Après la tempête de la Covid-19, il est temps de reconstruire les maisons de soins sur des bases solides

Ce ne sera une nouvelle pour personne parmi ceux qui auront été attentifs, mais cela mérite d’être répété pour les autres : la qualité et la sécurité des soins que reçoivent nos personnes âgées et vulnérables ne peuvent être dissociées des conditions de travail du personnel soignant.

Équipements de protection individuelle (EPI), niveaux d’effectifs sûrs, protocoles précis, formation, accès aux tests, transport sécurisé, indemnités de maladie pour l’auto-isolement... Interrogez n’importe quel membre du personnel soignant au début de la pandémie, il identifiera la plupart de ces outils comme les plus indispensables.

Le fait qu’un an plus tard, un si grand nombre d’entre eux ne reçoivent toujours pas cette aide vitale n’est pas uniquement imputable à une mauvaise gestion ponctuelle, mais témoigne des tentatives observées depuis des dizaines d’années d’éroder le pouvoir collectif.

Si l’on examine de plus près les cas où la pandémie de Covid-19 a eu les effets les plus dévastateurs, certaines caractéristiques apparaissent clairement. En Espagne, 70 % des maisons de repos appartiennent au secteur privé et même une large part des maisons de repos publiques restantes sont gérées par des entreprises privées à but lucratif.

Dans une maison de repos gérée par le groupe Orpea, sévèrement touchée durant la deuxième vague, les familles des victimes poursuivent l’entreprise en justice. Elles accusent Orpea de ne pas avoir fourni de protocoles de sécurité adéquats et suspectent des fraudes dans l’application du ratio travailleur-patient.

Licenciement des travailleurs – un avantage concurrentiel ?

Orpea est la deuxième plus grande société de maisons de repos en Europe, à caractère commercial. Alors que les finances des maisons de repos ont connu des temps difficiles, Orpea s’enorgueillit de pouvoir présenter des chiffres intéressants. Le groupe a battu son record de recettes au dernier trimestre 2020 (la période pour laquelle les familles des victimes ont lancé une procédure judiciaire en Espagne pour manque de personnel présumé). À côté de cela, en Irlande, Orpea vient de racheter la moitié d’une autre société de maisons de repos, devenant ainsi le deuxième fournisseur de maisons de repos du pays.

Basé en France, le groupe est présent dans un grand nombre de pays européens. Son implantation géographique n’a d’égale que sa réputation de saper les droits de négociation collective de ses travailleurs.

En Allemagne, le groupe Orpea est poursuivi en justice pour avoir saboté le travail des représentants des employés au sein du comité d’entreprise. Le syndicat Ver.di ayant organisé une veillée de soutien, le comité d’entreprise a engagé une action en justice susceptible de déboucher sur des accusations d’infraction pénale.

On soupçonne que, au-delà de cette affaire, la stratégie de l’entreprise consiste à faire pression sur les travailleurs et leurs représentants qui s’expriment dans des conflits juridiques. Comme le souligne un analyste juridique, dans cette stratégie, le point important n’est pas que ces procès soient gagnés par Orpea, mais que les employés s’épuisent et abandonnent. Une approche similaire peut être observée dans un pays voisin : la Pologne.

Une tendance plus large

L’approche d’Orpea cristallise quelques-unes des tendances plus larges qui ont vu le jour au cours de ces dernières décennies. La financiarisation du secteur des soins s’accompagne d’un détournement croissant de l’objectif de fournir des soins de qualité.

Au lieu de cela, l’accent est mis davantage sur la gestion des « actifs », comme les bâtiments que détiennent habituellement de nombreuses maisons de repos. Ici aussi, Orpea offre une étude de cas intéressante. Le groupe effectue actuellement un certain nombre de transactions de type « sale & leaseback » (vente et rétrolocation). Afin de libérer des liquidités pouvant ensuite être réinvesties dans de nouvelles extensions ou versées sous forme de dividendes, le groupe vend les bâtiments où est installée la maison de repos. Cette dernière doit alors payer un loyer, l’obligeant à resserrer davantage encore ses budgets.

Souvent, ces sociétés ont des structures complexes où différentes entités juridiques s’entrecroisent dans différentes juridictions, certaines étant installées confortablement dans des paradis fiscaux.

Si les tactiques varient, les résultats sont, eux, constants : les travailleurs ont de moins en moins de prise sur les ressources de plus en plus réduites réservées aux tâches essentielles – prendre soin des personnes âgées et vulnérables.

Les sociétés ont bénéficié de l’absence de contrôle de la part des responsables des réglementations et de l’application des lois. Les conséquences ont été lourdes pour les maisons durant la pandémie. Au lieu d’être écouté, le personnel soignant a souvent été laissé seul face à des situations traumatisantes. La mort tragique des résidents engendre un stress post-traumatique contre lequel il n’existe aucun vaccin et qui doit se soigner par lui-même.

Que faire ?

Pour restaurer les soins, il faut rééquilibrer la façon dont sont prises les décisions qui les façonnent. Il est fondamental de garantir que les travailleurs aient leur mot à dire. La négociation collective, que nous savons essentielle pour répondre aux besoins des travailleurs, a été vidée de sa substance. Il est temps maintenant de la renforcer.

En Europe, le personnel soignant et les syndicats qui le représentent, mènent une lutte vraiment inspirante qui gagne du terrain, pour dénoncer ces agissements frauduleux. Au plus fort de la deuxième vague en Pologne, les travailleurs d’une maison de repos se sont unis et ont remporté des victoires importantes, notamment des EPI et des niveaux d’effectifs plus sûrs. Le soutien actif dont a bénéficié le personnel soignant de la part de la population a été déterminant pour remporter ces victoires. Les syndicats des services de soins ont également collaboré au-delà des frontières au sein d’UNI Europa en vue de mettre en place une stratégie coordonnée pour les problèmes communs et au sein des mêmes entreprises.

Ceux qui investissent dans ces entreprises peuvent également jouer un rôle important en améliorant les normes du secteur. Les fonds de pension, les gestionnaires d’actifs, les fonds souverains et les autres investisseurs institutionnels engagés en faveur d’un monde socialement durable doivent rassembler les travailleurs et recentrer ces entreprises sur la fourniture des soins.

À l’instar des investissements privés, les investissements publics jouent un rôle déterminant dans le développement du secteur des soins. Actuellement, les responsables politiques choisissent de donner le feu vert aux entreprises qui excluent leurs travailleurs. Au lieu de cela, ce levier doit être activé pour leur donner la parole en exigeant une négociation collective chaque fois qu’il s’agit d’investissements publics.

L’UE a un rôle clé à jouer ici. Elle peut appeler les gouvernements nationaux à exiger que tous les marchés publics soient subordonnés à l’existence de conventions collectives pour les travailleurs. Revenir à un système de soins défaillant ne peut être la réponse. Cette crise a mis en lumière des pratiques douteuses, il est temps de faire le ménage.

Cet article a été traduit de l'anglais.