Travailleuse domestique : dans certaines régions du monde, l’un des emplois les plus dangereux

Voici cinq ans aujourd’hui, 16 juin, qu’était adoptée la Convention 189 (C189) de l’Organisation internationale du travail (OIT). Cet instrument a conféré des droits et une protection à 15 millions de travailleuses domestiques (toucher un salaire minimum, accéder à la sécurité sociale, conclure des contrats de travail écrits et bénéficier d’heures de repos et de jours de congé), ce qui était inimaginable ne serait-ce qu’il y a dix ans.

Mais si 15 millions de travailleuses sur un total de 67 ont vu leurs droits accrus, et même s’il y a lieu d’espérer que ce nombre augmente encore, il n’en reste pas moins que 2,4 millions, rien que dans les pays composant le Conseil de coopération du Golfe (CCG : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Bahreïn, Émirats Arabes Unis et Oman) vivent et travaillent dans ce que l’on ne peut décrire que comme de l’esclavage moderne.

Certes, une bonne partie des travailleurs domestiques (qui sont à 80 % des femmes, voire, dans des lieux tels que Hong Kong, près de 99 %) n’ont jamais été exposés, au cours de leur vie professionnelle, au travail forcé, aux maltraitances physiques et morales, à l’incapacité de se défendre en justice, aux abus sexuels ou, dans des cas extrêmes, à la mort. Mais un petit pourcentage d’entre eux connaît cette réalité, au moins 3,6 % (estimation prudente qui ne tient compte que des données relatives au CCG). Sans oublier qu’en sus des 67 millions de travailleurs domestiques dans 176 pays, il existe au moins 7,4 millions de cas de travailleurs domestiques de moins de 15 ans, qui travaillent jusqu’à 18 heures par jour pour un salaire dérisoire, voire sans percevoir la moindre rémunération.

Aujourd’hui, Journée internationale des travailleurs domestiques, des professionnels du secteur, des syndicats, des organisations de défense des droits humains et des représentants de la société civile sont descendus dans les rues un peu partout dans le monde en vue de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils ratifient le texte de l’OIT et la Recommandation 201 qui l’accompagne. Depuis 2011, 22 pays seulement l’ont fait.

Le but des manifestations est également de sensibiliser la société tout entière sur l’importance du travail effectué par les travailleuses domestiques, tant pour l’économie du pays où elles travaillent comme pour celle des pays bénéficiaires des envois de fonds des 11,5 millions de travailleuses domestiques migrantes.

 

Dans une économie « modèle »… seuls 5,4 % ne sont pas victimes d’abus

Hong Kong est l’économie la plus libre de notre planète. Il s’agit de l’un des territoires les moins corrompus au monde. L’état de droit y est un des piliers fondamentaux, et chaque année, ses étudiants se retrouvent les mieux classés au niveau universitaire international.

Mais cette ancienne colonie britannique, qui est également l’économie à la plus haute densité de travailleuses domestiques migrantes puisque celles-ci y constituent 10 % de la population active, était devenue un enfer personnel pour Erwiana Sulistyaningshi et Kartika Puspitasari, deux travailleuses domestiques fameuses à Hong Kong grâce à leur victoire sur leurs employeurs qui les maltraitait.

De fait, comme on l’apprend à la lecture du rapport du mois de mars dernier intitulé Coming clean (La vérité mise à nu) de l’organisation de défense des droits humains hongkongaise Justice Centre, seulement 5,4 % des travailleuses domestiques (migrantes) ne subissent pas l’exploitation ou les menaces de leurs employeurs.

Toutes les autres, à des pourcentages variables, font face au travail forcé (17 %), à la traite des personnes et à différents degrés d’exploitation, les plus vulnérables étant celles qui viennent d’Indonésie, les femmes de moins de 30 ans, et en particulier celles qui obtiennent leur poste de travail par le biais d’agences de recrutement dénuées de scrupules.

Comme signalé à Equal Times par Jade Anderson, co-auteur de l’étude, « le rôle des agences est déterminant pour l’expérience que vivront les travailleuses domestiques à Hong Kong ». Malheureusement, « la seule chose qui intéresse une grande partie de ces agences, ce sont les bénéfices obtenus dans le processus d’embauche grâce aux frais d’agence qu’elles perçoivent », lesquelles deviennent très rapidement des dettes pour les futures employées.

« La dette dérivée du processus de recrutement est l’un des indicateurs les plus fiables identifiés par Justice Centre pour déterminer si une travailleuse domestique migrante est en situation de travail forcé », indique Anderson. 54,4 % des travailleuses domestiques migrantes interrogées dans le cadre de cette étude ont affirmé avoir payé pour obtenir un contrat ; pour 35 % d’entre elles, cette dette représentait 30 % ou plus de leur salaire annuel.

Le fait d’être logées chez leur employeur et de devoir quitter le territoire dans les deux semaines qui suivent la fin de leur contrat (quels qu’en soient les motifs), deux mesures préconisées par les autorités locales pour éviter le travail au noir, ne fait rien pour améliorer la situation des travailleuses. Ces mêmes mesures sont appliquées à Singapour et au Royaume-Uni (dans ce dernier, par le biais des « visas liés » depuis 2012), parmi d’autres, et débouchent sur le même problème.

Les autorités hongkongaises viennent certes de publier un projet de code de conduite destiné aux agences de recrutement, mais le Justice Centre déplore que celui-ci ne mentionne ni le travail forcé ni la traite des personnes, en dépit des conclusions de son rapport.

 

11,5 millions de travailleuses domestiques migrantes – 2,4 millions d’esclaves

Une étude réalisée en 2014 par la Confédération syndicale internationale (CSI, Facilitating exploitation) estime que 2,4 millions de travailleuses domestiques migrantes travaillent dans un régime relevant de l’esclavage dans les pays du CCG, principalement en Arabie saoudite.

La situation y est caractérisée par les abus et l’impunité ; c’est dans un cercueil que des dizaines de femmes reviennent chaque année dans leur pays, ou même des milliers, d’après certaines sources consultées par Equal Times ou des organisations de défense des droits humains telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch. Tant et si bien que plusieurs pays d’Asie imposent des interdictions intermittentes au départ de leurs ressortissants pour travailler dans ce pays.

Cette réaction a porté ce pays du Moyen-Orient à se tourner vers l’Afrique pour importer la main-d’œuvre dont elle a tant besoin. Mais là aussi, on lui ferme la porte au nez, comme l’a fait la Mauritanie en 2015, décidant de mettre fin à la migration de travailleuses domestiques vers l’Arabie saoudite tant que la protection des travailleurs ne serait pas améliorée dans cette monarchie absolue du Golfe.

La demande de main-d’œuvre pour les foyers, pas seulement dans cette région mais dans le monde entier, est loin de stagner ou de diminuer. Au contraire, elle ne cesse d’augmenter, raison pour laquelle la CSI, les syndicats du secteur et des organisations de défense des droits humains du monde entier exhortent la communauté internationale à entreprendre des réformes juridiques afin de protéger ces travailleuses. Et, concrètement, à se défaire du système de la kafala, qui exacerbe la vulnérabilité des travailleurs.

« Tant que les autorités saoudiennes ne seront pas disposées à abroger ce système, je ne vois pas comment les travailleuses domestiques pourraient voir une amélioration de leur situation dans ce pays », a déclaré à Equal Times Marieke Koning, conseillère politique à la CSI et coauteure du guide Les travailleurs et travailleuses domestiques s’unissent (le texte de référence le plus récent du secteur, publié par la confédération).

En vertu de la kafala, les travailleurs sont liés à leur employeur pendant toute la durée de leur contrat. Ils ne peuvent pas négocier leurs conditions de travail ni résilier leur contrat, et ne peuvent changer d’employeur qu’avec l’autorisation du premier. En outre, au Qatar et en Arabie saoudite, c’est l’employeur qui octroie au travailleur le permis de sortie du territoire.

Dans ce cadre, il n’est pas surprenant que les syndicats et les organisations de défense des droits humains aient connaissance de situation et de récits trop communs : des journées de travail pouvant durer jusqu’à 20 heures consécutives (avec peu à boire ou à manger), sept jours sur sept, des salaires qui ne sont pas perçus ou qui sont inférieurs à ce qui avait été convenu, menaces de mort pour quiconque ose réclamer son salaire, réclusion au domicile des employeurs lorsque ceux-ci quittent le domicile, confiscation du passeport et du téléphone portable, impossibilité d’accéder à un quelconque dispositif pour communiquer avec l’extérieur, méconnaissance même de l’adresse où elles se trouvent, de la langue locale, de leurs droits… voilà certains des abus subis.

Néanmoins, Koning reste positive. « De nombreux pays, surtout le Bahreïn mais aussi le Koweït et Oman, sont en train de progresser dans le bon sens, avec l’adoption de réformes législatives visant à améliorer les droits et les protections des travailleuses domestiques migrantes. Ce sont des petits pas, qui ne sont toutefois pas négligeables. »

Des pays comme les Philippines, l’Inde, l’Indonésie, le Sri Lanka et le Bangladesh, entre autres, peuvent aussi apporter leur contribution en « balayant devant leur propre porte », indique la responsable de l’égalité de la CSI. C’est-à-dire en réglementant le travail des agences de recrutement sur leur territoire et en les surveillant de plus près, et aussi par exemple en vérifiant la législation du travail dans le pays de destination.

« Il est scandaleux, inacceptable, que les agences engrangent des bénéfices sur le dos des travailleuses domestiques. Se remplir les poches en contournant les obligations légales (car elles font notamment payer, souvent abusivement, des frais de recrutement), en bafouant les droits de ces travailleuses (en les trompant ou en ne leur apportant aucune aide lorsqu’elles en ont besoin), c’est tout simplement de la traite de personnes », dénonce Koning.

Parmi les pays d’origine, les Philippines sont considérées comme un bon exemple à suivre car c’est là que l’on trouve les meilleurs niveaux de protection des travailleuses domestiques migrantes. Cependant, cette économie du Sud-Est asiatique reçoit beaucoup d’envois de fonds de ses ressortissants qui travaillent à l’étranger (28 483 milliards de dollars en 2015 – 25.300 milliards d’euros –, total qui inclut les envois des travailleuses domestiques) et elle en dépend pour fonctionner, raison pour laquelle il est indispensable d’exercer une pression internationale.

Dans ces cas-là, explique Koning, ce qu’il faut c’est « davantage de coopération internationale », que la pression exercée sur un pays qui viole les droits ne vienne pas uniquement d’un autre pays, mais d’un groupe de pays, « ce qui donne plus de poids au message ». C’est d’ailleurs ce qui a été décidé lors de la réunion de l’OIT qui s’est tenue à Madagascar au mois d’avril dernier, eu égard justement aux intérêts économiques en jeu pour les pays d’origine.

 

Ce que personne n’imaginait il y a dix ans

« Jamais personne, il y a dix ans, n’aurait prévu que ceci arriverait », indique Marieke Koning : l’adoption d’un texte de loi établissant des droits fondamentaux pour tout un secteur en expansion, sa ratification ou des amendements législatifs dans 48 pays, surtout d’Europe, des Amériques (l’Amérique latine ayant été à l’origine de tout le mouvement de revendication à la fin de la décennie 1980), mais aussi d’Afrique australe et orientale.

En outre, l’on commence à voir les résultats de nombreuses campagnes, parmi lesquelles 12+12 de la CSI et de la Fédération internationale des travailleurs domestiques (FITD) ou encore My fair Home (que mon foyer soit juste) de la FITD, mais aussi d’une alliance stratégique entre la société civile, des organisations de défense des droits humains, des ONG et des syndicats, qui viennent compléter la syndicalisation accrue des travailleuses domestiques.

« Nous enregistrons des changements significatifs, même s’il reste encore beaucoup à faire. Il y a encore des millions de travailleuses domestiques qui ne jouissent pas des mêmes droits que les travailleurs d’autres secteurs. Mais le fait que de nombreuses travailleuses domestiques soient devenues dirigeantes syndicales, oratrices ou militantes est prometteur, c’est une source d’inspiration. »

C’est le cas de la Mexicaine Marcelina Bautista (secrétaire générale de la Confédération des travailleuses domestiques d’Amérique latine et des Caraïbes, CONLACTRAHO), qui était déjà travailleuse domestique bien avant d’atteindre l’âge adulte.

« Ces femmes recherchent un véritable changement afin que tout le secteur soit protégé. Elles sont un exemple pour les autres », remarque Koning.

L’OIT remarque qu’en améliorant les conditions d’un secteur tellement présent, croissant et dominé par les femmes, on contribuera en outre à faire sensiblement progresser la diminution des inégalités entre hommes et femmes.

Une étude de la Banque centrale des Philippines (Remittances, Migration, and their Economic Impact : Lessons from the Philippines) souligne de surcroît le rôle fondamental joué par les salaires que les travailleuses domestiques envoient chez elles. Non seulement ceux-ci réduisent-ils le niveau de pauvreté, mais ils contribuent aussi à faire naître des initiatives entrepreneuriales et augmentent la scolarisation des enfants, ce qui à son tour fait diminuer le travail des enfants.

Telles sont les raisons et les motivations qui expliquent la résilience des travailleuses domestiques dans le monde entier.

 

Cet article a été traduit de l'espagnol.