Le combat d’une mère pour faire respecter les droits des victimes de la criminalité dans les pays de l’UE

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En 2008, un séjour d’été en Crète s’est transformé en cauchemar, à la fois pour le footballeur professionnel Robert Hughes, qui a été frappé violemment par quatre compatriotes britanniques à la sortie d’une discothèque, et pour sa mère Maggie, qui a quitté l’Angleterre précipitamment pour venir à son chevet à l’hôpital, sans soutien, sans conseil juridique ni services de traduction.

« Je suis sortie de l’hôpital au bout de 18 heures. J’étais seule, stressée, inquiète, et je ne parvenais pas à obtenir le moindre renseignement auprès de qui que ce soit », confie à Equal Times Maggie Hughes, aujourd’hui militante pour la défense des droits des victimes.

Robert, qui était âgé de 27 ans au moment des faits, a dû subir une intervention chirurgicale vitale d’urgence au niveau du cerveau. Bien que partiellement remis – il joue toujours un peu au football –, il souffre de lésions irréversibles du cerveau plus de sept ans après.

« N’importe qui peut devenir victime d’un acte criminel, n’importe quand », déclare à Equal Times Levent Altan, le directeur du réseau Victims Support Europe (VSE), citant à titre d’exemple les récents attentats terroristes de Paris.

Les campagnes du VSE ont en partie contribué à mettre en place un système d’aide dans de nombreux pays d’Europe, mais cela prend beaucoup de temps. En novembre dernier, la Directive de l’Union européenne 2102/29/UE a été transposée dans le droit national, ce qui oblige les membres de l’UE à l’appliquer officiellement. Initialement adoptée en 2012, cette directive prévoit des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité.

Elle défend par ailleurs les droits des victimes lors des procédures pénales, en particulier le droit à une évaluation individuelle de leur situation et à un traitement respectueux, le droit à l’information sur leurs droits et sur la procédure, davantage de droits pour les membres de la famille de la victime et l’accès à un soutien, notamment en matière d’interprétation et de traduction.

Chaque année, environ 15 % des citoyens de l’UE sont victimes de la criminalité (soit près de 75 millions de personnes, bien qu’il s’agisse d’une estimation, dans la mesure où de nombreux délits ne sont pas signalés).

Et malgré l’échéance de la transposition de la directive dans le droit national, huit pays membres de l’UE – Grèce, Chypre, Italie, Bulgarie, Lituanie, Lettonie, Roumanie et Slovénie – ne disposent toujours pas de services génériques de soutien aux victimes, ce qui reflète les différences de perception en ce qui concerne la relation entre la victime et le système de justice pénal dans les pays de l’UE.

Compte tenu de la crise économique récente, le financement constitue également une préoccupation majeure mais, d’après Altan, cela n’excuse pas l’inaction. Pour lui, c’est une question de « priorité politique ». Il est possible d’apporter de façon relativement peu onéreuse un soutien aux victimes, selon lui, en passant par les ONG qui « emploient de nombreux volontaires très bien formés qui agissent de manière professionnelle, ce qui est bien plus avantageux économiquement que les services dispensés par le gouvernement ».

« Il existe sans doute divers types de soutien spécifiques à certains délits, comme la violence familiale, mais si l’on cherche un soutien pour un délit générique tel que le vol, il n’y a pas d’assistance. Notre objectif est d’aider les pays à mettre en place ces services génériques », précise Altan.

L’ancienne commissaire à la justice de l’UE, Viviane Reding, aujourd’hui députée européenne du Luxembourg pour le Parti populaire européen (PPE) fait elle aussi part de sa préoccupation à l’égard des failles de la mise en œuvre de la directive, en déclarant à Equal Times que la « directive qui protège les droits des victimes dans les pays de l’UE ne doit pas devenir lettre morte ».

En outre, le VSE cherche à améliorer le mécanisme de soutien des victimes à l’échelle de l’UE et à renforcer la coordination entre les services dans les différents États.

Suite aux attentats de Paris, Altan ajoute que « le membre du VSE à Paris est en contact avec les systèmes néerlandais et britannique de soutien aux victimes, car un grand nombre de concitoyens des Pays-Bas et du Royaume-Uni sont rentrés chez eux après les attaques. Un projet que nous aimerions mener à bien est de répertorier les contacts dans chaque pays pour que les victimes puissent les joindre ».

 

« Please Enjoy, Don’t Destroy »

Ce que Reding qualifiait d’élément moteur dans la directive, Maggie a dû se battre pour l’obtenir. Le manque de soutien qu’elle a ressenti l’a incitée à lancer la campagne « Please Enjoy Don’t Destroy » (PEDD) sur Facebook, afin que personne ne soit confronté aux mêmes difficultés qu’elle.

« J’ai rencontré de nombreuses autres familles qui se sont retrouvées dans la même situation que moi, alors je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Je voulais que les autres aient des garanties et du soutien ».

Cependant, elle avait l’impression que personne ne l’écoutait au Royaume-Uni lorsqu’elle demandait la justice et le respect des droits des victimes, et les autorités semblaient se renvoyer la balle. Pour Maggie, c’était inacceptable.

« Un criminel ou un accusé bénéficie d’un soutien mais, pour une raison ou pour une autre, pas la victime d’un crime grave. Où que j’aille, on me disait que l’agression de Robert s’était produite en dehors du Royaume-Uni et qu’on ne pouvait pas m’aider ».

C’est ainsi qu’elle s’est tournée vers le Comité économique et social européen (CESE), où elle s’attendait à rencontrer la même indifférence, mais elle a été agréablement surprise car Viviane Reding et Kathleen Walker Shaw, rapporteur du CESE au sujet des victimes de la criminalité, « voulaient vraiment aider et écouter et, aujourd’hui, la directive en est la preuve ».

Walker Shaw, plaidant en faveur du PEDD, explique à Equal Times qu’elle savait que cette question était à l’ordre du jour de la Commission. « Nous pensions qu’il serait profitable pour la Commission qu’une véritable expérience vécue vienne enrichir la législation, plutôt que des opinions juridiques ».

Pour renforcer les droits des victimes dans les procédures judiciaires, ainsi que l’évaluation personnalisée et la protection, la police joue un rôle essentiel.

Comme l’a indiqué Altan, cela peut avoir une incidence considérable sur les questions de confiance, étant donné que de nombreux policiers ne comprennent pas les procédures pénales. « Il ne s’agit pas de créer un nouveau rôle pour la police, mais de modifier le rôle actuel des policiers et de les aider lorsqu’ils interviennent auprès des victimes. Si la police travaille avec les victimes, elle ne perd pas de vue le processus pénal ».

Il est tout aussi indispensable d’éliminer la « victimisation secondaire », qui aggrave la situation de la victime en raison de la multiplication des interrogatoires, ce qui demande à la victime de revivre sans cesse les violences qu’elle a subies.

Altan pense qu’il faudrait un interrogatoire unique qui pourrait être enregistré, pour produire un effet minimum sur les victimes, en particulier lorsque les victimes sont des enfants.

 

Compassion des entreprises

Bien que la directive ne l’impose pas, un autre élément essentiel pour garantir une meilleure compassion envers les victimes est le soutien des entreprises et du monde des affaires. Dans le cas de Maggie Hughes, sa société de téléphonie mobile, en apprenant sa situation, ne lui a pas facturé les appels passés pendant la période difficile qu’elle a vécue.

« S’ils ne m’avaient pas aidée, j’aurais eu une facture d’environ 5000 livres (6850 EUR), ce qui nous aurait complètement ruinés », souligne-t-elle.

Il reste des choses à améliorer, selon elle, en particulier dans le secteur du transport, où les agences de location de véhicules pourraient proposer des réductions ou la gratuité de la location pour les victimes.

« En Grèce, nous avions besoin d’une personne en permanence aux côtés de mon fils à l’hôpital. À chaque fois que cette personne partait à l’hôtel pour se reposer, la course de taxi coûtait 23 euros ». Elle précise que ce tarif aurait pu s’élever à un quart du prix total si elle avait pu bénéficier d’une voiture de location à prix réduit – si les entreprises de location souhaitent soutenir les victimes.

Walker Shaw a bon espoir que le CESE parvienne à encourager les entreprises à intervenir avec plus de compassion à l’égard des victimes, grâce à l’adoption de la directive.

« Au lieu de discuter du prix des interventions, les employeurs devraient étudier le coût de la non-intervention. Nous sommes allés voir les agences de tourisme pour leur demander de vendre des billets sur lesquels figureraient des informations sur les réductions.

« Comment est-il possible que ce soit trop cher d’indiquer les coordonnées des services d’urgence sur les billets pour aider les familles des victimes ? Ce sont des choses simples que les sites de travail et les agences de voyage pourraient mettre en place ».

Les partisans s’accordent également à dire que le même message doit être adressé aux employeurs. Deux membres de la famille Hughes ont perdu leur emploi parce qu’ils devaient s’occuper de Robert.

« Leurs employeurs n’ont pas compris que c’était une question de vie ou de mort  », explique Maggie, ajoutant qu’elle reçoit des appels d’autres familles, soumises à une très forte pression lorsqu’elles doivent décider soit de continuer à travailler, soit de gérer une situation d’urgence.

Walker Shaw reconnaît que cette compassion accrue agit également en faveur des employeurs, en faisant remarquer que « si un employé expérimenté perd son emploi sous l’effet d’une réaction irréfléchie, l’employeur risque de passer des mois à former une autre personne ».

Un employeur peut retirera un avantage d’une telle situation car l’employé « sera très reconnaissant et travaillera davantage pour son patron, affirme-t-elle. Les bons employeurs savent stimuler la motivation des employés ».

En ce qui concerne l’application de la directive par les États membres, « une étroite surveillance et une bonne assistance techniques sont indispensables », déclare Reding. Les pays membres de l’UE doivent respecter cette directive, faute de quoi « ils risquent d’être poursuivis devant la Cour européenne de justice ».

Il est prévu que la Commission publie un rapport sur cette question, mais pas avant 2017.

Toujours est-il que les quatre hommes impliqués dans l’agression de Robert Hughes ont finalement été jugés en Grèce, mais ils ont été condamnés à des peines avec sursis et ont été autorisés à rentrer au Royaume-Uni.

En dépit de cette indulgence révoltante, Maggie Hughes reste optimiste quant à la transposition de la directive. « Ce n’est pas seulement pour ma famille mais pour toutes ces familles qui se battent afin d’obtenir des conseils et de l’attention vis-à-vis de leur situation ».

 

Cet article a été traduit de l'anglais.