À Rio de Janeiro, rien ne va plus dans les hôpitaux publics

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Services des urgences fermés ou réservés aux cas graves, manque chronique de médicaments, transplantations reportées, salaires payés en retard… à Rio de Janeiro, la fin de l’année 2015 s’est terminée dans des conditions dramatiques pour de nombreux patients et personnels hospitaliers.

L’année dernière, Rio de Janeiro a même enregistré son plus fort taux de mortalité au sein de ses unités publiques de soins depuis 30 ans. Des patients racontent avoir passé plusieurs jours à attendre un lit ou une consultation.

Le syndicat des médecins Sindicato dos Medicos (SinMed) a porté l’affaire devant la justice pour dénoncer les « failles de responsabilités » de Luiz Fernando Pezão, le gouverneur de l’État de Rio de Janeiro.

Le 23 décembre 2015, ce dernier a déclaré un « état d’urgence » afin de faire appel à l’aide du gouvernement fédéral et de réussir à obtenir des prêts pour financer la réouverture des services en grave difficulté. Une première enveloppe de 389 millions de réals (96 millions USD) a été concédée dans les jours suivants.

Mais le secteur accuse des arriérés de paiements à ses fournisseurs et sous-traitants qui s’élèveraient, selon les autorités, à 1,4 milliard de réals (347 millions USD).

À peine un mois après, fin janvier, le Brésil se retrouve à faire face à l’épidémie de virus Zika : les unités de santé locales, déjà surchargées, doivent maintenant gérer un nouvel afflux de personnes.

1500 cas d’infections par le virus transmis par les moustiques ont été comptabilisés dans la région depuis le début de l’année.

 

Chute des ressources publiques et mauvaise gestion

Dans l’histoire récente du Brésil, aucun des 27 États brésiliens ne s’était retrouvé dans une telle situation financière, bien que le secteur public de santé éprouve à travers tout le pays de nombreuses difficultés chroniques.

Deux systèmes de santé cohabitent : le secteur public, gratuit et universel, appelé SUS (Sistema unico de saúde, inspiré de la sécurité sociale à la française) et le secteur privé, financé par de coûteux plans de santé – 20 % de la population y adhère pour s’assurer une prise en charge plus rapide.

Au Brésil, le financement public de la santé reste relativement bas : seulement 4 % du PIB contre 11 % du PIB en France. Tous les organes du pouvoir (État fédéral, États fédérés, districts et municipalités) participent au budget du système de santé.

Cependant, ce sont les gouvernements des États qui sont généralement les plus gros contributeurs.

Comment l’État de Rio de Janeiro, qui compte 15 millions d’habitants, est-il arrivé à un tel niveau d’incurie et de dysfonctionnement ? L’une des raisons invoquées par le gouverneur Pezão est la baisse des ressources de l’État provenant de la rente pétrolière. En effet, la chute du prix du baril et les difficultés de l’entreprise Petrobras, le géant brésilien du secteur empêtré dans un immense scandale de corruption, ont eu pour effet collatéral d’affecter le budget de cet État.

En seulement une année, les ressources fiscales, notamment l’équivalent de la TVA, auraient chuté de 14 %.

Mais la situation chaotique des finances de l’État de Rio n’a pas seulement une cause conjoncturelle. « La chute des ressources fiscales ne peut justifier la faillite totale du système géré par le gouvernement local. Je constate que qualifier la situation de « crise » n’aide pas à régler la question à Rio de Janeiro, car cela n’entraîne que des solutions d’urgence qui ne visent qu’à éteindre l’incendie », constate Ligia Bahia, spécialiste du système public de santé et professeure à l’université fédérale de Rio de Janeiro.

Les problèmes existent en effet depuis plusieurs décennies et l’État figure régulièrement en queue de classement sur la qualité de son système d’assistance médicale. Les spécialistes pointent d’autres facteurs, tels qu’une mauvaise gestion, entachée d’affaires de corruption.

Ainsi, la presse révélait, début mars, que 1000 tonnes de médicaments périmés, achetés par le Secrétariat d’État à la santé, ont dû être ou devront être incinérées, alors même que de nombreuses unités de soins manquent cruellement de médicaments.
Comme si le coût de la gabegie ne suffisait pas, à cela s’ajoute pour l’État le coût de l’incinération estimé à plusieurs millions de réals.

L’argent public est également régulièrement détourné. Dernier exemple en date fin février, lorsque la justice a mis au jour un réseau de fausses facturations de soins qui profitait à des politiciens locaux de São Gonçalo, deuxième ville de l’État après Rio.

Les syndicats dénoncent également l’absence d’un fonds de garantie, alimenté par les royalties du pétrole, qui aurait pu éviter la paralysie du système, comme cela existe dans d’autres pays.

Le recours de plus en plus fréquent à des sociétés de gestion privée pour administrer le réseau d’hôpitaux publics est aussi dénoncé pour son coût et son manque d’efficacité. L’une des mesures d’économie envisagées est d’ailleurs la révision des contrats avec ces opérateurs.

 

Inquiétudes pour la population et pour les Jeux olympiques

« La situation devient criminelle », affirme Jorge Darze, président du Sindicato dos medicos de Rio de Janeiro. « Si aujourd’hui il est déjà difficile de soigner la population de Rio, comment ça sera lorsqu’il faudra faire face à l’arrivée des touristes qui viendront assister aux jeux ? », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse en janvier.

En effet près de 600.000 visiteurs nationaux et internationaux sont attendus au mois d’août dans la ville-hôte de l’édition 2016.

Depuis 2015, le Brésil est entré en récession, obligeant le gouvernement fédéral à procéder à des coupes budgétaires.

Ainsi, 13 organismes nationaux du secteur de la santé viennent de dénoncer les coupes réalisées en 2014 et en 2015 dans le programme de combat contre le moustique-tigre, responsable de la transmission du virus Zika, mais aussi de la dengue et du chikungunya.

Dans le même temps, les cas d’infection par la dengue et le Zika ont explosé.

À l’approche des JO, et malgré le lancement d’une nouvelle campagne de sensibilisation, les autorités tentent de rassurer la communauté internationale de façon dérisoire en insistant sur le fait que l’évènement se déroulera durant l’hiver austral, et que les moustiques seront naturellement moins présents.

La mesure d’état d’urgence doit durer 6 mois. Il reste donc au gouvernement jusqu’à la fin juin pour tenter de mettre de l’ordre dans le système et de lancer un chantier de mesures durables pour éviter de nouvelles crises.