Alors que le Royaume-Uni s’apprête à accueillir la COP26, certains pays industrialisés répriment les manifestations pour l’environnement

Alors que le Royaume-Uni s'apprête à accueillir la COP26, certains pays industrialisés répriment les manifestations pour l'environnement

Police stand around a demonstrator blocking a road during an Extinction Rebellion climate change protest in Parliament Square, London, on 1 September 2020.

(AP/Matt Dunham)

Nicholas Sheldrick n’avait jamais manifesté de sa vie, pas plus qu’il ne se qualifiait d’écologiste, jusqu’à ce jour de 2011 où il a senti les vibrations d’un tremblement de terre provoqué par la fracturation hydraulique, ce procédé controversé utilisé pour extraire le gaz de schiste. Il a alors commencé à s’intéresser aux conséquences de cette méthode et à la pollution de l’eau due aux substances chimiques toxiques qu’elle emploie. Il a lu des études évaluées par des pairs qui établissaient un lien entre l’expansion de la fracturation aux États-Unis et les énormes émissions de méthane. Quelques années plus tard, il s’est finalement résolu à rejoindre le mouvement contre la fracturation hydraulique.

Nicholas Sheldrick habite à côté de Preston New Road (PNR), juste à côté de la ville côtière britannique de Blackpool, qui est devenue en 2016 l’épicentre du mouvement de contestation pour le climat au Royaume-Uni, lorsque le gouvernement du pays a rejeté la décision des autorités locales de ne pas autoriser Cuadrilla, la plus grande entreprise britannique de fracturation hydraulique, à lancer l’exploration et la fracturation à Preston New Road et, non loin de là, à Roseacre Wood.

Le 3 juillet 2017, il a participé à sa première manifestation sur le site exploité par Cuadrilla. « Nous sommes allés devant les barrières à trois heures du matin pour prendre les agents de sécurité au dépourvu. Je suis sorti de mon fauteuil roulant pour m’allonger par terre et nous sommes restés là », se souvient-il. Il faisait partie d’un groupe de 13 manifestants qui ont bloqué l’entrée du site jusqu’à 19h00 le même jour.

« Je voulais montrer aux autres résidents locaux que, si je pouvais bloquer cet endroit, nous pouvions le faire ensemble. »

Cet ancien officier de la marine marchande, a bloqué deux fois l’entrée de l’entreprise, en dépit des violences physiques et verbales de la police, suite auxquelles il a reçu 25.000 livres d’indemnisation. Ses protestations, et celles d’autres personnes, ont largement contribué à la pression publique qui a abouti à un moratoire sur la fracturation imposé en 2019 par le gouvernement britannique.

Le mouvement d’opposition à la fracturation est un exemple manifeste du pouvoir de la protestation dans le contexte de l’urgence climatique. D’une part, les écologistes de l’hémisphère sud – en particulier en Amérique latine – sont de plus en plus exposés à des risques mortels et, d’autre part, un nombre croissant de pays industrialisés qui portent, historiquement, la plus lourde responsabilité de l’urgence climatique actuelle, voient leur liberté de réunion et leur droit de manifester sévèrement menacés. C’est notamment le cas du Royaume-Uni, où des négociations fondamentales sur le climat se tiendront du 31 octobre au 12 novembre, à Glasgow.

En avril, plus de 400 universitaires spécialistes du climat ont signé une lettre ouverte exhortant les gouvernements à « cesser de criminaliser les manifestations non violentes pour le climat », après avoir constaté que les personnes « qui s’expriment avec leur voix et leur corps pour tirer la sonnette d’alarme… sont menacés et muselés par les pays mêmes qu’ils cherchent à protéger. »

Julia Steinberger, autrice principale du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies (GIEC) et professeure d’économie écologique à l’université de Lausanne, en Suisse, fait partie des signataires de la lettre. Elle confie à Equal Times : « Nous avons écrit cette lettre ouverte parce qu’initialement, les gouvernements n’ont pris aucune mesure pour le climat, en disant que cela n’intéressait personne. Aujourd’hui, c’est le monde entier qui est préoccupé et des millions de jeunes descendent dans les rues. Et en réponse, nous n’obtenons que des mesures superficielles pour le climat, et la criminalisation de la contestation. Les gouvernements se rangent clairement du côté des combustibles fossiles contre les populations. »

Elle ajoute que « 2018 a été une année charnière qui a renforcé le mouvement mondial pour le climat, depuis la réserve indienne de Standing Rock jusqu’aux manifestations étudiantes, et du rapport spécial du GIEC sur la hausse de 1,5 degré aux premières manifestations d’Extinction Rebellion (XR). Or, à mesure que les mouvements populaires deviennent plus visibles, les réactions hostiles s’amplifient. »

« Il ne nous reste que deux ou trois ans pour changer les choses »

De plus en plus d’études et la preuve irréfutable de l’augmentation de phénomènes climatiques extrêmement graves d’année en année ont contribué à attirer l’attention du monde entier sur l’urgence climatique, mais c’est la désobéissance civile et le militantisme citoyen qui ont joué un rôle essentiel pour imposer le changement politique et social nécessaire de toute urgence dans le but d’empêcher un dérèglement climatique total. C’est dans ce contexte que, le 9 août 2021, le GIEC a commencé à dévoiler les résultats de sa sixième série de rapports, et que le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a annoncé qu’il s’agissait d’une « alerte rouge pour l’humanité. »

Malgré cet appel, les autorités prennent pour cibles les écologistes non violents, comme si l’on assistait à une résurgence mondiale du « Green Scare » (la « peur des Verts ») du début des années 1990, lorsque des groupes d’écologistes radicaux américains étaient qualifiés de « terroristes nationaux » – et traités comme tels. Nous en avons vu un exemple juste avant le Sommet de Paris sur le climat en 2015, quand des militants français pour le climat ont été arrêtés à titre préventif à l’appui de lois contre le terrorisme.

Depuis 2016, au moins 18 États américains ont recouru à la législation sur la sécurité nationale utilisée depuis les attentats du 11 septembre pour réprimer des manifestations pacifiques pour le climat.

En Australie, l’État adopte une ligne de conduite ferme à l’égard des manifestants pour l’environnement sous la forme d’amendes pour « violation de propriété », voire des peines de prison pour « blocage. » Et même le Conseil de l’Europe implore la fin de l’escalade en ce qui concerne la répression des États contre les manifestations pour le climat : « inversons la tendance et faisons de l’Europe un lieu sûr pour le militantisme écologiste. »

Au Royaume-Uni, où se tiendra la COP26 à la fin de l’année, le gouvernement conservateur cherche actuellement à faire passer un projet de loi radical sur la police, les délits, les condamnations et les tribunaux, que l’ONG de défense des droits humains Liberty décrit comme « une des pires menaces aux droits humains et aux libertés civiles de l’histoire britannique récente. » Non seulement ce projet de loi confère à l’État de nouveaux pouvoirs très étendus pour limiter le droit de manifester et la liberté de réunion, en criminalisant les manifestations « bruyantes » mais, en outre, il donne à la police davantage de pouvoirs pour arrêter les personnes dans le cadre de manifestations non violentes, ce qui risque d’avoir des conséquences disproportionnées sur les communautés de Tziganes, de Roms et de gens du voyage, du fait du recours à la « violation de propriété. »

L’association Les Amis de la Terre craint que ce texte réduise au silence et criminalise les actions directes qu’elle mène depuis plusieurs décennies : « L’avenir de la planète et de l’humanité repose sur des manifestations pacifiques », a-t-elle déclaré en mars dernier.

Au Royaume-Uni, un des principaux champs de bataille de l’action climatique à l’heure actuelle est la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse, dénommée High Speed 2 (HS2), dont le budget s’élève à 100 milliards de livres (117 milliards d’euros). Selon le gouvernement, cette ligne de chemin de fer s’inscrit dans les projets indispensables du pays pour atteindre zéro émission nette d’ici à 2050, mais les défenseurs de l’environnement affirment que ce chantier menace l’existence de forêts ancestrales et qu’il provoquera des dégâts irréparables sur la faune et la flore sauvages. La construction de la HS2, qui a commencé l’an dernier, a donné lieu dès le début à une action directe sans relâche et, d’après le journal britannique The Guardian, en juin 2021 la police avait arrêté plus de 300 personnes, avec neuf poursuites pénales à la clé.

Le grand centre de transports d’Euston, au cœur de Londres, fut l’un des points centraux des manifestations, où les militants ont creusé des tunnels pour empêcher la construction des nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse. Larch Maxey, militant pour le climat et ancien conférencier en géographie à l’université de Swansea, a vécu pratiquement un mois sous terre dans un tunnel du quartier d’Euston, début 2021.

« La police a toujours été manipulatrice et répressive pendant les manifestations », précise Larch Maxey, en citant l’exemple d’agents de police en civil qui infiltrent des groupes de militants pacifiques depuis de nombreuses années.

« Mais ce que nous voyons maintenant, c’est une police manifestement à la solde de la HS2 », ajoute-t-il, faisant allusion à « l’Accord renforcé sur le service de police » signé par la police britannique des transports et l’entreprise HS2 Ltd, dans le cadre duquel HS2 rémunère trois agents de police supplémentaires.

Larch Maxey a été universitaire pendant 25 ans. « Je ne suis plus en mesure de justifier nos recherches ni d’enseigner qu’il faut provoquer le changement alors que l’ancien scientifique en chef du Royaume-Uni, Sir David King, affirme qu’il ne nous reste plus que deux ou trois ans pour changer les choses. Nous avons besoin de désobéissance civile et d’actions directes organisées au sein d’un mouvement collectif », soutient-il. D’après lui, les climatologues ont trop tardé à expliquer la catastrophe grandissante.

En revanche, Julia Steinberger rappelle que les physiciens, y compris ses propres parents, ont adopté une position décisive contre les armes nucléaires à partir des années 1950. En ce qui concerne la relative réticence de certains climatologues à en faire autant pour le changement climatique jusqu’à présent, elle suggère que « les gens ont cru que les solutions technocratiques fonctionneraient lorsque la crise est devenue plus palpable… Certaines parties de la communauté climatique, en particulier les grands scientifiques, ne veulent pas perdre le contrôle du discours adressé à la population. »

COP : de Charybde en Scylla

Avec des températures mondiales qui s’élèvent déjà à 1,2°C au-dessus des niveaux préindustriels, les scientifiques maintiennent dans leur lettre ouverte d’avril que le sommet sur le climat de cette année, qui a été reporté, marque une « étape capitale pour la gouvernance climatique. »

Dans ce contexte, la répression que le Royaume-Uni exerce contre les manifestations est d’autant plus significative. « La société civile joue un rôle crucial en attirant l’attention sur les manigances en cours, mais les négociateurs iront assister à ces sommets avec les instructions communiquées par leur gouvernement. C’est ce qui se passe avant qui est important », souligne Julia Steinberger.

Si les citoyens ne peuvent pas organiser d’actions de désobéissance civile avant le sommet, telles que des manifestations, pour interpeller les médias et le grand public, les responsables politiques ne ressentiront probablement pas la pression nécessaire pour prendre des mesures ambitieuses en faveur du climat et éviter les conséquences les plus graves du changement climatique.

Au Royaume-Uni, les manifestations pour le climat feront monter la pression avant le début de la COP, fin octobre. Extinction Rebellion a organisé deux semaines de révolte à partir du 23 août, et des grèves auront lieu dans les écoles, avec un point fort à l’échelle mondiale le 24 septembre.

Toute une série d’actions sont par ailleurs programmées, sous le hashtag #KilltheBill – visant à « enterrer le projet de loi » –, afin de protester contre la nouvelle répression à l’égard des manifestations et des libertés.

La COP26 sera le premier sommet sur le climat à avoir lieu depuis que les pays ont remis leurs contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN), qui présentent les grandes lignes de leurs engagements en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Traditionnellement, le Royaume-Uni et les États-Unis détiennent la plus grande responsabilité de la crise climatique par habitant, mais les militants pour le climat disent que ces pays agissent vraiment trop peu pour réduire leurs émissions et assurer une transition juste vers une économie à faible intensité de carbone.

« Depuis que Joe Biden est président [des États-Unis], rien n’a changé. Si c’était le cas, les grandes compagnies pétrolières seraient réévaluées ou fermées », avance Cleo Otero, des Premières Nations Diné et Hopi, aux États-Unis, lors d’un entretien avec Equal Times, entre plusieurs visites dans des camps de protestataires qui refusent que l’oléoduc de sables bitumineux de la canalisation 3 traverse le Minnesota.

La canalisation 3 de la compagnie Enbridge va pomper des sables bitumineux, un combustible fossile extrêmement polluant, au Canada, pour les acheminer vers le Wisconsin, aux États-Unis. Les Amérindiens s’opposent à cet oléoduc, qui va détruire des terres sacrées des Premières Nations, ainsi que le Mississippi. « Nous ne cherchons pas seulement à protéger l’eau », explique Cleo Otero. « Nous voulons aussi protéger notre corps, étant donné que nous sommes composés de 90 % d’eau. L’eau est sacrée. Elle est partout, dans les plantes, notre alimentation… nous protégeons la vie. »

La protection de l’eau est une stratégie qui a été popularisée en 2016 par les Sioux de Standing Rock, qui ont réussi à s’opposer à l’oléoduc Dakota Access Pipeline, dans le Dakota du Nord. L’idée s’est désormais répandue dans le monde entier : les militants bloquent les projets impliquant des combustibles fossiles, là où 25 sommets successifs pour le climat ont échoué.

Les climatologues qui ont signé la lettre ouverte demandent de nouvelles solutions possibles pour la décarbonisation, notamment la Nouvelle donne verte, des emplois respectueux du climat et la restauration des écosystèmes. « Le principal obstacle est la manière dont nos systèmes économiques et politiques sont constitués », note Julia Steinberger. Et compte tenu du paysage politique actuel, la désobéissance civile est probablement le seul moyen de provoquer le changement.