Un nouveau meurtre braque l’attention sur le sort des syndicalistes aux Philippines

News

Les travailleurs et syndicalistes des Philippines restent sous le choc suite au meurtre, le 8 mars, du dirigeant syndical Florencio « Bong » Romano.

Le syndicaliste de 63 ans était organisateur au sein de la Coalition nationale pour la protection des droits des travailleurs (National Coalition for the Protection of Workers’ Rights), une affiliée du Kilusang Mayo Uno (Mouvement du premier mai), dans l’entreprise de produits alimentaires RFM, à Laguna, au sud de la capitale, Manille.

Romano a été retrouvé mort à Batangas City, également au sud de Manille. Son corps portait un seul impact de balle à la poitrine. D’après les rapports de la police, son corps était aussi couvert d’ecchymoses.

Bien que le mobile de son meurtre n’ait pas encore pu être élucidé, sa mort est un rappel saisissant de la situation critique que vivent les travailleurs aux Philippines.

Lors d’un entretien avec Equal Times, le président du KMU, Elmer Labog, a indiqué que les syndicalistes qui tentaient de s’opposer aux attaques antisyndicales, aux licenciements et à la précarisation débridée des contrats d’emploi étaient la cible de diverses formes d’abus – de l’intimidation au harcèlement, jusqu’aux enlèvements et au meurtre.

D’après lui, le meurtre de Romano laisserait suggérer « la main d’un pro [professionnel] » et est révélateur du danger qu’affrontent les travailleurs qui décident de former des syndicats ou d’y adhérer.

Labog signale que Romano est le 18e dirigeant d’un syndicat affilié au KMU à être assassiné depuis l’accession de l’administration présidentielle de Benigno Aquino en 2010.

« Tout porte à croire que l’armée se trouve derrière cette série d’assassinats de syndicalistes, pour empêcher les travailleurs de former des syndicats », a dit Labog à Equal Times.

Il a, toutefois, ajouté que les travailleurs des Philippines ne se laisseraient pas intimider.

« D’autres syndicalistes comme Bong émergeront de nos rangs et continueront à se battre », a dit Labog.

Il a aussi accusé l’armée de soumettre les dirigeants du KMU dans la région de Mindanao, dans le sud du pays – où un conflit séparatiste a causé plus de 60.000 morts et le déplacement de centaines de milliers de personnes au cours des quatre dernières décennies – à diverses formes de harcèlement et de violence qui ont fait l’objet du dépôt d’une plainte du KMU à l’Organisation internationale du travail (OIT) en février dernier.

 

L’un des pires endroits pour les travailleurs

La Confédération syndicale internationale (CSI) classe les Philippines au nombre des pays du monde où les droits des travailleurs sont le moins respectés.

La ministre du Travail des Philippines, Rosalinda Baldoz, a cependant démenti les informations émanant des Philippines faisant état d’une vague de persécutions et de violences ciblées contre des dirigeants syndicaux et déclaré que le gouvernement travaillait aux côtés du Conseil national tripartite pour la paix pour remédier de toute urgence à toutes violations de droits.

« C’est l’administration [actuelle] qui a été reconnue par l’OIT et le gouvernement des États-Unis pour avoir accompli des progrès significatifs en vue du règlement de cas de violations des droits des travailleurs ayant fait l’objet de plaintes déposées sous la précédente administration », a déclaré Mme Baldoz à Equal Times.

D’après elle, la secrétaire du Département de la justice, Leila De Lima, se serait déjà engagée à répondre à toutes allégations d’exécutions extrajudiciaires et de harcèlement de dirigeants et membres de syndicats.

Bien qu’elle admette qu’il « n’existe pas de garantie pour les droits des travailleurs » aux Philippines, Mme Baldoz décrit les conditions générales des travailleurs dans le pays comme favorables.

Labog maintient cependant que les syndicalistes opèrent dans un climat extrêmement répressif et cite le cas d’Edward Panganiban, dirigeant du syndicat Samahang Lakas Manggagawa ng Takata – Independent, affilié au KMU, tué de 12 balles en juin 2009.

Panganiban travaillait pour le fabricant nippon d’airbags et ceintures Takata Philippines Corp.. Au moment de son meurtre, il aidait les employés de la société à former un syndicat.

Autre exemple, celui de Benjamen Villeno, un dirigeant syndical qui travaillait chez le géant de l’automobile nippon Honda et qui est porté disparu depuis 2013. Il est soupçonné d’avoir été enlevé.

Et même s’ils ne sont pas confrontés à la violence, les travailleurs ne sont jamais à l’abri d’un licenciement sommaire.

Près de 3.600 travailleuses et travailleurs de l’usine de vêtements Carina Apparel Inc., fournisseur d’enseignes internationales comme Marks & Spencer, Calvin Klein et Victoria’s Secret, ont été sommairement licenciés en février 2014, suite à une fermeture soudaine et « totale ».

Bien que la direction générale de l’entreprise ait imputé sa décision à un niveau élevé d’absentéisme et une « réticence à accepter une flexibilité accrue dans l’emploi », des commentateurs ont fait remarquer que les employés de l’entreprise Carina Apparel comptaient parmi les rares effectifs syndiqués du secteur de l’habillement aux Philippines.

Labog a confié à Equal Times que les travailleurs de l’industrie manufacturière sont particulièrement exposés au risque de licenciement et de harcèlement lorsqu’ils participent aux activités syndicales et qu’en dépit d’une ordonnance du Département du travail et de l’emploi de 2011 relative à la prévention de la précarisation de l’emploi, la majorité des travailleurs aux Philippines est sous contrats de durée déterminée.

« Mais loin de se laisser abattre par ces attaques, les travailleurs montent aux créneaux », a-t-il dit, citant la victoire des employés du géant de l’électronique NXP Semiconductors où un conflit de deux ans s’est soldé par la réintégration de 24 travailleurs licenciés et une convention collective améliorée.