À l’école des boxeurs : les enfants du muay-thaï

À l'école des boxeurs : les enfants du muay-thaï
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Le muay-thaï (boxe thaï) est le sport de contact le plus populaire de Thaïlande, et un des piliers de la culture du pays, à tel point que le gouvernement thaïlandais demande depuis des années qu’il devienne une discipline olympique, en vain. L’attrait que suscite ce sport de combat si exigeant pour les sportifs, et si dangereux sur le ring, ne cesse de croître – tout comme les dilemmes moraux associés à la pratique de ce sport : mi-novembre 2018, Anucha Tasako, un adolescent de 13 ans, est mort à la suite d’une hémorragie cérébrale sur un ring de la banlieue de Bangkok.

En 2003, le gouvernement thaïlandais avait adopté une loi interdisant à un mineur de risquer sa santé du fait de la pratique d’un sport. Malgré cela, tous les week-ends, plusieurs centaines de jeunes garçons et filles combattent de manière professionnelle devant des gradins surpeuplés. Selon les estimations, la Thaïlande compte environ 200.000 mineurs qui pratiquent la boxe thaï. Sur le ring ce sont de véritables boxeurs : ils reçoivent une récompense financière et leurs combats donnent lieu à des paris illégaux sur leurs victoires ou leurs défaites.

 

Nik Phochamrean, neuf ans, fait des exercices à côté de ses frères dans une modeste salle de sport de la banlieue de Bangkok. Les enfants s’entraînent deux heures par jour, six jours par semaine. Quartier de Thai Sai, dans le district de Muang, dans la province de Samutsakhom, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

Tous les ans, plusieurs milliers d’étrangers viennent en Thaïlande pour apprendre à maîtriser l’art des « huit membres » (deux poings, deux coudes, deux genoux et deux pieds). Au niveau local, les boxeurs professionnels sont considérés comme des superstars, et ils empochent des fortunes colossales. Il existe même des bourses universitaires pour les étudiants qui manifestent des capacités pour la boxe thaï. La majeure partie des jeunes Thaïlandais, garçons et filles, rêvent de devenir un jour comme leurs idoles.

 

Nik (à droite) et Noey Phochamrean (à gauche), respectivement âgés de sept et neuf ans, font des exercices de renforcement à l’aide de poids, sous le regard d’un de leurs entraîneurs. D’après les estimations, près de 200.000 mineurs pratiquent le muay-thaï en Thaïlande, très souvent de manière professionnelle. Quartier de Thai Sai Samutsakhom, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

« Si un enfant de sept ans combat avec les mêmes règles et les mêmes récompenses qu’un adulte qui pèse 50 kg de plus que lui, cela signifie que notre société a un problème, » déclare le pédiatre Adisak Plitponkarnpim, directeur du Centre de promotion de la sécurité et de la prévention des blessures des mineurs, à l’hôpital de Ramathibodi (Bangkok).

Il y a 15 ans, ce médecin a présenté au gouvernement thaïlandais une étude sur les lésions typiques des boxeurs. « Nous avons démontré les dommages cérébraux sur les boxeurs adultes, alors quelles séquelles aura un enfant de sept ans quand il atteindra l’âge de douze ans et qu’il sera en pleine croissance ? » se demande Adisak Plitponkarnpim. Toutefois, le gouvernement thaïlandais n’a prêté aucune attention à ce rapport et a rejeté tout changement de la législation, faute d’éléments négatifs probants pour la santé des enfants boxeurs.

 

Un élève de la salle de sport gérée par Manonut Bonnak, dans la banlieue de Bangkok, se repose après les exercices d’échauffement précédant l’entraînement. Manonut Bonnak explique qu’il y a plusieurs mois, avant de commencer à combattre, le jeune garçon souffrait de crises d’épilepsie. « Aujourd’hui, il est parfaitement guéri, » signale l’entraîneur. Quartier de Thai Sai, dans le district de Muang, dans la province de Samutsakhom, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

C’est à ce moment-là que le pédiatre a décidé de réaliser sa propre étude pour démontrer les dommages cérébraux des enfants qui participent à des combats de boxe thaï. En 2009, Adisak Plitponkarnpim a observé 50 enfants qui pratiquaient le muay-thaï et il a constaté que les enfants recevaient au moins 20 coups à la tête à chaque combat.

L’étape suivante consistait à comparer le scanner du cerveau de 250 enfants, boxeurs et non boxeurs. Pendant cinq ans, une équipe de psychologues, de neurologues et de pédiatres ont obtenu les preuves scientifiques qui corroboraient la thèse d’Adisak Plitponkarnpim : les enfants boxeurs manifestaient des troubles au niveau d’une partie du système nerveux central composé de fibres nerveuses, et des altérations de la mémoire et du coefficient intellectuel ont été relevées. « Si nous observons ce phénomène sur une période de quelques années, » s’interroge le pédiatre thaïlandais, « quelles seront les conséquences pour ces enfants quand ils seront adultes ? »

 

Thepsal Malingram, 14 ans, reçoit un coup direct à la tête porté par son adversaire, âgé de quatre ans de plus que lui, avant de perdre connaissance. Les études médicales récemment effectuées ont révélé qu’il se produisait des pertes de mémoire et d’autres dysfonctionnements du cerveau chez les mineurs qui combattent comme des professionnels. Centre financier de Bangkok, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

Quelques minutes avant de s’évanouir, Thepsal Malingram épuisait ses dernières forces pour essayer de donner des coups de pied dans la tête de son adversaire. Il savait que seule sa taille pouvait lui permettre de gagner face à un rival de quatre ans son aîné, mais au deuxième round son corps était déjà meurtri et il avait commencé à faiblir. À chaque coup que recevait Thepsal, plusieurs centaines d’hommes criaient d’excitation dans les gradins. De nombreux spectateurs brandissaient les papiers de leurs paris. Un coup violent à la poitrine a eu raison du boxeur et l’arbitre a annoncé la fin du combat.

 

Public majoritairement masculin lors d’un combat organisé dans un studio de Canal 7, au centre de Bangkok. Les spectateurs se couvrent la bouche avec des papiers et utilisent des écouteurs branchés à leur téléphone portable pour faire des paris entre eux. Centre financier de Bangkok, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

Thepsal Malingram est âgé de 14 ans et ce n’est pas son premier combat. Il y a moins d’une heure, dans le vestiaire, alors qu’on enduisait son corps d’huile de massage, le jeune garçon s’exprimait de manière courageuse mais, en réalité, ses paroles dissimulaient l’intuition de la défaite : « Je n’ai pas peur de monter sur le ring, mais je suis terrorisé à l’idée de perdre. »

Il y a plus d’une décennie, une tentative d’interdire les combats de boxe entre mineurs avait vu le jour en Thaïlande, mais elle n’a pas abouti. La seule condition prévue par la loi actuelle est le consentement paternel pour les jeunes de moins de 15 ans (qui peut être délégué à l’entraîneur) et l’utilisation de protections, mais sans préciser sous quelle forme. Aussi bien les pères de famille que les organisateurs des combats se sont opposés à cette loi, expliquant qu’il y avait en Thaïlande plusieurs milliers de familles qui avaient besoin des revenus issus des combats de boxe des enfants. D’après diverses études, réalisées par le ministère du Travail des États-Unis, par le Bureau national de la jeunesse et par l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de la moitié des enfants combattent pour contribuer à l’économie domestique.

 

Le père de Thepsal Malingram, qui est aussi son entraîneur, console son fils après sa défaite sur le ring dans le studio de Canal 7 où, chaque samedi, sont organisés des combats de boxe professionnelle avec des mineurs. Maintenant, sept heures de voiture les attendent pour rentrer dans leur village, dans le nord du pays. Centre financier de Bangkok, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

Le docteur Adisak Plitponkarnpim reconnaît que la majeure partie de la communauté médicale ne soutient pas son travail de recherche. « La plupart des médecins du sport entretiennent des liens étroits avec le muay-thaï et ils ne veulent pas entendre parler de réglementation, » déplore-t-il. Actuellement, avec son équipe, il essaie de promouvoir une loi qui réglemente la boxe thaï pour les enfants. Sa proposition est simple : « Les enfants de moins de 10 ans devraient combattre sans aucun type de contact. » Le sport ressemblerait ainsi davantage à une danse, qui existe d’ailleurs déjà sous le nom de nata muay-thaï.

 

Un mineur entouré de ses entraîneurs et de son manager, est massé avec des huiles spéciales qui, selon la tradition, atténuent les inflammations dues aux coups reçus pendant les combats. Centre financier de Bangkok, Thaïlande.

Photo: Guillem Sartorio

« Nous aimons le muay-thaï, il fait partie de notre culture, » précise Adisak Plitponkarnpim, « et s’il n’est pas possible d’éviter les dommages provoqués par la boxe, en revanche nous pouvons décider quelles limites imposer pour que ce sport ne porte pas préjudice aux plus jeunes. » La loi que défend ce pédiatre n’a pas encore été approuvée par la junte militaire thaïlandaise. « Nous avons bon espoir, les militaires seront peut-être plus efficaces que les responsables politiques. »

Cet article a été traduit de l'espagnol.