Victoire du Salvador contre l’entreprise minière étasunienne Pacific Rim : une victoire à nuancer

Opinions

En octobre de cette année, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) du Groupe de la Banque mondiale a statué en faveur du Salvador dans le cadre d’une procédure d’arbitrage lancée par l’entreprise minière étasunienne Pacific Rim Cayman (qui fait à présent partie de l’entreprise australo-canadienne Oceana Gold) concernant un différend à propos de la licence d’exploitation de la mine El Dorado, un projet d’extraction d’or situé à Cabañas, dans le nord-ouest du pays centraméricain.

Dès le départ, ce projet d’extraction a suscité une forte opposition de la part de la population locale et divers acteurs de la société civile (aussi bien nationaux qu’internationaux) à cause des impacts négatifs potentiels (écologiques et sociaux) que ce projet minier pourrait occasionner. À cet égard, il est important de mentionner qu’au Salvador, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays d’Amérique centrale, l’exploitation minière à grande échelle n’existe pas encore.

La sentence arbitrale du CIRDI dans cette affaire a beaucoup attiré l’attention de différents acteurs, qu’il s’agisse de gouvernements, d’organisations ou d’entreprises. Cet intérêt pourrait découler du fait que la sentence était favorable à un petit État confronté à une entreprise minière étrangère (une histoire semblable à celle de « David contre Goliath »), mais il pourrait également s’expliquer par l’opposition que génèrent les processus d’arbitrage du point de vue des droits de l’homme ou encore par les conséquences néfastes qu’engendre l’exploitation minière.

Toutefois, bien que le CIRDI ait décidé que la plainte manquait de bien-fondé, ce qui implique que le Salvador ne devra pas verser les 300 millions de USD qu’exigeait l’entreprise en compensation des gains potentiels perdus (équivalant à 1 % du PIB du pays), il est important d’analyser le résultat avec soin.

 

Victoire à la Pyrrhus

Le positionnement des Alliés internationaux contre l’exploitation minière au Salvador nous rappelle que pour El Salvador, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus, c.-à-d. très chèrement acquise, car certains impacts négatifs se font déjà ressentir et perdurent indépendamment de la sentence arbitrale. En effet, nous devons avant tout nous rappeler que pendant les 7 années du procès, le pays a investi plus de 12 millions de dollars USD pour se défendre, affectant des ressources économiques qu’il aurait pu utiliser pour résoudre des problèmes sociaux.

Mais il est encore plus important de se rappeler que l’arrivée de l’exploitation minière à Cabañas a entraîné un conflit au cours duquel les décès de 5 personnes de la communauté qui s’étaient opposées à cette activité ont été avérés ; outre les menaces et agressions diverses.

Enfin, le processus d’arbitrage a démontré à d’autres États que lorsqu’un gouvernement réglemente en faveur des intérêts ou de l’opinion de sa population, cela peut générer un coût économique élevé pour le pays. Ces conséquences et la possibilité d’être impliqués dans un processus d’arbitrage contre une entreprise pourrait les dissuader de prendre des mesures allant à l’encontre des intérêts des entreprises.

En dépit des impacts négatifs mentionnés ci-dessus, il convient également de citer que ces 7 années ont aussi permis de tirer certaines leçons positives.

La première est l’importance de l’organisation sociale à tous les niveaux (communautaire, nationale et internationale) pour influencer et assurer la protection de l’environnement et des ressources naturelles. En ce sens, El Salvador a su maintenir, pendant trois gouvernements, un moratoire sur l’extraction minière des métaux qui s’est révélé utile pour préserver les intérêts des citoyens, bien qu’il doive encore se concrétiser sous forme de loi.

La deuxième leçon concerne la façon dont divers mécanismes de protestation et d’exigibilité ont permis (conjugués à une clause d’ouverture) une plus grande participation à la procédure dans le chef des organisations et des personnes potentiellement affectées par l’entreprise.

En dernier lieu, la sentence positive donne l’espoir que l’on puisse parvenir à un jugement en faveur de l’État dans les affaires où l’entreprise n’aurait pas respecté les réglementations nationales.

Toutefois, un autre élément essentiel à garder à l’esprit lors de l’analyse de la sentence arbitrale et du bilan des résultats est le fossé qui sépare la réglementation et la protection des intérêts des entreprises et celles des citoyens. Autrement dit, le procès souligne l’immense différence entre les ressources dont disposent des entreprises comme Pacific Rim et Oceana Gold pour protéger leurs intérêts (et investissements) par rapport aux ressources limitées à disposition des citoyens, des victimes et autres victimes potentielles pour protéger leurs droits fondamentaux face aux activités commerciales.

En ce sens, il est frappant que l’entreprise ait pu lancer une procédure d’arbitrage, en dépit de ne pas avoir suivi les règlements de l’État ; en revanche, l’État a été menacé pour avoir voulu protéger ses ressources en eau au moyen de ce moratoire.

C’est précisément l’existence de ce fossé qui rend pertinentes les récentes discussions relatives à un traité international contraignant qui réglementerait la responsabilité des États (y compris les États d’origine) et des entreprises dans le domaine des droits de l’homme. À cet égard, les efforts déployés récemment lors de la seconde séance du Groupe intergouvernemental pour l’élaboration dudit instrument constituent une alternative pertinente à long terme. De la même manière, l’affaire souligne la raison pour laquelle le troisième pilier des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (celui qui traite de l’accès à des voies de recours) doit être développé afin de créer des mécanismes permettant l’accès à la justice.

En d’autres termes, l’affaire met en exergue l’urgence avec laquelle il convient de chercher des mécanismes pour protéger les droits de l’homme et renforcer cette protection. Autrement dit, créer des mécanismes judiciaires et extrajudiciaires qui promeuvent des conditions équitables.

Il ne fait aucun doute que l’affaire en question fait apparaître un certain nombre de réalités qui se doivent d’être considérées eu égard des droits de l’homme, des industries extractives et des procédures d’arbitrage. Par ailleurs, les enseignements tirés peuvent être utiles à d’autres États et organisations impliqués dans des affaires similaires ; en particulier si l’on prend en considération le fait que depuis 2013, le think tank Institute for Policy Studies, établi à Washington, a constaté une augmentation du nombre de procédures d’arbitrage en rapport avec les secteurs miniers et énergétiques à l’encontre de pays d’Amérique latine.

 

Cet article a été traduit de l'espagnol.