Comment arrêter le génocide en cours au Myanmar ?

À l’heure qu’il est, un génocide est en train d’être perpétré au Myanmar à l’insu d’une grande partie du reste du monde.

Le 9 octobre 2016, neuf policiers sont morts à l’issue d’attaques lancées par un groupe armé inconnu contre trois postes-frontière à l’ouest du Myanmar. Suite aux attaques, les forces armées gouvernementales du Myanmar se sont livrées à une offensive coordonnée contre la population civile, qui a inclus des exécutions de masse, des viols, des tortures et l’incendie de maisons et de récoltes.

En raison du verrouillage de toute la zone par les forces de sécurité, il est difficile de vérifier les violences signalées. Se basant sur des sources indépendantes, Voice of America a indiqué que le bilan provisoire pourrait s’élever à entre 150 et 300 morts.

Pour sa part, Human Rights Watch (HRW) a observé, en se basant sur des images satellites, que quelque 1250 maisons ou immeubles ont été détruits depuis le 18 novembre.

La campagne de répression des forces armées a contraint des milliers de personnes à abandonner leur foyer ; nombre d’entre elles ont tenté de rejoindre le Bangladesh en traversant le fleuve Naaf. Le gouvernement du Bangladesh a cependant annoncé qu’il refusait d’accepter plus de Rohingyas, invoquant le fait que le pays très peuplé avait déjà accueilli un demi-million de réfugiés rohingyas de la précédente vague de violence.

Les attaques contre la population rohingya au Myanmar ne sont pas un phénomène nouveau.

Les Rohingyas ont eu des rapports tendus avec l’État depuis l’accession à l’indépendance du Myanmar en 1948. Les Rohingyas constituent une minorité ethnolinguistique et religieuse au Myanmar. Ils sont des disciples de l’Islam sunnite dans un État à majorité bouddhiste. Le nord de l’État de Rakhine (Arakan de son ancien nom) où se concentre la majorité de la population rohingya se trouve aux confins de l’Asie du Sud-est et de l’Asie du Sud.

Le gouvernement du Myanmar maintient que les Rohingyas ont migré du Bangladesh voisin et refuse pour autant de leur accorder le droit de citoyenneté. Nonobstant, les Rohingyas peuvent retracer leurs origines dans l’État de Rakhine sur plusieurs centaines d’années. Avant sa conquête par la Birmanie en 1784, l’État de Rakhine constituait un royaume arakanais indépendant s’étendant du nord-ouest du Myanmar au sud-est du Bangladesh.

À l’intérieur d’une Birmanie (Myanmar) indépendante, les Rohingyas ont été la cible de persécutions généralisées en 1978, en 1991-92 et en 2012. Ceci en plus de la discrimination continue et du déni de droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne la liberté de mouvement, le droit à des moyens d’existence, à l’éducation, le droit de mettre au monde des enfants (une restriction à deux enfants par famille est imposée aux Rohingyas) et de nombreux autres aspects de la vie quotidienne.

Ainsi, beaucoup de Rohingyas ont été contraints d’abandonner leur foyer et d’entreprendre des voyages périlleux en quête d’un asile sûr. Les Rohingyas sont aujourd’hui établis en nombre considérable au Bangladesh, en Malaisie, en Arabie Saoudite, au Pakistan, en Inde, en Thaïlande et en Indonésie. Certains ont même réussi à atteindre l’Australie par bateau, mais beaucoup ont péri en route.

 

Des politiques gouvernementales génocidaires

Il reste néanmoins encore 1,1 million de Rohingyas au Myanmar que le gouvernement veut contraindre à partir. Une étude récente de l’Allard K. Lowenstein International Human Rights Clinic de la Faculté de droit de l’Université de Yale démontre comment les actions et l’inaction du gouvernement du Myanmar réunissent les critères du génocide, tel que défini aux termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Une autre étude de l’HRW en 2013 a trouvé des preuves concluantes de crimes contre l’humanité et d’épuration ethnique commis contre les Rohingyas par les autorités birmanes, les populations locales arakanaises et des bandes d’extrémistes bouddhistes. Le rapport attire l’attention sur un incident survenu le 23 octobre 2013 où au moins 70 Rohingyas ont été tués dans un massacre perpétré dans le village de Mrauk-U par des bandes arakanaises ; les forces de sécurité de l’État ont indirectement servi d’accessoire au massacre au lieu d’aider les personnes en danger.

Parmi les victimes se trouvaient 28 enfants qui ont été sauvagement massacrés, y compris 13 enfants de moins de cinq ans.

Selon un article de recherche publié dans le Pacific Rim Law & Policy Journal en 2014, un génocide serait en train de couver dans l’État de Rakhine. Des cinq actes de génocide mentionnés dans la Convention sur le génocide de 1948, quatre ont été commis au Myanmar contre les Rohingyas depuis 1978.

Et l’article de conclure : « Les pouvoirs birmans, s’entend à la fois la société bouddhiste et l’État bouddhiste, ont commis les quatre premiers actes, y compris assassinats et attaques physiques et psychologiques prémédités contre les victimes en tant que groupe, imposition au groupe de conditions de vie calculées de manière à entraîner la destruction physique totale ou partielle de ce dernier et prévention des naissances. »

À l’issue de plusieurs mois d’enquêtes menées sur place dans l’État de Rakhine l’année dernière, les chercheurs de l’International State Crime Initiative (ISCI) à la Queen Mary University of London School of Law ont, eux aussi, conclu que « Les politiques du gouvernement du Myanmar sont génocidaires ».

Il ne fait pas de doute qu’un génocide est en train d’être commis contre la population rohingya au Myanmar. L’État a non seulement manqué à son devoir de protéger mais, dans certains cas, est allé jusqu’à participer aux atrocités. Cela n’a pourtant pas empêché des États puissants et des grandes entreprises multinationales de resserrer leurs liens commerciaux avec le Myanmar.

La Conseillère spéciale de l’État du Myanmar et lauréate du Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi a clairement manqué de mettre un terme à la destruction en masse d’un peuple et de prendre la moindre mesure contre les forces de sécurité.

 

Communauté internationale

La communauté internationale a peu fait pour mettre un terme à la souffrance des Rohingyas. Elle a critiqué le Myanmar pour ses violations des droits humains et demandé l’ouverture d’une enquête indépendante. Il semble, cependant, pour le moins ingénu de demander aux autorités d’enquêter sur des crimes qu’elles-mêmes soutiennent ou perpètrent.

Autrefois, il arrivait que les Rohingyas prennent les armes pour résoudre leurs problèmes. Mais la « Guerre contre la terreur » lancée au lendemain des attentats du 11 septembre a fait des guérillas armées musulmanes des terroristes aux yeux des médias internationaux et de l’occident. Conséquemment, il n’existe plus à l’heure actuelle de mouvement de résistance fort au sein de la population rohingya.

Pendant ce temps, les pays voisins du Myanmar et les puissances régionales comme la Chine et l’Inde s’affairent à assurer leur part du marché encore inexploité du pays.

L’ONU et les organisations des droits humains braquent l’attention sur l’aspect humanitaire du problème : Elles en appellent instamment au gouvernement bangladeshi à offrir un refuge aux Rohingyas en fuite. Ces organisations manquent cependant généralement d’une voix forte qui leur permette de répondre à la violence qui sévit dans l’État de Rakhine.

Le Myanmar ne tiendra pas compte des appels des organisations des droits de l’homme si ces appels ne sont pas étayés par une capacité coercitive crédible.

Les acteurs régionaux et mondiaux ne sont pas suffisamment sincères que pour engager un dialogue ferme avec le Myanmar. La seule solution crédible à présent pourrait se trouver entre les mains des citoyens et de leur capacité à faire pression sur leurs gouvernements en vue de l’adoption de mesures immédiates et sérieuses.

 

Article initialement publié dans openDemocracy.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.