« Le système pénitentiaire d’Angleterre et du pays de Galles s’écroule »

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Fiodor Dostoïevski, romancier et humaniste russe auteur de Crime et châtiment, écrivait : « On peut mesurer le degré de civilisation d’une société en visitant ses prisons. »

Les prisons d’Angleterre et du pays de Galles n’égalent pas encore l’horreur des goulags tsaristes et stalinistes.

Malgré tout, miné par le manque chronique de personnel pénitentiaire, l’escalade de la violence, la toxicomanie, la surpopulation, l’automutilation, les suicides et l’évasion de détenus de premier plan, parmi de nombreux autres problèmes, le système est confronté à ce que l’on pourrait appeler une crise existentielle.

Steve Gillan, secrétaire général du syndicat d’agents pénitentiaire Prison Officers’ Association (POA), a déclaré à Equal Times : « Le système pénitentiaire d’Angleterre et du pays de Galles s’écroule. »

« Nos membres sont confrontés à de graves problèmes de santé et de sécurité. On dénombre en moyenne 16 agressions d’agents pénitentiaires par jour, ce qui représente une augmentation de 38 % par rapport à l’année dernière. Les violences entre détenus ont augmenté, de même que le nombre de suicides de détenus. La consommation de drogues, l’utilisation de téléphones portables et d’autres activités illégales augmentent de façon incontrôlée. »

Pour Gillan, le manque chronique de personnel et les restrictions budgétaires sont au cœur de la crise pénitentiaire.

« Le budget alloué aux prisons a baissé de 900 millions de livres sterling [environ 1134 milliards d’USD] depuis 2010. On comptait 40.000 détenus pour 23.000 agents pénitentiaires en Angleterre et au pays de Galles en 1990, contre 86.000 détenus pour 13.000 agents aujourd’hui. Il y a un problème, non ? »

Le 15 novembre dernier, quelque 8.000 agents pénitentiaires ont participé à une journée de manifestation suite à la rupture des négociations entre leur organisation syndicale, la POA, et leur employeur, le ministère de la Justice, qui est chargé de gérer les 123 prisons d’Angleterre et du pays de Galles. Les prisons d’Écosse et d’Irlande du Nord sont gérées par leurs gouvernements décentralisés respectifs.

La Loi sur la justice pénale et l’ordre public de 1994 interdit aux agents clés du secteur public (comme les agents pénitentiaires, les policiers et le personnel infirmier) de faire grève.

Bien que la POA ait indiqué qu’il s’agissait d’une « journée de protestation », et non pas d’une « grève », les agents ont reçu l’ordre de se remettre au travail suite à une injonction de la Haute Cour déposée par le ministère de la Justice, qui estimait que cette protestation constituait une « action syndicale illégale ».

Une déclaration du ministère de la Justice indique que : « Cette injonction interdit à la POA et à l’ensemble de ses représentants de déclencher, d’autoriser ou de soutenir toute forme d’action syndicale menée par des agents pénitentiaires qui pourrait perturber le fonctionnement normal du service pénitentiaire en Angleterre et au pays de Galles. »

Quelle que soit la dialectique du différend en cours, l’action de la POA a forcé le gouvernement à revenir à la table des négociations.

« Des négociations sont en cours entre notre organisation et le ministère de la Justice concernant les effectifs et d’autres questions. Nous espérons recevoir prochainement une nouvelle offre que nous pourrons soumettre à nos cadres et à nos membres », a indiqué Gillan.

Concernant d’éventuelles actions futures, il a souligné : « Pour l’instant, nous n’avons rien exclu ni rien convenu ».

 

Toxicomanie et suicides

Dans le même temps, les prisons connaissent un afflux de cannabinoïdes de synthèse, parfois acheminés clandestinement par drones.

Connu sous le nom de « Spice  », « Black Mamba » et « K2 » (et souvent décrit comme plus puissant et plus dévastateur que les drogues dures traditionnelles comme l’héroïne et la cocaïne), le cannabis de synthèse est tenu pour responsable de la flambée d’actes de violence et d’automutilation dans les prisons.

« Les drogues constituent un réel problème, en particulier le Spice et le Black Mamba », a souligné Gillan. « Si nous disposions d’effectifs suffisants, il n’y aurait pas autant de drogue dans les prisons. Le nombre d’agents pénitentiaires est réellement insuffisant. »

Le 28 novembre, le système pénitentiaire d’Angleterre et du pays de Galles a de nouveau été ébranlé.

Selon un rapport de la très respectée Howard League for Penal Reform, 102 personnes se sont suicidées depuis le début de l’année dans les prisons d’Angleterre et du pays de Galles, ce qui représente un niveau sans précédent.

« La hausse du nombre de suicides en prison a coïncidé avec des réductions d’effectifs, des restrictions budgétaires et une augmentation du nombre de personnes incarcérées ayant entraîné une surpopulation. La violence s’est accrue et la sécurité s’est détériorée », indique ce rapport intitulé Preventing Prison Suicide (Prévenir les suicides en prison).

« Le taux de suicide en prison, qui est de 120 décès pour 100.000 personnes, est environ dix fois plus élevé que le taux au sein de la population générale. »

Pour que les prisons soient plus sûres, l’investissement au titre du personnel doit aller de pair avec une réduction de la population pénitentiaire », ajoute le rapport.

Frances Crook, directrice générale d’Howard League, a déclaré : « Le nombre de personnes mourant par suicide en prison a atteint des proportions épidémiques. Personne ne devrait être désespéré au point de mettre fin à ses jours alors qu’il se trouve sous la garde de l’État. Et pourtant, tous les trois jours, une famille apprend qu’un être cher est décédé derrière les barreaux. »

Deborah Coles, directrice de l’organisation caritative indépendante Inquest, qui conseille gratuitement les personnes endeuillées par un décès en détention, a par ailleurs déclaré à Equal Times : « Ce terrible bilan humain reflète la dure réalité de notre système pénitentiaire surpeuplé, déshumanisé et violent, ainsi que son incapacité à protéger les personnes placées en détention. »

« Le seul moyen de lutter contre la vague de décès et de violence en prison, qui est moralement indéfendable, tout en protégeant la santé et la sécurité des détenus et du personnel dans les prisons britanniques, consiste à réduire de manière significative la population pénitentiaire, à investir dans des solutions alternatives et à faire évoluer la culture des prisons, de manière à ce qu’elles deviennent des lieux de dernier recours et de véritable réinsertion. »

En réponse au rapport sur les suicides, un porte-parole du ministère de la Justice a rappelé à Equal Times : « Nous prenons très au sérieux la question de la santé mentale en détention et avons déjà mis en place plusieurs mesures pour venir en aide aux détenus ».

« Nous reconnaissons cependant que des mesures supplémentaires pourraient être prises. C’est pourquoi nous avons investi dans une formation spécifique sur la santé mentale destinée aux agents pénitentiaires, alloué des financements supplémentaires en faveur de la sécurité en prison et lancé un projet visant à réduire le risque de suicide et d’automutilation afin de lutter contre l’augmentation de ces phénomènes dans nos prisons. »

 

« Un mélange toxique »

Avec un peu plus de 95.000 détenus (dont 95 % d’hommes), l’Angleterre, le pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande du Nord regroupent la population pénitentiaire la plus importante d’Europe occidentale, accueillant près de 20.000 détenus de plus que la France et 30.000 de plus que l’Allemagne selon le Conseil de l’Europe (basé à Strasbourg), principale organisation de défense des droits de l’homme du continent.

Le nombre de détenus pour 100.000 habitants, qui atteint près de 150 en Grande-Bretagne (contre 118 en France et seulement 81 en Allemagne), souligne cette prédilection pour l’incarcération.

« Le fait de réduire les effectifs et le budget des prisons tout en laissant le nombre de détenus augmenter au-delà de toute proportion raisonnable a créé un mélange toxique de violence, de décès et de misère humaine », a déploré Crook.

Sous une pluie de critiques, le 3 novembre de cette année, le ministère de la Justice a publié un nouveau livre blanc qui décrit un ambitieux programme de sécurité et de réforme dans les prisons.

Promettant de « remanier l’ensemble du système pénitentiaire », ce livre blanc reconnaît : « Nous devons réformer notre système pénitentiaire, qui ne parvient pas à assurer la réinsertion des détenus ni à empêcher les criminels de commettre de nouveaux délits. À l’heure actuelle, près de la moitié des adultes incarcérés sont de nouveau condamnés au cours de l’année suivant leur libération ».

« Nous allons prendre des mesures immédiates pour remédier aux problèmes de sécurité et faire évoluer la culture de nos prisons. »

Le gouvernement s’engage à dépenser 1,3 milliard de livres sterling (environ 1,64 milliard d’USD) pour fermer les prisons vieillissantes en centre-ville et les remplacer par 11 nouvelles prisons pouvant accueillir 10.000 détenus supplémentaires d’ici 2020.

Les directeurs de prison exerceront un pouvoir accru sur leurs budgets et pourront investir en faveur de l’éducation, du travail et de la santé. Des zones interdites aux drones seront définies autour des prisons. Le dépistage des drogues deviendra obligatoire à l’entrée et à la sortie des établissements pénitentiaires.

Autre élément crucial du point de vue de la POA : le gouvernement s’engage à dépenser 104 millions de livres sterling supplémentaires (environ 131 millions d’USD) pour recruter 2500 agents pénitentiaires supplémentaires.

« Cette réforme pénitentiaire sera la plus ambitieuse jamais menée sur une génération. Elle constituera un élément clé du programme de réforme sociale du gouvernement, qui vise à créer une société qui convienne à tout le monde », a déclaré Elizabeth Truss, ministre de la Justice.

Ce rêve de rédemption est digne du grand Dostoïevski lui-même.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.