USD) les pertes pour l’économie britannique dérivées de l’évasion fiscale par les sociétés – un chiffre qui dépasse largement l’estimation officielle de 36 millions de livres (51 milliards USD) dès lors qu’il tient compte des impôts impayés par les multinationales par le recours aux vides juridiques et à des dispositifs fiscaux d’une complexité étourdissante. Entre temps, nos leaders politiques martèlent à tue-tête la soi-disant nécessité inéluctable de coupes dans la sécurité sociale et les services.

 

La fureur de l’austérité

Le gouvernement a le mois dernier continué à déchaîner toute sa fureur austéritaire en imposant une baisse des prestations pour les personnes handicapées, diminuant de 30 livres (42 USD) le montant d’une allocation hebdomadaire qui constituait déjà une planche de salut à peine suffisante pour les personnes handicapées. Les économies réalisées sur le budget sont dérisoires, or l’impact sur la vie des personnes handicapées sera désastreux.

Il ne s’agit que de la toute dernière d’une longue série de coupes ciblées sur les plus pauvres. Toujours le mois dernier, le gouvernement s’est engagé à poursuivre sa campagne juridique sans fin – et sans nul doute horriblement couteuse – contre les locataires de logements sociaux, qui protestent contre ce qui est sans doute de loin la moins populaire des politiques d’austérité en Grande-Bretagne : la bedroom tax (taxe sur la chambre à coucher).

Soutirant jusqu’au dernier sou à des personnes qui comptent parmi les plus démunies de la société, cette politique méprisée a eu pour seul effet discernable d’enfoncer les personnes vulnérables encore davantage dans la misère. Elle a été amplement critiquée, fréquemment remise en cause et ciblée dans le cadre de campagnes, notamment pour son incidence sur les familles des personnes handicapées, qui ont vraisemblablement besoin de plus d’espace dans leur foyer que ce à quoi le gouvernement estime qu’elles ont droit.

Le Département pour le travail et les pensions (Department for Work and Pensions, DWP) a, de façon répétée, refusé d’admettre l’échec de sa politique. Quand la Cour d’appel a statué en février que la taxe sur la chambre à coucher était irrecevable et discriminatoire, en raison de son effet sur un adolescent gravement handicapé, victime de violence domestique, le DWP a immédiatement rétorqué qu’il ferait appel du jugement.

Les ministres de l’opposition ont fait remarquer que le coût d’un appel serait supérieur au coût d’une exemption des victimes de la violence domestique de la politique.

Les questions au titre de la liberté de l’information concernant le budget juridique du département dans de tels cas sont catégoriquement rejetées et les questions à ce sujet au parlement sont ignorées. Il est cependant clair que cette politique est défendue à n’importe quel prix : Et cela a très peu à voir avec des économies d’argent.

La poursuite incessante et coûteuse de politiques aussi pernicieuses par le gouvernement prouve manifestement que ces coupes ne sont pas le fruit d’une nécessité financière mais bien d’une idéologie.

Les militants relèvent que si la totalité des impôts dus par les entreprises était payée, le gouvernement disposerait de plus qu’assez d’argent pour combler les déficits. Il est, cependant, incertain que le gouvernement actuel utilise ces fonds pour annuler les coupes budgétaires qu’il a imposées au système de sécurité social, au logement, à l’éducation et à la santé, essentiels pour le pays.

Tout comme il est incertain que des mesures concrètes ne soient prises contre l’évasion fiscale par un gouvernement dirigé par un homme qui en a lui-même tiré profit.

L’indulgence face à l’évasion fiscale des sociétés est, à l’instar de l’austérité, un choix politique posé en toute connaissance de cause par le gouvernement britannique. Et tant qu’il s’acharnera à harceler les pauvres et les handicapés tout en accordant carte blanche aux entreprises, permettant à ces dernières de dicter leurs contributions fiscales, les discours musclés resteront vides de sens.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.