Loi syndicale draconienne au Royaume-Uni : à qui le prochain ?

Il n’a pas fallu longtemps au nouveau gouvernement conservateur britannique pour mettre en avant un nouveau train de législation antisyndicale. Informé par l’esprit d’austérité en Europe et guidé par l’expérience de laboratoires de la droite américaine tels l’État du Wisconsin, le projet de loi syndicale constitue l’attaque la plus cinglante contre les syndicats britanniques depuis les années 1980.

Le projet de loi et les propositions y afférentes visent trois objectifs primordiaux :

• Liquider le pouvoir des syndicats du secteur public, permettre au gouvernement de poursuivre ses réformes dans le secteur public et de contenir les salaires dans le secteur public ;

• Amputer le pouvoir politique des travailleurs organisés en coupant le financement des fonds politiques (political funds) des syndicats (nécessaires pour la promotion d’objectifs politiques) ; et

• Liquider le pouvoir industriel des syndicats, y compris en restreignant leur capacité d’organiser des campagnes ciblées contre des grandes entreprises (lesdites « stratégies de levier »).

À cette fin, le projet de loi (et les projets d’amendement qu’il renferme) propose d’interdire le recours au « système de check-off » (prélèvement automatique des cotisations syndicales sur le salaire du travailleur) dans le secteur public. Cela affectera près de 3,8 millions d’adhérents.

Mais en dehors du coup porté à la sécurité financière des syndicats, le projet de loi accorde aussi au gouvernement le pouvoir de remanier des conventions collectives aux fins d’imposer des limites sur le temps que les délégués syndicaux dans le secteur public pourront consacrer aux activités syndicales.

L’autre menace pour les syndicats du secteur public émane des nouvelles propositions relatives au droit de grève qui ajoutent aux restrictions héritées des années Thatcher – restrictions qui n’ont jamais été abrogées par les gouvernements travaillistes successifs entre 1997 et 2010.

La plus importante de celles-ci est la disposition qui prévoit que dans six « services publics essentiels », l’action de grève ne soit autorisée que si elle recueille le soutien d’au moins 40% des membres éligibles au vote (et d’une majorité des votants).

S’agissant de l’activité politique, le gouvernement propose un retour aux années 1920, en modifiant les règles par défaut relatives aux fonds politiques syndicaux.

À l’heure actuelle, l’autorité d’un syndicat de continuer à promouvoir des objectifs politiques doit faire l’objet d’un référendum dans le syndicat tous les dix ans. Investi de cette autorité, le syndicat est en droit d’imposer à ses membres une cotisation politique et ceux d’entre eux qui y objectent conservent le droit de se désengager (opt-out).

Le gouvernement propose de modifier les règles par défaut de sorte que quand bien même les membres du syndicat auraient voté pour le maintien des objectifs politiques, ils seront désormais tenus de déclarer leur engagement (opt-in) au paiement de la cotisation politique s’ils choisissent de le faire :

• Les syndicats auront trois mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi pour s’assurer que leurs membres existants déclarent cet engagement (opt-in). S’ils manquent de s’engager dans les trois mois, leur obligation de payer la cotisation politique deviendra caduque ;

• La déclaration d’engagement (opt-in) deviendra caduc après cinq ans et devra être renouvelée par tous les membres ayant pris l’engagement, hormis le fait que les membres en question sont en droit de rétracter leur déclaration à tout moment.

Ces changements auront de profondes répercussions sur le niveau des contributions aux caisses politiques, notamment dû à la procédure extrêmement fastidieuse régissant la collecte des cotisations. Selon les prévisions les plus pessimistes (et probablement aussi les plus réalistes), les syndicats affiliés au Parti travailliste y perdraient environ 90% de leurs membres cotisants, soit une baisse des effectifs de 3,5 millions à 350.000 membres.

Pour en revenir au pouvoir industriel des syndicats, nous nous affrontons à de nouvelles restrictions au droit de grève (qui concernent à la fois les syndicats du secteur privé et ceux du secteur public). Parmi ces dispositions figurent l’obligation de fournir des renseignements complémentaires sur les bulletins de vote (les scrutins de grève sont obligatoires et fortement réglementés au Royaume-Uni), l’obligation de délivrer un préavis de grève à l’employeur deux semaines à l’avance (en plus du préavis de sept jours avant le scrutin de grève) et ainsi de suite.

 

Briseurs de grèves

Deux dispositions qui retiennent particulièrement l’attention sont celle afférente aux seuils de participation aux scrutins et la proposition visant à autoriser l’embauche d’intérimaires en tant que briseurs de grèves. La première impose comme condition que 50% au moins des personnes habilitées à voter émettent leur vote pour qu’une action de grève soit légale (bien que dans les six services publics essentiels, il faudra aussi que 40% des personnes habilitées à voter votent en faveur de l’action). La deuxième proposition concernant les travailleurs intérimaires a été largement condamnée.

Enfin, s’agissant des actions collectives, de nouvelles restrictions relatives aux piquets de grève obligeront les syndicats à désigner un superviseur de piquet dont l’identité sera communiquée à la police. Le superviseur de piquet devra porter un brassard ou un badge et sera tenu de produire sa « lettre d’autorisation » à la demande de la police et de tierces parties. Dans un pays où la mise sur listes noires de syndicalistes est pratique courante, de tels procédés dénotent, pour le moins, un certain manque de délicatesse.

Le gouvernement a, par ailleurs, eu des « consultations » concernant des propositions supplétives. Quatorze jours avant le début de l’action collective, les syndicats seront tenus de communiquer les renseignements suivants à l’employeur, à la police et à l’administrateur chargé de la certification syndicale (Trade Union Certification Officer) :

• La date précise à laquelle le syndicat entend organiser une manifestation ou un piquet de grève ;
• Le lieu ;
• Le nombre de participants ;
• Une confirmation que les personnes ont été informées de la stratégie ;
• S’il y aura des haut-parleurs, des accessoires, des étendards etc..
• S’il y aura un recours aux réseaux sociaux, notamment Facebook, Twitter, blogs, sites web et ce qui sera diffusé sur ces blogs et sites web ;
• Si d’autres syndicats sont impliqués et les dispositions prises en vue d’une coordination avec ces syndicats ;
• Si le syndicat a informé les membres au sujet des lois pertinentes.

Ce serait l’équivalent moderne de l’obligation de délivrer un préavis pour l’intention de passer un appel téléphonique ou envoyer une lettre. Toute modification de ces plans par le syndicat devra aussi être publiée.

Tout manquement à ces obligations autoriserait l’administrateur chargé de la certification (en vertu des nouveaux pouvoirs inscrits dans la Loi) à imposer une amende au syndicat ou à sommer ce dernier de fournir des renseignements complémentaires ; en outre, la non-publication des plans serait prise en compte dans le cadre de toute procédure civile.

D’autres dispositions prévoient une surveillance et une réglementation accrues des syndicats par l’administrateur chargé de la certification. Désigné par l’État, celui-ci sera investi de pouvoirs extraordinaires lui permettant de mettre en examen des syndicats, de décider de l’issue d’investigations engagées par lui ou elle et d’imposer une amende au syndicat qu’il ou elle aura déclaré non conforme.

L’administrateur chargé de la certification sera le procureur, le juge et l’exécuteur de sa propre cause et son bureau sera financé au moyen d’une nouvelle taxe sur les syndicats.

Autoritaire de par son contenu et son ton, le projet de loi est idéologiquement motivé plutôt qu’il n’est fondé sur des preuves, ce qui lui a valu de susciter des critiques nourries du Comité de la politique réglementaire (Regulatory Policy Committee), qui relève lui-même du gouvernement, et qui l’a qualifié d’ « inadapté aux objectifs poursuivis ».

En lançant la plus forte offensive contre le syndicalisme libre de toute une génération, les Tories ont révélé leur mépris à l’égard du Droit international et, plus particulièrement, des Conventions 87, 98 et 151 de l’OIT, qui ont déjà fait l’objet d’un dépôt de plainte à la Commission d’experts de l’OIT par la centrale syndicale britannique Trades Union Congress.

Ce qu’il faut craindre, désormais, c’est que d’autres gouvernements n’emboitent le pas au gouvernement britannique dans ce qui est apparu au fil des dernières années comme un nivellement par le bas des normes du travail dans beaucoup de pays « développés ». Le Droit international ne semble plus constituer un obstacle, et ce au milieu d’une indifférence désinvolte qui a lieu de préoccuper vu l’importance que revêt l’État de droit en tant que principe constitutionnel – un principe qui est de plus en plus foulé aux pieds.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.