Halte à la mainmise sur l’internet : la CSI lance une campagne mondiale

 

Une proposition controversée d’une institution méconnue des Nations Unies pourrait bien sonner le glas de l’internet libre, exempt de tous contrôles politiques et accessible à toutes et tous.

Le mois prochain, les ministres des Télécommunications de 133 pays doivent en effet se réunir à huis clos à Dubaï pour débattre d’un projet de l’Union internationale des télécommunications (UIT) des Nations Unies en vue de contrôler le réseau.

Ce projet est né d’une guerre diplomatique féroce et discrète entre d’une part un bloc puissant de nations, Chine en tête, qui désire exercer davantage de contrôle sur le net, et de l’autre, des démocraties déterminées à préserver l’architecture indépendante et ouverte de la toile mondiale.

Au cours de cette lutte pour le pouvoir, un cartel de sociétés de télécommunications est venu apporter son soutien aux changements, plaidant en faveur de nouvelles réglementations tarifaires, qui, selon certains détracteurs, pourraient mener à de fortes augmentations des frais liés à l’utilisation journalière de l’internet, y compris les courriers électroniques et les médias sociaux.

Toutefois, dans une démonstration sans précédent d’unité, des groupes de défense des droits civils, de grandes sociétés de communication et des syndicats se réunissent lundi à Londres pour lancer une campagne et une pétition mondiales sous le slogan Halte à la mainmise sur l’internet.

Menée par la CSI, cette campagne demande aux Nations Unies ainsi qu’à l’UIT la tenue immédiate d’un débat international sur leurs intentions et exige qu’aucune décision ne soit prise tant que tous les acteurs, et pas uniquement les gouvernements, n’auront pu donner leur avis sur cette question.

Selon la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), Sharan Burrow, il est urgent de mener dès aujourd’hui une action internationale dans la mesure où « l’internet tel que nous le connaissons » court un véritable danger.

« Si nous n’agissons pas aujourd’hui, notre droit de communiquer librement et de partager des informations pourrait être modifié à tout jamais. »

« De grandes sociétés de télécommunications se sont unies à des pays comme la Chine, l’Égypte et l’Arabie saoudite, qui restreignent déjà fortement les libertés électroniques, a-t-elle expliqué.

Jusqu’à présent, les propositions sont passées inaperçues, mais leurs implications sont extrêmement graves.

Des gouvernements – et de grandes sociétés dans le monde – pourraient obtenir le droit non seulement de limiter l’internet et de surveiller tout ce que vous faites en ligne, mais aussi de facturer aux utilisateurs des services comme les courriers électroniques et Skype. »

 

Vers l’ère numérique ?

L’UIT, créée en 1865 pour régir la technologie télégraphique balbutiante, désire aujourd’hui revoir le Règlement des télécommunications internationales en vue de tenir compte de la révolution numérique et de redéfinir son mandat afin d’y inclure l’internet.

La dernière révision du Règlement des télécommunications internationales a été effectuée lors d’un sommet à Melbourne (Australie) en 1988, soit plus de deux ans avant qu’un scientifique anglais, Sir Tim Berners-Lee, envoie le premier message entre un client et un serveur HTTP (Hyper Text Transfer Protocol - protocole de transfert hypertexte) grâce à l’internet.

Pourtant, le projet de révision du règlement, secrètement conçu et qui n’a été que récemment publié sur le site web de l’UIT pour que le public le consulte, montre que les changements sont loin de n’être que d’inoffensives mises à jour en vue de suivre l’évolution technologique, puisqu’il pourrait autoriser de vastes interventions étatiques et politiques sous couvert de la sécurité nationale et internationale.

Si le projet est accepté, les modifications pourraient :

  • permettre aux gouvernements de restreindre ou de bloquer des informations diffusées sur l’internet ;
  • créer un système mondial de contrôle des communications électroniques, y compris en exigeant que les individus qui envoient et reçoivent des communications s’identifient personnellement ;
  • exiger que l’internet ne soit utilisé que de « façon rationnelle » ;
  • permettre aux gouvernements de couper l’internet s’ils estiment qu’il pourrait constituer une ingérence dans les affaires intérieures d’autres États ou qu’il pourrait permettre la divulgation d’informations de nature sensible.

 

Critiques

Un mois tout juste avant le sommet, des critiques s’élèvent pourtant, tant de la part d’informaticiens, de spécialistes politiques et des communications, de groupes de défense des droits civils que de grandes sociétés du net et d’organisations syndicales.

Ils estiment en effet que les risques de cette proposition ne se limitent pas à une intervention centralisée sur l’internet et à sa censure.

Une autre série d’amendements, préparés pour les sociétés nationales de télécommunications, réunies dans le cadre de l’Association des opérateurs européens de réseaux de télécommunications (ETNO), plaident en faveur de la négociation de modèles de facturation pour les expéditeurs lors de futures discussions commerciales sur les télécommunications.

Cette volonté d’élargir les réglementations tarifaires découle d’un désir croissant des géants nationaux des télécommunications, certains publics et d’autres récemment privatisés, d’obtenir davantage de gains de l’industrie florissante de l’internet.

Un site spécial,www.WCITleaks.org., a mis au jour la proposition de l’ETNO qui reprend les points de vue d’opérateurs italiens, allemands et français.

Selon cette proposition, les réglementations devraient être modifiées afin de « s’assurer un bon retour sur investissements des infrastructures à large bande  » tout en veillant à ce que les « opérateurs » soient autorisés à « négocier des accords commerciaux pour parvenir à un régime durable d’indemnisations équitables pour des services de télécommunication ».

Selon des analystes, de tels changements permettraient aux sociétés de télécommunications d’accroître leurs revenus grâce aux fournisseurs de contenus et de plateformes.

Cela n’augmenterait pas pour autant l’accès à l’internet puisque de nombreuses sociétés hésiteraient de plus en plus à investir dans des communautés d’utilisateurs qui seraient de moins en moins rentables. Cela nuirait davantage aux pays plus pauvres et moins développés ainsi qu’aux organisations sans but lucratif.

De fait, selon des experts politiques, la violation de la neutralité du net engendrerait de nouvelles difficultés pour les entrepreneurs et les créateurs, surtout pour ceux qui ont moins de capitaux ou de moyens financiers pour faire face aux risques et à la croissance.

Pour Sharan Burrow, il fallait aussi mener la campagne pour veiller à ce que la main-d’œuvre du secteur des télécommunications et d’autres industries ait une chance de « s’asseoir à la table des négociations et non d’en être exclus comme c’est le cas aujourd’hui ».

Les détracteurs du projet de modification des réglementations tarifaires estiment qu’il ne s’agit là que d’une tentative de dernière minute de certaines grandes sociétés de télécommunications d’en finir avec les modèles commerciaux actuels et de tirer davantage de gains de l’internet.

Depuis ses débuts, l’internet fonctionne comme un réseau « aveugle », publiant des contenus sans se soucier de ce qu’ils représentent vraiment, ni d’où ils proviennent.

Ce principe s’applique dans tous les cas de figure, que le contenu provienne d’un routeur individuel ou de l’un des réseaux mondiaux de points d’échange internet (International Exchange Points), et est inscrit dans l’ADN du réseau internet.

Mais les grandes sociétés nationales de télécommunications, qui ont investi et ont construit des réseaux et une grande partie de l’infrastructure mondiale, sont de plus en plus frustrées par la croissance exponentielle et la réussite d’entreprises s’appuyant sur le net et utilisant leurs « autoroutes ».

Elles veulent changer la chaîne de valeur et, de leur point de vue, l’unique façon de procéder est d’introduire des frais pour un meilleur retour sur leurs investissements, en appliquant de vieux modèles de facturation des appelants, de frais téléphoniques, à un phénomène non linéaire du 21e siècle.

Et Sharan Burrow de conclure : « Le contrôle total du réseau par les gouvernements et les grandes sociétés va à l’encontre de l’essence même de ce que l’internet représente, à savoir un accès ouvert et libre pour toutes et tous. »

 

Pour signer notre pétition "Halte à la mainmise sur l’internet", consultez : http://www.change.org/haltealamainmisesurlinternet

 

Cet article a été traduit de l'anglais.