2021 : nouvelle année, nouvelles règles contre les minerais de conflits dans l’UE

Si la nouvelle n’a pas fait la une des journaux, ce 1er janvier marquait pourtant l’aboutissement d’un long combat de la société civile avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation européenne sur l’approvisionnement responsable en minerais. Depuis cette date, les entreprises importatrices de minerais de l’Union européenne sont officiellement tenues de remplir leur devoir de vigilance. Mais qu’est-ce que cela implique concrètement ? Et qu’est-ce que cela va changer véritablement en Europe et dans les zones de conflit ?

Réclamé depuis de nombreuses années par la société civile et le Parlement européen qui ont régulièrement mis en lumière l’absence d’obligation pour les entreprises européennes de vérifier d’où proviennent les minerais qu’elles achètent, ce règlement a finalement été adopté en 2017.

Il s’inspire de législations et de recommandations déjà existantes depuis 2010 aux États-Unis (cf. le titre XV du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Act) et pour les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il vise à mieux encadrer l’importation de quatre minerais précis sur le sol européen : l’étain, le tantale, le tungstène et l’or (aussi surnommés les « 3TG » d’après leur nom anglais). Ces quatre minerais (ou métaux selon leur composition) sont particulièrement ciblés, car dans certains pays leur exploitation contribue à financer des groupes armés ou engendre des violations des droits humains, y compris des droits du travail. On les retrouve pourtant dans de nombreux produits de consommation quotidienne, notamment dans l’électronique.

Concrètement, depuis le 1er janvier, les entreprises important dans l’UE une certaine quantité de l’un de ces quatre minerais doivent désormais exercer leur « devoir de vigilance », c’est-à-dire qu’elles doivent constamment, de manière proactive et réactive, vérifier et gérer leurs achats et ventes afin de garantir que ceux-ci ne contribuent pas à financer ou alimenter des conflits armés ni d’autres activités illégales.

Ce devoir concerne surtout l’approvisionnement à partir de « zones de conflit ou à haut risque ». On entend par là les zones fragilisées par un conflit armé, actuel ou récent, celles souffrant d’une gouvernance ou d’une sécurité déficientes, voire inexistantes, ou de violations courantes et systématiques du droit international, y compris des droits humains. Elles ne sont théoriquement pas limitées à un continent ou une région géographique particulière. Une liste indicative et non exhaustive publiée par la Commission européenne répertorie actuellement 27 pays, dont par exemple sans surprise la République démocratique du Congo, la Colombie et l’Afghanistan. Cette liste réalisée par un bureau de recherche devrait être actualisée tous les trimestres.

Des règles importantes mais insuffisantes

Si les objectifs poursuivis sont tout à fait louables, d’aucuns peuvent toutefois se demander si le contenu de la loi est à la hauteur de l’ambition affichée par l’UE, voire si elle est réellement en mesure de changer durablement la donne. En effet, bien que l’adoption de la législation ait été saluée par la société civile, de nombreuses organisations la trouvent toujours trop faible.

Le champ d’application par exemple est trop restreint. Il n’impose des obligations strictes qu’aux acteurs situés en bas de la chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire ceux qui extraient, transforment et affinent des matières premières ou ceux qui importent des produits au stade de métaux. Les entreprises qui importent des produits au-delà de ce stade, c’est-à-dire sous forme de produit fini, comme la grande majorité des entreprises européennes, n’ont en revanche pas à s’acquitter des obligations du règlement. Elles sont simplement encouragées à le faire, comme c’est déjà le cas à travers les règles volontaires existantes depuis plusieurs années mais qui se sont jusqu’à présent avérées inefficaces. Même la Commission européenne le reconnaît aujourd’hui suite à la publication en 2020 d’une étude sur le sujet. La chaîne de responsabilité qui permettrait de garantir aux consommateurs que le téléphone qu’ils ont entre leurs mains est le fruit d’un approvisionnement responsable n’est ainsi que partielle et donc inefficace.

D’ailleurs, il est important de rappeler que lors des consultations et négociations du texte de loi, même les organisations représentant les investisseurs avaient préconisé des obligations contraignantes pour toutes les entreprises.

En définitive, le règlement aura certainement peu d’implications pour les entreprises implantées dans l’UE. Au contraire, la charge de la traçabilité continuera de reposer essentiellement sur le bas de la chaîne, c’est-à-dire sur les entreprises extractives, les creuseurs artisanaux, les négociants de matières premières, les fonderies et les affineries. Le règlement pourrait ainsi avoir pour effet secondaire d’encourager les entreprises à ne plus s’approvisionner auprès des creuseurs artisanaux qui rencontrent de plus grandes difficultés à se conformer aux exigences de la législation, mais uniquement auprès de grandes entreprises (par exemple chinoises). Ceci aurait des conséquences désastreuses pour les personnes qui dépendent de ce revenu essentiel. Compte tenu de l’informalité du secteur, il est très difficile d’avoir les chiffres exacts, mais en RD Congo par exemple, le secteur minier artisanal compterait pas moins de 2 millions de travailleurs et travailleuses qui feraient vivre directement ou indirectement 10 à 20% de la population congolaise.

Comme le disait en 2017 Marie Arena, députée européenne et porte-parole S&D, « nous avons franchi une étape nécessaire qui va dans le bon sens. Cependant il reste encore beaucoup à faire, notamment en matière de mesures d’accompagnement pour aider les petites entreprises à se conformer à la régulation mais aussi des mesures pour aider les pays d’origine à assurer une traçabilité, ce qui passe par l’appui aux mineurs artisanaux locaux et l’amélioration de leurs conditions de travail. »

Pour cela, les syndicats ont bien entendu un rôle majeur à jouer. Selon le Président du Comité provincial mines de Kolwezi en République démocratique du Congo, « les creuseurs rencontrent beaucoup de problèmes. À Mutoshi par exemple, ils n’ont pas de site minier approprié alors que le gouvernement provincial devait leur en allouer un pour qu’ils puissent s’y retrouver dans leur vie quotidienne. » La Confédération syndicale du Congo soutient les travailleurs, les représente à tous les niveaux et cherchent des solutions avec le gouvernement et les entreprises. « En tant que syndicat il y a en effet un grand travail à faire pour faire entendre leurs doléances. »

Enfin, d’autres éléments techniques tels que des seuils d’importation, la certification de certains mécanismes de devoir de diligence raisonnable et une liste blanche des fonderies et affineries internationales responsables risquent de limiter encore davantage les effets de la loi. L’impact positif réel pour les populations affectées par les conflits pourrait donc s’avérer minime. Aux yeux de la société civile, en cédant une fois de plus au lobby des associations d’industries européennes, l’Union européenne a raté une occasion de s’engager véritablement en faveur des droits humains.

Et après ?

Le rapport qui sera remis chaque année par les États membres à la Commission européenne devrait permettre d’en savoir plus sur la mise en œuvre effective du règlement et des contrôles réalisés lorsque des risques auront été identifiés ou portés à la connaissance des autorités compétentes. Pour cela, il est indispensable que les organisations de la société civile, telles que les syndicats et les ONG, poursuivent leur travail de veille, mais aussi de sensibilisation des travailleurs qui méconnaissent ou se méfient des règles internationales.

Comme le souligne Jan Franco, Secrétaire International de la centrale CSC BIE en Belgique, « des années de coopération avec les syndicats des pays producteurs, principalement en Afrique, nous ont appris que l’un des plus grands problèmes est la méfiance des mineurs informels à l’égard du contrôle et de la réglementation. Les syndicalistes, les représentants des ONG et les services d’inspection représentent en effet pour eux une menace directe pour les activités minières et les revenus générés dont ils dépendent ainsi que leurs familles. Une partie de la solution réside dans le renforcement de capacités des syndicats et des mouvements sociaux à formaliser le travail autant que possible et à prendre des mesures, avec les mineurs, en vue d’un travail digne avec un salaire décent et une protection sociale adéquate. Sans une appropriation, par le biais de conventions collectives contraignantes et applicables, la méfiance des travailleurs informels ne disparaîtra pas et le contrôle restera minime dans la pratique. »

En outre, l’évaluation indépendante qui doit avoir lieu au plus tard en 2023, puis tous les trois ans, devrait permettre d’analyser l’efficacité réelle du règlement ainsi que ses effets sur le terrain. Si elle est jugée insuffisante, la Commission européenne pourra dès lors faire de nouvelles propositions législatives, y compris contraignantes. Ceci est vivement souhaitable. Face aux violations régulières, au difficile, voire impossible, accès à la justice des personnes affectées par les activités minières et à l’impunité des entreprises, le besoin de règles efficaces se fait en effet de plus en plus ressentir. La société civile internationale se mobilise et doit continuer à le faire pour que les entreprises respectent les droits humains, y compris les droits du travail et les droits syndicaux, et l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur mondiales.

This article has been translated from French.