Au Brésil, des milliers d’habitants vivent toujours sous la menace des barrages miniers

Au Brésil, des milliers d'habitants vivent toujours sous la menace des barrages miniers

Two weeks after the dam burst, 53-year-old Ademilson Custódio recalls seeing dozens of people being carried away in the stream of mud that enveloped the farm he worked at near the town of Brumadinho.

(Gustavo Basso)

Entre les premières maisons du quartier de Rio do Peixe, à Itabira, et le cinquième plus grand barrage minier de l’État brésilien du Minas Gerais, la distance est d’à peine 500 mètres. « S’il arrive quelque chose avec ce barrage, on n’aura le temps de rien, on nous dit que c’est une question de secondes. On risque notre vie en restant ici. Si je le pouvais, je partirais tout de suite de cet endroit », affirme Claudinei Ferreira, un mécanicien de 32 ans, qui vit dans cette localité de 120.000 habitants depuis cinq ans.

Située dans la région connue sous le nom de Quadrilatère ferrifère, au centre du Brésil, Itabira est le lieu de naissance d’un des plus célèbres poètes du pays, Carlos Drummond de Andrade, mais aussi celui de la compagnie minière Vale do Rio Doce, aujourd’hui simplement appelée Vale. « De 1942 à aujourd’hui, à travers les générations, Itabira et Vale ont fini par ne former plus qu’un ; 90 % des revenus municipaux proviennent de l’exploitation minière et toute notre économie tourne autour de Vale », explique la secrétaire à l’Environnement de la municipalité, l’ingénieure Priscila Martins.

Cette multinationale brésilienne est impliquée dans les deux graves accidents de novembre 2015, près de la ville historique de Mariana, et celui qui a touché la région de Brumadinho, il y a tout juste deux mois. Dans les deux cas, une coulée de boue constituée de déchets miniers, provoquée par la rupture de barrages de rétention appartenant directement ou indirectement à cette entreprise, a emporté plusieurs centaines de vies, sans compter sur l’impact environnemental à grande échelle. L’histoire de cet État se mêle à celle de l’exploration des richesses minières – au point d’en porter le nom : « Mines générales ».

Aux XVIe et XVIIe siècles, ce fut l’or, puis à la fin du XIXe siècle, le fer. Aujourd’hui, le Minas Gerais produit 60 % du fer extrait au Brésil. Une richesse qui génère emplois et revenus, mais qui est de plus en plus critiquée pour son impact. En 2015, la rupture du barrage de Fundão, a déversé 40 milliards de litres de déchets dans le fleuve Rio Doce et tué 19 personnes.

Aussi, la peur fait partie du quotidien de la population de toute la région. À Itabira, pas moins de 11 barrages entourent la ville. Parmi eux, se trouve celui de Pontal, le plus grand barrage minier du pays, avec un volume de 227 milliards de litres de résidus issus du traitement minier [soit plus de 5 fois le volume de la première catastrophe].

« Après Mariana, nous n’étions pas aussi préoccupés, mais Brumadinho nous a fait peur. Aujourd’hui, je dors mal, je ferme à peine les yeux que je me réveille aussitôt », raconte Rosa Fortunato, retraitée et habitante de Rio do Peixe, voisine du barrage de Itabiruçu, qui contient aujourd’hui 130 milliards de litres de déchets miniers.

Le sentiment d’angoisse est aggravé par le manque de formation de sécurité. Malgré le volume de matériaux accumulés, le Plano de Ação Emergencial em Barragens de Mineração (Plan d’action d’urgence sur les barrages miniers) des barrages de Vale à Itabira n’a été élaboré qu’en mai 2018, et est encore en phase d’implantation. « Il n’y a jamais eu de formation d’urgence ici », commente Geraldo Pereira, 77 ans et voisin du barrage de Pontal. Selon le secrétariat de l’Environnement, l’entreprise minière commence ce mois-ci seulement à visiter chaque maison dans la zone de danger pour orienter les habitants. Une action de ce genre a été effectuée à Brumadinho en décembre 2018 et janvier 2019, ce qui éveille la suspicion des habitants.

Massacre ou accident ?

Le 25 janvier dernier, le barrage n°1 de la mine Córrego do Feijão s’est rompu pour une raison encore inconnue et a déversé ses 13 milliards de litres de boue, ensevelissant près de 300 personnes [selon le dernier bilan : 212 décès confirmés par la Défense civile et 93 disparus]. « Il y avait de nombreux indices montrant que le barrage pouvait rompre sous peu », affirme la militante du Movimento dos Atingidos por Barragens (MAB - Mouvement des personnes atteintes par les barrages), Eloá Magalhães, présente sur la mine Córrego do Feijão, dès le lendemain de la catastrophe. « C’était une tragédie annoncée, et c’est pourquoi nous traitons cette rupture comme un massacre de Vale », dit la jeune femme de 24 ans. Le mouvement défend depuis 30 ans la nationalisation de toute l’activité minière au Brésil, afin de rendre la richesse à la population brésilienne.

Un de ces indices serait une toile bleue qui couvrait partiellement la partie inférieure du barrage, depuis environ quatre mois. Elle aurait maintenu secrets des travaux de renforcement, dont même les employés de l’entreprise n’avaient pas tous connaissance. Ces derniers ont fait d’ailleurs partie de la majorité des victimes, au moment où le tsunami de boue a atteint le réfectoire de l’entreprise construit au pied du barrage.

Le parquet de l’État de Minas Gerais, qui soupçonne également la gestion du barrage de négligence criminelle, a sollicité le 15 février la prison préventive de huit ingénieurs de Vale, responsables de la sécurité du barrage [ndlr : par la suite, cinq autres employés de Vale et de Tüv Sud ont été arrêtés et libérés ensuite sur décision de la Cour suprême], ainsi que l’appréhension d’ordinateurs et de documents de quatre fonctionnaires de l’entreprise allemande Tüv Sud, auteurs du rapport ayant témoigné de la sécurité du barrage.

« Les représentants de Vale insistent sur le fait qu’il s’agit d’un accident, mais le parquet et la police sont aujourd’hui convaincus qu’un crime d’homicide volontaire a été commis, au cours duquel diverses entités ont assumé le risque de provoquer la mort de centaines de personnes », a affirmé le procureur chargé de l’affaire, William Coelho.

En plus des pertes humaines, la boue a détruit une partie des localités/arrondissements municipaux de Córrego do Feijão et Parque das Cachoeiras, renversé un pont ferroviaire de 50 mètres de haut et contaminé le fleuve Paraopeba, qui fait partie de l’approvisionnement de la métropole de Belo Horizonte, avec des métaux lourds tels que le plomb, le mercure et le cadmium, tuant des milliers de poissons.

Alerte générale dans les mines

La localité de Socorro, dans la ville de Barão de Cocais, à 60 km de Córrego do Feijão est une ville fantôme. Depuis le 8 février, 453 habitants de quatre quartiers ont été évacués de leurs maisons à 2 heures du matin et n’ont pas été autorisés à y retourner depuis, même pour y récupérer biens personnels et documents. « Ce qui dérange le plus est qu’ils savaient depuis la veille que le barrage représentait un risque et que nous devrions évacuer; pourquoi n’ont-ils pas appeler les habitants pour les avertir et les laisser se retirer dans le calme? », réclame la coiffeuse Maria Aparecida Batista, 39 ans, qui partage depuis deux semaines une chambre d’hôtel avec son mari et leurs deux fils. « Nous voulons rentrer à la maison; l’hôtel, c’est sympa en vacances », souligne-t-elle.

Dès le lendemain de l’évacuation, des employés de Vale sont venus alimenter les animaux domestiques qui ont été abandonnés après l’évacuation. Equal Times a réussi à accéder en exclusivité à la zone à risque isolée, pour accompagner le retrait des animaux d’élevage – porcs, chevaux, vaches, etc – demandé par la justice. Et être témoin de chiens égarés, d’autres errant sur la voie d’accès, d’autres encore aux abords des maisons dans l’attente du retour de leurs maîtres, qui eux se refusent de retourner à Socorro, même si Vale garantit désormais la stabilité du barrage.

« Je n’y retournerai peut-être pas, car ça laisse des marques et aujourd’hui nous ne croyons plus à ce que dit l’entreprise », dit Isabel Batista, 45 ans, vice-présidente de l’association des habitants de Socorro.

Isabel s’est cassé le pied, en tentant désespérément cette nuit-là d’avertir ses voisins de la rupture du barrage. « À ce moment-là, personne ne savait que c’était une fausse alerte; je savais seulement que j’avais trois minutes pour atteindre la zone de sécurité. Que fait-on en trois minutes? », commente-elle.

Depuis le 25 janvier, au moins 850 personnes ont ainsi dû abandonner leurs affaires au risque d’une nouvelle rupture de barrage. La majorité d’entre eux continue sans pouvoir retourner chez eux, dans les villes de Itatiaiuçu, Barão de Cocais et Nova Lima. Dans cette dernière, 200 habitants ont reçu, mi-février, des appels d’employés de Vale les alertant sur la fragilité du barrage de la mine Mar Azul. Certains habitants ont refusé de fuir, même sous la menace de rupture. « J’ai un sac à dos avec des habits et mes documents, et la voiture prête. Si j’entends du bruit, je sortirai en courant, mais je ne vais pas abandonner tout ce que j’ai acquis comme ça. Si quelque chose se passe ou disparaît, qui va payer ? », questionne le maçon Gilmar Pereira, 55 ans, qui vit au bord du ruisseau de Macacos et dont la maison serait atteinte, se trouvant dans la zone appelée Zona de autossalvamento (zone d’auto-sauvetage) – un euphémisme pour les régions où les autorités sont incapables d’arriver avant un éventuel tsunami de boue.

Dans tout l’État, au moins huit autres mines sont paralysées, font l’objet d’enquête ou sont interdites de traitement de résidus. Le danger omniprésent limite les alternatives de la population de cet État. « Il faudrait partir », commente Celso Oliveira, 20 ans, habitant de Córrego do Feijão et qui vient d’enterrer son cousin, emporté par la coulée de boue et dont le corps a été retrouvé deux semaines après. « Partir où, mon fils, si partout nous courrons un risque », commente sa mère, Luiza Oliveira. Ce à quoi il rétorque: « La seule solution est : partir du Minas Gerais; ici le cycle de l’or a laissé place au cycle des tragédies. »

This article has been translated from French.