Les démolisseurs de bateaux du Bangladesh seuls en mer

Chaque année, l’industrie navale envoie entre 800 et 900 bateaux hors d’usage sur des chantiers où ils sont recyclés, en grande partie manuellement, pour en récupérer l’acier.

D’après les chiffres de 2012 (jusqu’à mi-octobre) communiqués par l’ONG Shipbreaking Platform, cinq pays ont procédé au démantèlement de 98% des bateaux : l’Inde, le Bangladesh, la Chine, la Turquie et le Pakistan.

Au Bangladesh, le deuxième pays du secteur de la démolition navale derrière l’Inde, l’organisme national Bangladesh Ship Breakers Association (Association de démolition navale du Bangladesh – BSBA), déclare que plus de 200 navires ont été importés dans le pays en 2012 pour y être démantelés.

Il s’agit du nombre le plus élevé depuis 2009, même si ces chiffres sont inférieurs à ceux de l’Inde, qui a démonté 375 bateaux en 2012.

BSBA voit dans cette expansion un signal positif indiquant que l’industrie se remet à flot après la décision de justice de 2009 interdisant l’importation de vieux navires qui n’avaient pas encore été complètement débarrassés de leur amiante, PCB, métaux lourds et cambouis.

Cette décision avait en effet mis l’industrie de démolition navale à l’arrêt étant donné qu’aucun des cent chantiers du pays n’était autorisé à procéder au démantèlement des bateaux.

Depuis, ces restrictions ont été assouplies par le Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, ce qui a entraîné la hausse du nombre de navires recyclés dans le pays, au grand dam de certains.

À commencer par les militant(e)s du travail et de l’environnement du Bangladesh, qui voient dans le nouvel essor de cette industrie un signal dangereux tant pour les travailleurs/euses que pour l’environnement du pays.

Le recyclage des bateaux est vital pour l’économie du Bangladesh. Ce secteur représenterait environ 1 milliard USD et emploie près de 200.000 personnes.

Il est estimé que l’acier récupéré sur les navires équivaut à la moitié du quota d’acier du pays.

Cependant, la démolition navale est aussi l’une des industries les plus dangereuses au monde.

Entre 70 et 80% de tous les bateaux hors d’usage finissent sur les plages de bord de mer des pays en développement tels que le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan, où des travailleurs/euses peu formés et mal équipés démontent les épaves à la main.

Chaque année, des centaines de travailleurs/euses sont blessés, estropiés ou tués dans des accidents de travail.

Certains navires sont aussi hauts que des immeubles de 20 étages et mesurent jusqu’à 300 mètres de long.

Ils contiennent des substances toxiques telles que l’amiante, le plomb et d’autres matériaux lourds qui empoisonnent les travailleurs/euses et les écosystèmes côtiers.

Les travailleurs/euses sont quotidiennement exposés aux fumées cancérigènes issues de la fonte de métaux et de peintures à base de plomb.

Au Bangladesh, l’accès aux chantiers de démolition navale est interdit aux syndicats, ce qui signifie que l’exploitation généralisée des travailleurs/euses – dont certains sont sous-payés, voire non payés – se poursuit sans restriction.

En outre, il semblerait que 20% de la main-d’œuvre employée sur les chantiers de démolition du pays soit âgée de moins de 15 ans.

L’ONG Shipbreaking Platform a récemment relaté l’histoire de Khorshed Alam, un jeune travailleur de 16 ans qui a été tué en juillet dernier, écrasé par une plaque de métal sur le chantier de démolition SRS de Chittagong, où il travaillait pour 3 USD par journée de 12 heures.

 

Changements

BSBA et le ministère de l’Industrie du Bangladesh déclarent tous deux que l’industrie de démolition navale a été assainie au cours de ces dernières années.

Or, les organisations de défense des droits humains et de l’environnement ne sont pas de cet avis.

Elles disent en effet que, sans système de contrôle permettant de vérifier la quantité de substances dangereuses et toxiques libérées pendant le démontage des bateaux, les travailleurs/euses et l’environnement continuent d’être exposés au danger.

Les critiques affirment également que les importateurs ne respectent pas les normes nationales ou internationales minimum.

Lors d’un entretien avec Equal Times, Bangladesh Environmental Lawyers Association (Association bangladaise des juristes spécialisés dans l’environnement – BELA), Young Power in Social Action (Pouvoir des jeunes dans l’action sociale – YPSA), Bangladesh Institute of Labour Studies (Institut bangladais des études relatives au travail – BILS) et Bangladesh Occupational Safety, Health and Environment Foundation (Fondation bangladaise de l’environnement, de la sécurité et de la santé au travail – OSHE) ont tous signalé que, depuis le redémarrage de l’activité de démolition navale en 2010, la fréquence des accidents mortels avait repris de manière régulière.

D’après le département des explosifs (qui dépend du ministère de l’Énergie et des Ressources minérales), Greenpeace et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), un travailleur/euse trouve la mort au travail chaque semaine et un employé(e) des chantiers de démolition navale se blesse chaque jour au travail.

Cependant, ces chiffres ne comprennent pas les décès faisant suite aux maladies occasionnées par les fumées et les substances toxiques auxquelles sont sans cesse exposés les travailleurs/euses.

Les problèmes de santé et de sécurité survenant sur les chantiers – qui se trouvent essentiellement à Sitakunda, à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville portuaire de Chittagong – sont rarement recensés, étant donné que l’accès aux chantiers est très limité.

Toutefois, le président de BSBA, Hefajatur Rahman, affirme que tout travail industriel induit un danger potentiel et que les accidents signalés résultent davantage d’un événement fortuit que d’un échec structurel.

Il précise également que l’environnement de travail des chantiers de démolition navale du Bangladesh s’est considérablement amélioré depuis 2009 puisque les travailleurs/euses bénéficient désormais de formations sur leur lieu de travail et d’équipements de sécurité tels que des gants, des masques et des casques.

« Du matériel, notamment des grues et des convoyeurs magnétiques, est utilisé afin de réduire les dangers et les charges pour les travailleurs/euses. »

Allant dans le sens des commentaires de Hefajatur Rahman, le secrétaire adjoint à l’industrie, Khorshed Alam, a annoncé qu’un comité de quatre personnes, comprenant des membres des ministères de l’Environnement, de l’Industrie et de la Marine, a été chargé de vérifier l’état des navires importés avant l’échouage au regard des réglementations de l’Organisation maritime internationale.

Le démontage n’est autorisé qu’après un examen minutieux du plan d’exploitation de chaque navire.

Malgré tout, les critiques rejettent ce comité, estimant qu’il s’agit d’une violation de la décision de justice de 2009 qui appelait à la formation d’un comité représentant toutes les parties prenantes.

La directrice de BELA, Syeda Rizwana Hasan, déclare par ailleurs que le processus d’échouage et de démontage des navires est entaché d’irrégularités et de corruption.

« Rien n’a changé dans le secteur de la démolition navale [depuis 2009], si ce n’est l’augmentation des importations de navires », précise-t-elle.

 

David Browne/Parachute Pictures

 

Mohammad Omar Faruq, directeur de projet à OSHE, explique que la famille d’un travailleur/euse de démolition navale tué au travail peut prétendre à une indemnité de 100% (qui s’élève à environ 100.000 BDT, soit 1450 USD), alors que les travailleurs/euses blessés ne reçoivent pratiquement aucun soutien – financier ou autre.

Et aucune véritable formation n’a été mise en œuvre.

Mohammad Ali Shahin, qui travaille pour une ONG locale à Sitakunda, affirme que l’agitation politique qui va traverser le pays l’année prochaine au moment des élections, ainsi que le clientélisme et la corruption, vont permettre aux recycleurs de navires d’importer au Bangladesh de gigantesques épaves non certifiées sans que le gouvernement n’intervienne, ou presque.

Selon lui, peu d’attention est accordée à la législation nationale ou internationale.

La réglementation n’est pas appliquée, notamment les directives relatives à la gestion des déchets dangereux et à la démolition de navires établies par le ministère de l’Industrie, l’Organisation maritime internationale, l’OIT ou les Nations Unies.

Par ailleurs, les pays importateurs achètent des bateaux à des pays non signataires de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination.

 
Conséquences

Après le succès des importations d’épaves en 2012, les membres de BSBA souhaitent maintenir à la hausse les chiffres de la démolition de navires.

D’après eux, ils ont la capacité de démanteler encore plus de bateaux qu’à l’heure actuelle.

Cependant, les médias locaux ont déjà signalé la désertification continue des zones littorales vertes pour faire place à davantage de navires.

Selon la FIDH, quelque 20.000 arbres ont été coupés en 2009.

BSBA estime que la forte expansion de la démolition navale va jouer un rôle significatif dans la création d’emplois au Bangladesh et permettre de fournir le minerai de fer précieux à l’industrie manufacturière pour répondre aux besoins de construction du pays.

Or, BELA signale que l’industrie de démolition navale ne peut satisfaire que 25% des besoins en acier du pays et que les éléments métalliques produits pour la construction d’immeubles de grande hauteur se sont révélés être de qualité médiocre.

En bon chef de file de l’industrie, BSBA affirme en outre que l’industrie a une incidence positive sur l’environnement dans la mesure où le bois provenant du recyclage des bateaux permet de faire face à la demande considérable de mobilier en bois.

« L’équipement des navires est intégralement revendu, ce qui signifie que nous recyclons 100% des bateaux », souligne un porte-parole de BSBA.

Toutefois, Tapan Datta, du Shipbreaking Workers Trade Union Forum (Forum des syndicats des travailleurs/euses de démolition navale), formé en 2009 faute de syndicat spécialisé dans le domaine de la démolition navale, précise que cette industrie, même si elle représente une importante source de créations d’emplois au Bangladesh, ne doit pas se développer aux dépens des droits humains et environnementaux :

« Les conséquences économiques de la démolition navale se feront ressentir même si l’on met en place des systèmes de protection essentiels pour les travailleurs/euses et l’environnement.

Oui, nous voulons le recyclage des navires, mais nous voulons que cette activité soit conforme aux réglementations. »

Cet article a été traduit de l'anglais.