L’absence de surveillance tue plus de 120 personnes au Bangladesh

 

La plupart des 112 victimes de l’incendie qui a ravagé samedi une usine de confection au Bangladesh n’ont simplement pas pu utiliser les sorties de secours.

Des survivants ont déclaré que lorsque les alarmes s’étaient déclenchées, la direction a empêché bon nombre d’ouvriers de sortir de l’usine, prétendant qu’il s’agissait simplement d’un exercice d’évacuation.

Les policiers et les pompiers ont retrouvé les corps des salariés, pour la plupart des femmes, à l’intérieur de l’immeuble à étages de Tazreen Fashions, dans la zone industrielle d’Asulia, à environ 30 kilomètres au nord de la capitale, Dhaka. Certains employés sont morts en sautant du haut du toit ou des fenêtres pour tenter d’échapper aux flammes.

Le nombre de morts pourrait encore augmenter alors que les proches de personnes manquantes identifient les corps.

Selon le rapport officiel que les autorités bangladaises ont publié lundi, le nombre de personnes décédées s’élève à 112 alors que les médias locaux avancent un chiffre de 124 morts.

Le responsable des pompiers, le commandant Mahbub, a expliqué à l’agence AFP que de nombreux travailleurs étaient morts asphyxiés, car le feu a pris au rez-de-chaussée de l’entrepôt, les piégeant dans les étages. Ils travaillaient de nuit et il a fallu plusieurs heures pour venir à bout de l’incendie.

Tazreen Fashions Ltd. est une filiale du groupe Tuba, un grand exportateur bangladais de vêtements qui compte Carrefour et IKEA parmi ses clients. Ses usines exportent notamment vers les États-Unis, l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas.

Tazreen a ouvert en 2009 et employait environ 1.700 personnes.

Le propriétaire de l’usine, Delwar Hossain, a déclaré à l’AFP que l’usine confectionnait également des vêtements pour C&A et Li Fung. Toutefois, il a nié les allégations selon lesquelles les locaux étaient peu sécurisés. Sur son site web, Tazreen prétend qu’il y avait 60 détecteurs de fumée et plus de 200 extincteurs.

Quatre-vingts pour cent de l’économie du Bangladesh, à savoir 24 milliards de dollars, reposent sur l’exportation de vêtements, et le secteur emploie plus de trois millions de travailleuses et de travailleurs, dont plus de 70 pour cent sont des femmes pauvres issues de zones rurales.

Toutefois, l’insatisfaction de la main-d’œuvre et la sécurité et la santé au travail sont depuis longtemps des sujets de préoccupation au vu des faibles salaires et de l’environnement de travail peu sûr et malsain. Du reste, la liberté syndicale et la liberté d’expression semblent fortement limitées à l’instar du droit de grève.

 

Quelle surveillance ?

Dans la mesure où il n’existe aucun dispositif gouvernemental efficace pour inspecter les usines et du fait des pressions exercées par les acheteurs étrangers comme H&M, Walmart, Denim, Marks and Spencer, Carrefour, IKEA et autres, des propriétaires bangladais d’usines de confection ont décidé de satisfaire à des exigences qui sont désormais vérifiées par une équipe de contrôle de la Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association (BGMEA).

La BGMEA a déclaré que Tazreen Fashions était l’un de ses membres et que la société avait été contrôlée par un tiers.

Pourtant, selon Kalpona Akter, directrice du Bangladesh Centre for Workers Solidarity, l’usine ne satisfaisait pas aux exigences minimales.

Elle a expliqué à Equal Times que, pour s’être rendue elle-même dans l’usine incendiée, elle avait remarqué qu’aucun des trois escaliers n’avait d’accès direct vers l’extérieur et que les salariés devaient sortir du rez-de-chaussée en traversant la pièce où étaient jetés les fils et les étoffes.

« La toute première condition, qui est de laisser les couloirs dégagés, n’était pas remplie. De plus, l’incendie a prouvé que les travailleurs n’avaient eu aucune formation en termes d’évacuation et d’extinction d’un feu », a-t-elle ajouté.

Al Jazeera a révélé qu’en mai 2011, à la suite d’un contrôle mené par un évaluateur de « l’approvisionnement équitable » pour Walmart, Tazreen avait été qualifiée de « très risquée » en termes de sécurité. Le porte-parole de Walmart, Kevin Gardner, a ajouté que la société avait prévu de mener une autre inspection en août 2012, mais qu’il n’était pas clair de déterminer « si cette inspection avait eu lieu ou si l’usine confectionnait toujours des produits pour Walmart ».

BGMEA, qui qualifie cet incendie de « terrifiant » et « malheureux », envisage qu’il pourrait s’agir d’un acte criminel. Elle a déjà lancé une enquête pour établir les causes réelles de l’accident mortel et a annoncé qu’elle voulait indemniser les familles des victimes et fournir un établissement de soins aux travailleurs blessés.

Le porte-parole de la multinationale hongkongaise Li Fung a déclaré qu’elle indemniserait les familles à hauteur de 1.200 dollars pour chaque victime. Néanmoins, pour Kalpana Akter, il devrait s’agir d’une indemnité pour « accident mortel » et la législation du travail bangladaise prévoit que, dans ce cas, l’indemnisation versée aux familles par l’employeur pour chaque travailleur décédé équivaut à un salaire entier pour toute une vie professionnelle.

Pour la Campagne Clean Clothes, un groupe de défense des droits des travailleurs du textile basé à Amsterdam, au moins 500 salariés bangladais de la confection sont morts depuis 2006 dans des incendies.

Un feu a éclaté lundi dans une autre usine de confection à l’extérieur de Dhaka, mais aucun décès n’a été signalé, seuls huit travailleurs ont été incommodés par les fortes fumées.

Lundi, des milliers de Bangladais ont défilé dans les rues pour exiger que justice soit faite et que des inspections soient menées. La manifestation a dégénéré et on déplore des jets de pierres sur des usines et des destructions de véhicules. Des centaines d’usines sont restées fermées après ces protestations.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.